Intervention de Cécile Cukierman

Réunion du 11 juin 2019 à 21h30
Lutte contre l'habitat insalubre ou dangereux — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Cécile CukiermanCécile Cukierman :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous revoici quatre mois plus tard afin de débattre de cette proposition de loi visant à améliorer la lutte contre l’habitat insalubre ou dangereux.

Nous étions plusieurs à le souligner à l’époque, l’émotion suscitée par l’effondrement des immeubles de la rue d’Aubagne avait conduit très justement notre collègue Bruno Gilles à déposer cette proposition de loi.

Même si nous partagions alors – et nous la partageons toujours – son émotion, le contenu de ce texte, et nous l’avions tous souligné, était imparfait compte tenu des enjeux. C’est pourquoi le choix avait été fait collectivement, madame la rapporteur, madame la présidente de la commission, de voter une motion tendant à la renvoyer en commission afin qu’elle soit retravaillée.

À ce propos, et sans vouloir verser de l’huile sur le feu avant nos débats prochains, je voudrais dénoncer le rythme imposé aux parlementaires pour faire la loi. En effet, si nous voulons faire de bonnes lois, il faut prendre le temps de les travailler soigneusement. Avec la baisse du nombre de parlementaires annoncée, je crains que la situation n’aille en s’aggravant dans les années à venir.

Pour en revenir au débat qui nous occupe aujourd’hui, je voudrais rappeler qu’à cette heure-ci, à la suite de l’évacuation des 311 immeubles après ces tragiques événements, 223 ménages sont encore à reloger, soit un peu moins de 500 personnes, la preuve s’il en fallait que du chemin reste à faire.

Du chemin que nous devons combler grâce à cette proposition de loi, car, à l’échelle nationale, plus de 400 000 logements seraient insalubres. Et je veux rappeler ici que l’insalubrité des logements n’est pas seulement l’apanage des villes : elle est aussi très présente dans nos communes rurales, déjà touchées par le fléau des « volets fermés ».

Pour lutter, les collectivités doivent être accompagnées et nous devons leur donner les leviers afin de répondre à cet enjeu qui recoupe des enjeux nationaux de politique pénale liés à la difficulté de poursuivre les marchands de sommeil et de protéger les victimes, mais également pour faire jouer la garantie du droit au logement, qui, je vous le rappelle une nouvelle fois, est une compétence de l’État, notamment au travers du dispositif du droit au logement opposable.

Nous devons faire preuve d’ambition pour ce texte en favorisant les capacités de contrôle et d’intervention des collectivités territoriales. Nous devons aussi accélérer les réponses aux situations d’insalubrité et de dangerosité des immeubles en abaissant les délais de visite des agents attestant de l’insalubrité.

Enfin, nous devons être intransigeants avec les marchands de sommeil en aggravant les sanctions administratives encourues en cas de manquement à l’obligation de déclaration de mise en location ou à celle de disposer d’un « permis de louer » – un dispositif qui n’a d’ailleurs pas tenu ses promesses et qu’il conviendrait de retravailler pour le rendre réellement et pleinement efficace.

Mais une vraie politique sans vrais moyens demeurera impuissante. Je souhaite rappeler que l’ANAH, qui joue un rôle prépondérant pour la réhabilitation des logements, a longtemps vu ses financements diminuer, faisant craindre même une cessation de paiement. Son financement par le « 1 % logement » a traduit un désengagement de l’État de ses missions.

Les politiques publiques des dernières années ne font qu’alimenter ces phénomènes de dégradation de l’habitat à grands coups de coupes budgétaires et de libéralisation.

L’attaque frontale contre le logement social et l’assèchement de son financement, conjuguée à l’absence de régulation du parc privé, a conduit à ces dérives. Monsieur le ministre, nous n’allons pas reprendre ici les débats de la loi ÉLAN.

Comme je l’avais dit il y a quelques mois, le décalage entre l’offre et la demande est tel qu’aujourd’hui les aspirants locataires se voient obligés d’accepter des logements à n’importe quel prix et dans n’importe quelle condition pour ne pas se retrouver à la rue.

Parallèlement, les petits propriétaires n’ont le plus souvent pas les moyens de réhabiliter leur logement, ce qui constitue dans beaucoup d’endroits en région un potentiel de développement de l’habitat insalubre important, notamment dans les centres-bourgs. Dans ce contexte, le dispositif de revitalisation des centres-bourgs doit jouer son rôle sur cette question.

Enfin, je souhaitais rappeler que trop de personnes ne sont pas au courant non plus des aides auxquelles elles peuvent avoir accès. À ce propos, comment se fait-il que les aides existantes soient aujourd’hui majoritairement destinées aux propriétaires, alors que l’on sait que la grande majorité des ménages précaires demeurent des locataires ?

Comme je l’ai déjà dit, de nombreuses associations demandent aujourd’hui un véritable plan Marshall de la rénovation. Nous considérons que, pour répondre à cet enjeu, il convient, certes, de donner de nouveaux outils aux collectivités, mais qu’il faut également renforcer les moyens des acteurs tels que l’ANAH, tout autant que ceux de la justice pour que la loi puisse être appliquée.

Il convient, surtout, de réorienter la politique publique du logement pour non seulement produire l’offre nécessaire de logements accessibles, mais également engager une politique de réhabilitation de grande envergure.

Dans ce cadre-là, l’État doit jouer son rôle afin de permettre de trouver de nouvelles sources de financement pour répondre à cet enjeu et éviter de nouveaux drames.

En l’état, nous voterons cette proposition de loi de notre collègue Bruno Gilles dans sa rédaction issue des travaux de la commission.

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