Intervention de Éric Germain

Commission d'enquête Souveraineté numérique — Réunion du 4 juin 2019 à 14h00
Audition de représentants de la commission d'éthique sur la recherche en sciences et technologies du numérique d'allistene l'alliance des sciences et technologies du numérique: Mm. Jean-Gabriel Ganascia eric germain et claude kirchner

Éric Germain, chargé de mission « éthique des nouvelles technologies, fait religieux et question sociétale » à la direction générale des relations internationales et de la stratégie :

J'ai été universitaire, mais je travaille aujourd'hui pour le ministère des Armées. Je m'exprime devant vous à titre strictement personnel. Depuis dix ans, je conduis au sein de ce ministère une réflexion sur les questions religieuses et les questions de laïcité. Chez nos alliés, les aumôniers militaires sont souvent les premiers acteurs sollicités pour mener, en interne, une réflexion éthique. C'est ce qui m'a conduit, à partir de 2010, à m'intéresser aux problématiques éthiques posés par les nouvelles technologies. J'ai rejoint la Cerna en janvier 2016 à titre privé.

L'éthique, c'est le bien agir. C'est un arbitrage entre valeurs morales, un choix, contingent à un contexte particulier. L'éthique peut inspirer le droit et la loi, mais elle est elle-même difficilement codifiable car elle relève d'une appréciation dynamique, qui évolue en permanence. C'est un bien agir qui n'est pas nécessairement reproductible. L'éthique, ce n'est pas la simple conformité à un corpus de valeurs morales universelles. Elle représente aussi des cultures, avec des particularités nationales qu'il ne faut ni surestimer ni sous-évaluer. Léopold Sédar Senghor disait qu'une culture était une manière particulière de se poser des questions, et d'y répondre.

Pour un Français, pour un Européen, l'éthique est aussi une certaine manière de se poser des questions et d'y répondre. C'est pourquoi il est si important d'être souverain en matière de réflexion éthique. C'est d'ailleurs cette prise de conscience qui est à l'origine de la création cette année par la ministre des armées, Mme Florence Parly, d'un comité d'éthique ministériel. La France est la première grande puissance militaire à s'être dotée d'une structure de réflexion permanente sur les enjeux éthiques des nouvelles technologies dans le domaine de la défense. La création de ce comité est un acte de souveraineté significatif, qui inspire dès à présent d'autres pays, et ce comité échangera nécessairement avec les autres comités qui existent déjà.

La plupart des personnes que votre commission d'enquête a auditionnées parlent d'une seule souveraineté, la souveraineté nationale, française, parfois élargie à un niveau régional comme l'Europe. Quand Pierre Bellanger parle de souveraineté numérique, il discute de l'application de la seule souveraineté nationale au domaine du numérique, et se demande comment assurer une souveraineté française sur les algorithmes ou leur paramétrage, sur l'exploitation et l'hébergement des données, etc.

Le rapport de la Cerna ne parle pas directement de souveraineté numérique mais bien de souveraineté à l'ère du numérique, en partant du constat que les technologies bouleversent le sens même du mot « souveraineté », et la nature des acteurs, qui ne se limitent plus aux États mais s'élargissent aux entreprises, aux communautés professionnelles, scientifiques, voire à une échelle individuelle.

Le pas de côté que nous avons fait en rédigeant ce rapport nous a montré que les Gafami (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft et IBM), par exemple, ne sont pas simplement un nouveau genre d'auxiliaire de la souveraineté nationale américaine. Ces sociétés revendiquent une souveraineté propre, distincte de celle des États. L'enjeu est de comprendre les interactions nouvelles qui sont nouées et de voir comment on peut les concilier avec les valeurs de notre République.

Le chapitre 3.2 parle de l'immixtion, ou de l'ingérence, de sociétés commerciales du numérique dans notre vie démocratique. C'est le domaine assez préoccupant de l'influence sociale et de l'initiative citoyenne. Autre enjeu : la souveraineté scientifique. Nous l'abordons dans le chapitre 4.3. La liberté de formuler des questions, y compris des questions éthiques, naît d'un principe de science ouverte qui est aujourd'hui contesté par la privatisation croissante des données scientifiques. Nous avons parlé de souveraineté individuelle, là où les puristes parleraient plutôt d'autonomie du sujet ou de libre arbitre. L'expression « être souverain à soi-même » a déjà été employée il y a près de deux siècles par l'immense esprit français que fut votre collègue, représentant de la Nation, Félicité Robert de Lamennais. Il traduisait l'expression utilisée par Dante dans La Divine Comédie. Cet attachement très individualisé à la liberté de penser est peut-être le trait essentiel de notre identité européenne - une singularité dont le numérique nous rappelle aujourd'hui toute l'importance.

La conclusion du chapitre 3.3, comme plusieurs recommandations du rapport de la Cerna, évoque cette souveraineté numérique nationale que l'on peut reconquérir par le bas, au niveau de chaque individu, qu'il faudrait davantage éduquer et sensibiliser.

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