Intervention de Agnès Buzyn

Réunion du 6 juin 2019 à 10h45
Organisation et transformation du système de santé — Article 8, amendement 182

Agnès Buzyn :

On a déjà beaucoup parlé de la désertification médicale : avis défavorable sur l’amendement n° 182 rectifié.

Je veux répondre très précisément à Mme Rossignol.

En premier lieu, en ce qui concerne les politiques de santé en général, c’est vrai, le numerus clausus a été largement institué pour réduire les dépenses de santé dans notre pays. Néanmoins, cette politique est loin d’expliquer à elle seule la démographie médicale mondialement déficitaire. Je pense, par exemple, au Royaume-Uni, où le NHS ne prévoit pas de tarification à l’acte, puisque les médecins sont salariés. Pourtant, ce pays a la pire démographie médicale qui soit, avec deux fois moins de médecins généralistes que sur le territoire français.

Parmi les causes, il y a aussi l’augmentation du niveau de vie, qui entraîne un allongement de la durée de vie et l’émergence de pathologies chroniques. Les besoins de santé ont donc considérablement augmenté. Un autre facteur est le désir des jeunes médecins de mieux concilier leur vie professionnelle et leur vie personnelle. Bref, il y a tout un tas de paramètres qui n’ont pas été anticipés et qui ont conduit à la situation actuelle.

En deuxième lieu, sur les maternités, j’observe qu’il y a, dans notre pays, une très grande sensibilité sur ce sujet, ce que je peux entendre, car je comprends évidemment l’angoisse des femmes. Toutefois, certains pays ont des maternités situées à de très grandes distances des habitants, du fait même de la géographie. En Australie, les habitants sont répartis sur tout le territoire, et ils n’ont pas de maternité située à moins de quarante-cinq minutes de leur domicile. Il en va de même au Canada. J’ai discuté récemment avec mon homologue de Norvège ; dans ce pays, les femmes font en moyenne quatre ou cinq heures de route pour aller accoucher. Il faut donc bien organiser le territoire en fonction de la réalité de la géographie du pays.

Parallèlement, on ne peut pas souffrir, en France, l’idée de la fermeture d’une maternité ; c’est anxiogène, et je peux l’entendre. C’est pourquoi je vais proposer un « pack maternité », c’est-à-dire une série de mesures destinées à accompagner et à sécuriser les femmes, lorsqu’une maternité ferme ou que la plus proche se situe déjà à une distance notable de leur lieu d’habitation.

En effet, il y a déjà, avant même toute fermeture supplémentaire d’établissement, des femmes qui habitent très loin de la maternité. Je pense notamment à la Guyane et à la Corse ; une femme qui habite à Calvi doit accoucher à Bastia, soit à une heure et quart ou à une heure et demie de route. Il n’y a jamais eu de maternité dans cette ville, où il n’y a pas non plus d’hôpital, il n’y a qu’une antenne.

Ce « pack maternité », qui comprendra une série de mesures d’accompagnement et de sécurisation des femmes enceintes, sera présenté dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020. Vous aurez donc à en débattre.

Je pense sincèrement qu’il faut raison garder sur la question des maternités françaises. Nous avons un bon maillage de maternités, meilleur que bien des pays. Je crois par exemple que la Suède, qui compte 20 millions d’habitants, a entre 40 et 50 maternités, quand nous en avons 550 pour 67 millions d’habitants… Clairement, le problème que nous vivons aujourd’hui n’est pas dramatique.

En outre, la plupart des pays ont centralisé leurs accouchements dans de très grosses maternités. Au Royaume-Uni et en Suède, 70 % des accouchements ont lieu dans des maternités de plus de 2 000 accouchements par an. Ce n’est pas du tout le choix que nous avons fait en France, puisque nous avons préservé de petites maternités, avec des seuils de 500 à 600 accouchements. Ainsi, aujourd’hui, seuls 20 % des accouchements ont lieu dans de très grosses maternités. Nous avons donc un bon maillage territorial, et nous essayons, autant que faire se peut, de préserver les maternités.

Cela étant, c’est la démographie qui fait que, dans certaines maternités, il n’y a pas les ressources humaines nécessaires, en matière d’infirmiers de bloc, d’anesthésistes, d’obstétriciens et de pédiatres, les quatre professions nécessaires pour faire tourner une maternité. Quand on ferme ces maternités, on les transforme en centres de périnatalité, et, je le répète, le « pack maternité » nous permettra d’accompagner et de sécuriser les femmes lors du transport, comme c’est le cas dans les pays où elles ont de très grandes distances à parcourir pour accoucher.

Enfin, en troisième lieu, je veux répondre à l’inquiétude, tout à fait légitime, relative à l’accès à l’IVG. On doit pouvoir faire en sorte – c’est une question à poser à la Haute Autorité de santé – que les IVG instrumentales soient pratiquées dans les hôpitaux de proximité, dans les centres de périnatalité, avec des sages-femmes et des obstétriciens, puisque cette profession est aujourd’hui présente dans ces centres. Rien n’empêche donc de discuter de cette question de l’accès à l’IVG dans le maillage territorial proposé ; ces éléments ne sont absolument pas dépendants, on peut tout à fait avoir des IVG, médicamenteuses ou instrumentales, dans des centres qui n’ont pas de chirurgie.

J’émets donc un avis défavorable sur l’amendement n° 717 rectifié ; je pense avoir donné les explications nécessaires pour rassurer les élus que vous êtes et les femmes de France, qui seront bien accompagnées. En outre, sachez-le, il n’y a pas de politique volontariste de fermeture des maternités ; tant que nous pouvons préserver ces établissements et que nous avons des ressources humaines requises, nous le faisons, notamment dans les zones très éloignées d’une autre offre de soins. Ainsi, quand il faut choisir une maternité à garder, on opte pour celle qui est dans la zone dont les autres offres de soins sont le plus éloignées. Toutefois, considérons aussi ce qui se fait ailleurs dans le monde et n’ayons pas une vision trop centrée, qui nuit, selon moi, à la compréhension des organisations.

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