Cette audition est passionnante. Vous évoquez la dimension économique de l'action culturelle internationale. Cela n'aurait-il pas justifié que nous invitions la commission des affaires culturelles et la commission des affaires économiques à cette audition ? Le produit culturel devient, volens nolens, un produit commercial, support d'activités considérables.
Un allié objectif, qui est en même temps une menace permanente, est le transport aérien. Visiter un musée en France à certains moments de l'année, dans certaines conditions, vous conduit à être emporté par des flots de touristes, venus particulièrement du continent asiatique, ce qui fait que vous ne pouvez consacrer que quelques secondes à la contemplation d'un tableau. Et il n'y a pas de raison que les choses s'arrangent... Vous avez évoqué Angkor, où les perspectives sont également catastrophiques. Outre le transport aérien, il y a l'hôtellerie et toutes les prestations de service qui vivent dans le sillage de l'offre culturelle par la vente de produits connexes, pour un chiffre d'affaires très largement supérieur à celui de l'offre culturelle proprement dite.
Il y a également un allié, qui peut être aussi un adversaire et n'est pas encore complètement exploré : le numérique. Vous avez entendu le président de Culturespaces, qui a fait le choix du numérique à Paris après une expérience dans le Sud de la France ayant débouché sur un vrai succès commercial. Évidemment, cela peut inquiéter ou mécontenter les partisans d'une offre culturelle traditionnelle, sincère, authentique, le numérique étant à mi-chemin entre l'offre audiovisuelle et l'offre culturelle proprement dite.
Un troisième partenaire est le concept d'image de marque. Combien d'établissements en ont ? Tous ceux qui investissent. La première grande opération muséale totalement artificielle, bâtie ex nihilo à Bilbao autour d'une réussite architecturale et d'une volonté, est un succès. Pourquoi pas ? Je dis simplement qu'une marque, c'est un investissement. Et un investissement, cela s'entretient : il faut investir, d'abord, puis amortir, entretenir et développer.
Il serait bon d'avoir une réflexion d'économie globale sur la nouvelle offre culturelle en segmentant la demande, qui est extraordinairement différenciée, et qui a des exigences assez distinctes, depuis les couples asiatiques qui cherchent à se photographier dans un cadre historique à l'occasion de leur mariage, parce que l'image de marque fait partie de l'image qu'ils ont de leur vie, jusqu'aux passionnés de musique ou d'architecture qui vont chercher une valeur ajoutée très spécifique sur un produit parfaitement authentique. Est-ce bien à l'État à répondre à cette infinie diversité, à cette segmentation de la demande culturelle ? Sans parler de la segmentation de l'offre. Une exposition récente à Metz portait sur les musées créés en France depuis 50 ans : il n'y a pas une sous-préfecture qui n'ait créé son musée ! Résultat : les collectivités territoriales se retrouvent avec des investissements assez lourds et coûteux à gérer, qui peuvent certes imposer une image de marque, à condition que l'investissement suive - et c'est un investissement considérable.
Parallèlement, on voit des outils culturels basculer dans l'économie de marché, comme vous le signalez très bien dans votre rapport. Les coproductions, qui étaient autrefois des échanges de grands monuments culturels, au bilan carbone excellent - mieux vaut transporter quelques tableaux que des millions de touristes - deviennent similaires à des opérations de production d'un opéra, d'un congrès, ou d'un film. Au bois de Boulogne, nous avons un formidable bâtiment qui soutient une image de marque dont nous avons évidemment tous une immense fierté - mais cela reste du business, face auquel certaines de nos institutions traditionnelles sont assez largement désarmées.
Une réflexion globale sur l'économie internationale de l'offre culturelle et de la demande culturelle, et sur leur gestion, serait donc sans doute la prochaine étape pour valoriser nos atouts.
Comme président de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, et à la demande de mon excellent collègue M. Cédric Villani, j'ai invité les agences que vous évoquiez à parler de ce qu'est une restauration. Nous avons été impressionnés par la qualité de nos interlocuteurs mais, au vu de leurs moyens, on a le sentiment qu'ils sont en marge du torrent d'offre culturelle qui est en train de balayer le monde, et dont le seul adversaire aujourd'hui est le bilan carbone.