Intervention de André Gattolin

Commission d'enquête Souveraineté numérique — Réunion du 4 juin 2019 à 14h00
Audition de M. Henri Verdier ambassadeur du numérique

Photo de André GattolinAndré Gattolin :

J'ai beaucoup travaillé sur ces questions, et notamment sur la gouvernance mondiale d'internet, avec Catherine Morin-Desailly. J'ai eu l'occasion d'auditionner plusieurs fois le président de l'Icann : on nous promet à chaque fois de grandes réformes pour rendre le multistakeholerism plus transparent et satisfaisant pour les Européens. Mais les polémiques se multiplient : en 2016, Donald Trump a menacé de reprendre en main l'Icann ; les conflits d'intérêts sont nombreux. Le système favorise les grandes entreprises, essentiellement américaines, car les soi-disant représentants de l'internet libre sont, en fait, complètement soumis à ces grands groupes qui les financent en grande partie. Il s'agit donc d'acteurs qui, tout en prétendant ne pas avoir d'idéologie, sauf anti-étatique, sont extrêmement idéologiques. Dans ce cadre, il est très difficile de se faire une place : on est réduit au rôle d'observateur.

Les GAFA font aussi planer la menace d'une fragmentation de l'internet, comme si sa globalisation devait être conservée à tout prix ! Ces organisations, qui se prétendent libres et autonomes, ont en fait un caractère très idéologique et ont finalement imposé leurs règles à l'ensemble des États.

Vous avez aussi envisagé, de manière un peu catastrophiste mais néanmoins vraisemblable, les futurs cyberconflits du XXIe siècle. Le numérique fait bel et bien partie des armes non conventionnelles, qui deviennent de plus en plus importantes. Ainsi la Russie, qui dépense beaucoup moins d'argent dans sa défense que par le passé, s'est-elle concentrée sur les aspects de cyberdéfense.

Outre les attaques visant à détruire ou à paralyser tel ou tel site, il faut mentionner des pratiques plus soft, mais plus insidieuses, développées notamment par la Chine, qui consistent à piller des millions de données dans le cyberespace. Ces données alimentent le système d'apprentissage des machines, dans une logique de deep learning, ce qui permet d'acquérir une avance en matière d'intelligence artificielle. Ce faisant, une culture ou un État pourrait finir par contrôler toute la planète.

Diplomatiquement, la question est très délicate, car il est difficile de pointer du doigt ces manoeuvres susceptibles de conduire à un conflit généralisé. Nous vivons durablement dans un monde pacifié, où les conflits sont de nature intermédiaire, sans viser à la rupture totale. Ces attaques invisibles sont néanmoins préoccupantes. Plutôt qu'une cyberguerre visant à la destruction de l'adversaire, ne faut-il pas craindre, à terme, une nouvelle forme de colonisation ou de soumission par le biais du contrôle des données ou de l'intelligence artificielle ?

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