Je suis heureuse de pouvoir vous présenter les conclusions de l'enquête que nous avons menée, à la demande de votre commission, sur la valorisation internationale de l'ingénierie et des marques culturelles. Nous avons étudié ces opérations de valorisation, dans leur diversité, et les enjeux qui y sont associés.
Notre rapport avait pour objet de répondre à trois questions. Quel est l'état de l'offre et de la demande sur le marché de l'ingénierie culturelle ? Comment les musées nationaux se positionnent-ils pour valoriser leurs marques face à la concurrence ? Quelle doit être la structuration de la réponse publique à la demande internationale ?
En premier lieu, notre enquête a montré que le marché de l'ingénierie culturelle, qui s'est cristallisé au début des années 2000, est concurrentiel et en évolution. Les musées français doivent donc développer une stratégie entrepreneuriale adaptée pour répondre à une demande renouvelée, publique et privée, émanant notamment des pays émergents.
Les grands musées nationaux et les musées châteaux contribuent à la diplomatie d'influence et au rayonnement de la France. Ce sont des acteurs majeurs du marché muséal mondial, dont les marques sont reconnues grâce à leur notoriété, à la richesse de leurs collections et à leur expertise.
Toutefois, il nous est difficile de savoir si ces musées maximisent la part qu'ils prennent sur ce marché du fait de l'absence d'évaluation précise et partagée de la demande correspondante. Une cartographie mondiale de cette demande devrait être réalisée. Il est pourtant indéniable que cette demande est réelle.
Les besoins évoluent sur ce marché, à la suite, notamment, de changements de pratiques des musées vis-à-vis de leur public et de leurs collections. Le recours aux outils numériques doit être encouragé. Les musées doivent déployer des stratégies entrepreneuriales pour soutenir leur compétitivité sur une scène culturelle concurrentielle et mondialisée. Il faut renforcer le suivi des pratiques des musées en matière de marques, mais aussi étudier les modalités d'une protection de l'image de marque des musées nationaux.
En réponse à la deuxième question, il nous est apparu que les musées nationaux sont les principaux acteurs de la valorisation internationale de l'ingénierie et des marques culturelles, grâce à une offre de services variée, à même de répondre aux besoins divers qui s'expriment. Deux niveaux peuvent être distingués : d'une part, les flux d'activités devenues récurrentes ; d'autre part, les opérations exceptionnelles, telles que le Louvre Abou Dhabi.
Les activités récurrentes se sont développées et diversifiées. On observe des logiques de réciprocité, de coopération, de mutualisation des coûts et de croissance des ressources. Elles portent sur les prêts d'oeuvres, les coproductions d'expositions, la vente d'expositions « clef en main », des prestations de conseil et la vente de produits dérivés.
Les ressources qu'elles génèrent demeurent limitées, tout comme leur potentiel de croissance. Entre 2012 et 2018, la moyenne annuelle des recettes ainsi générées s'établit ainsi : 500 000 euros pour le musée du Quai Branly-Jacques Chirac, 800 000 euros pour le château de Versailles, 1,7 million d'euros pour le Louvre, 1,8 million d'euros pour le musée Rodin, 3,1 millions d'euros pour le musée d'Orsay, 3,7 millions d'euros pour le centre Pompidou. Globalement, ces recettes représentent, suivant les musées, 1 % à 16 % de leurs ressources propres.
Quant aux opérations internationales de plus grande ampleur, s'inscrivant dans la durée, elles sont encore peu nombreuses : on peut citer l'ouverture de centres Pompidou provisoires à Malaga, Bruxelles et Shanghai, mais surtout le Louvre Abou Dhabi.
Ce dernier est un projet hors normes par sa durée, le montant des retours financiers - environ 1 milliard d'euros, dont 400 millions d'euros pour le Louvre -, le portage politique important et la mobilisation conjointe des musées français au service du projet. La Cour a prêté une attention particulière aux conditions contractuelles qui se rapportent à l'utilisation de la marque « Louvre » par le Louvre d'Abou Dhabi. Nous avons mis le Louvre en alerte sur la nécessité de clarifier et d'approfondir certains points. Le rapport revient sur le rôle de l'agence France-Muséums dans la réalisation du projet et la coordination du travail des différents établissements publics participants. La forte mobilisation des musées français et le travail de l'agence ont fait de l'opération un succès, qui contribue à la reconnaissance de la qualité de l'offre des établissements français, au rayonnement du Louvre et à l'influence de la culture française.
J'en viens à la troisième question, sur la structuration de la réponse française à la demande d'ingénierie. Nous avons conclu que les musées, mais aussi d'autres acteurs, doivent être mobilisés au service d'une stratégie partagée pour consolider la position de la France sur ce marché. Au premier rang de ces acteurs figurent le ministère de la culture et celui de l'Europe et des affaires étrangères.
Nous avons écarté l'idée de constituer un grand opérateur consacré à cette valorisation. Nous constatons que cette activité repose presque exclusivement sur les musées. La demande mondiale s'adresse en effet directement à ces opérateurs, du fait de leur notoriété. Ce sont eux qui ont les compétences et les moyens pour y répondre ; ils doivent conserver souplesse et autonomie pour ce faire. Il serait bon qu'ils s'inscrivent dans des réseaux afin d'accroître leur notoriété. Si de nouvelles opportunités majeures se présentent, l'agence France-Muséums montre que la création d'une structure ad hoc peut être pertinente.
Cela dit, un resserrement des coopérations entre les différentes parties prenantes apparaît nécessaire pour saisir au mieux les opportunités et assurer une circulation de l'information et un partage des connaissances.
Deux initiatives complémentaires récentes constituent un début de réponse à ce besoin : d'une part, la relation entre le ministère de l'Europe et des affaires étrangères et celui de la culture se structure, par la formation d'un comité conjoint de pilotage de l'expertise culturelle qui rassemble les différents opérateurs ; d'autre part, une mission d'expertise culturelle internationale a été créée au ministère de la culture, qui constituera un point d'entrée dédié. Le travail d'animation du vivier d'expertise disponible devrait être assuré par cette nouvelle mission. Un réseau numérique partagé serait un outil utile, qui pourrait être ouvert à l'expertise culturelle en général, au-delà des musées.
L'analyse faite par la Cour des comptes du renouvellement du marché considéré et de la part prise par les grands opérateurs muséaux nous conduit à formuler des propositions pragmatiques : pas de création de structure surplombante, mais un recours au cas par cas à des agences de projet pour des opérations d'ampleur ; des instances de régulation douces et d'échanges en réseau ; une mobilisation de toutes les parties prenantes, privilégiant le management des connaissances plutôt que des reconstitutions systémiques redondantes.