Intervention de Rémy Rioux

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 22 mai 2019 à 9h30
Audition de M. Rémy Rioux candidat proposé par le président de la république pour occuper les fonctions de directeur général de l'agence française de développement

Rémy Rioux, candidat proposé par le Président de la République pour occuper les fonctions de directeur général de l'Agence française de développement (AFD) :

Monsieur le président, madame, monsieur les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis très honoré de me présenter devant vous ce matin. Je sais l'importance de cette procédure exigeante de nomination au titre de l'article 13 de la Constitution et je sais également la valeur très singulière de la diplomatie parlementaire à laquelle l'AFD entend apporter tout son soutien pour que notre pays ait plus d'influence encore dans le monde.

Magistrat de la Cour des comptes, je respecte la mission de contrôle du Parlement. Depuis trois ans, j'ai été auditionné à vingt-deux reprises par les commissions ou les rapporteurs des deux assemblées et j'ai eu l'occasion d'échanger avec un grand nombre d'entre vous.

Permettez-moi d'abord de me présenter à vous. Je suis un professionnel et un passionné du développement, j'ai fait de l'Afrique le fil conducteur de ma carrière, de ma vie. J'ai eu l'honneur de prendre des responsabilités au service de la politique de développement au sein du ministère des finances, puis au Quai d'Orsay, avant de prendre la direction de l'Agence française de développement, le 2 juin 2016. J'ai milité pour l'harmonisation du droit des affaires OHADA ; j'arpente l'Afrique et les pays du Sud depuis plus de vingt ans. J'ai aussi l'obsession de créer du lien positif entre notre pays et le reste du monde ; je l'ai fait à la Cour des comptes, au ministère de l'intérieur, à l'Agence des participations de l'État, comme directeur de cabinet de Pierre Moscovici, vous l'avez rappelé, au ministère de l'économie, des finances et du budget, ou encore lorsque je m'occupais de la diplomatie économique et du climat auprès de Laurent Fabius de 2014 à 2016.

Pour bien connaître également le ministère de la défense, j'ai souhaité, dès mon arrivée à la tête de l'AFD, aller beaucoup plus loin pour ce qui concerne la sécurité et le développement avec l'état-major des armées. À l'heure du retour des tensions, de l'urgence climatique pour la biodiversité et des objectifs fixés en matière de développement durable, je crois - et je l'espère - que mon parcours correspond aux besoins de l'AFD.

S'agissant de la transformation de l'AFD, j'avais pris des engagements précis devant votre commission le 18 mai 2016, qui ont été tenus. L'AFD est devenue plus grande en trois ans : ses engagements annuels sont passés de 8,5 milliards d'euros à 11,5 milliards. L'agence a été recapitalisée par vos soins à hauteur de 2,5 milliards d'euros, et elle devrait disposer de plus de 2 milliards d'euros de ressources budgétaires supplémentaires nationales et européennes en 2019 par rapport à 2015. Notre capacité à intervenir en dons, qui est essentielle, dans les environnements les plus difficiles et dans les secteurs sociaux, en particulier, s'en trouve considérablement renforcée. Au nom de tous nos collaborateurs, je tiens à vous en remercier.

L'agence a aussi une plus grande influence pour être au service des priorités de notre politique étrangère. Elle est devenue plus agile dans les crises : le fonds Minka Paix et Résilience que nous avons créé intervient au Sahel, au Levant et en Centrafrique, les délais d'instruction des nouveaux projets ont été réduits de moitié et les versements ont été accélérés, avec un délai de décaissement deux fois plus rapide. Elle aussi devenue plus innovante pour s'adresser à la jeunesse et aux entrepreneurs du Sud : la plateforme Digital Africa accompagne les start-up françaises et le programme Choose Africa apportera des solutions de financement aux PME et aux TPE du continent.

L'agence intervient dans de nouveaux secteurs, les industries culturelles et créatives, en lien étroit avec l'Institut français et avec France Médias Monde. Le sport est également mis au service du développement, en mobilisant les grandes fédérations internationales et les sportifs français avec, pour horizon, les jeux Olympiques en 2024.

Enfin, l'agence est devenue beaucoup plus ouverte et partenariale. J'ai fait de l'accompagnement des collectivités territoriales françaises dans leurs actions de coopération une grande priorité : notre guichet baptisé Ficol - la facilité de financement des collectivités territoriales françaises - a été multiplié par deux. Nous accompagnons aujourd'hui plus de cinquante projets, et je veux tripler ce nombre d'ici à 2022. Je me serai bientôt rendu dans onze régions sur treize en trois ans.

L'agence a aussi renforcé ses liens avec la société civile dans une logique de co- construction. Le guichet dédié à ses initiatives a augmenté de plus de 40 % et nous l'associons de plus en plus aux autres projets de l'agence - elle fut associée à hauteur de 150 millions d'euros en 2018. L'expertise des acteurs de la société civile est essentielle, en particulier dans les pays les plus fragiles. Nous travaillons toujours plus étroitement avec les entreprises françaises : entre 2013 et 2018, celles-ci ont bénéficié de retombées économiques directes de près de 11 milliards d'euros et 85 % de nos projets en cours impliquent au moins un acteur économique français. Nous travaillons aussi très activement en Europe, la région qui fournit, vous le savez, plus de la moitié de l'aide au développement mondial. Un réseau européen se structure et sera bientôt fort d'une institution dans chaque État membre, peut-être même en Hongrie. L'AFD est la structure qui mobilise le plus les crédits de la Commission européenne, avec plus de 500 millions d'euros en 2018.

Nous travaillons, enfin, de manière beaucoup plus partenariale dans le monde avec l'Alliance Sahel, qui a été lancée en 2017 par le Président de la République et la chancelière. IDFC, le réseau des vingt-quatre plus grandes banques nationales et régionales de développement, que je préside depuis 2017, est le premier acteur mondial du financement du développement avec 850 milliards de dollars de financements par an, dont 200 milliards pour le climat.

Je suis depuis trois ans à l'écoute de vos orientations et, sous l'autorité des ministres de l'Europe et des affaires étrangères, de l'économie et des finances et des outre-mer, je travaille à regrouper, renforcer et mobiliser l'ensemble des partenaires de la politique de développement. Nous avons gagné en reconnaissance internationale.

Toutefois, cette transformation profonde est loin d'être achevée. Voici les trois axes autour desquels je souhaite structurer mon second mandat si j'ai votre confiance. Pour les définir, je me suis appuyé sur les rapports parlementaires rédigés par vos soins depuis deux ans ; je pense notamment au rapport d'information sur les interventions extérieures de la France, aux rapports budgétaires, au rapport d'information sur Expertise France, au rapport d'information concernant la filialisation de Canal France ou encore au rapport d'information sur les nouvelles routes de la soie.

Ma première priorité consistera à mettre en oeuvre la politique de développement de la France. L'AFD concrétise dans chaque pays, auprès de nos ambassadeurs, la stratégie de l'État définie sous le contrôle du Parlement et inscrite dans un contrat d'objectifs et de moyens. Le débat à venir sur le projet de loi d'orientation et de programmation pour la politique française de développement sera à cet égard particulièrement important. Notre priorité géographique, c'est l'Afrique, qui concentre les deux tiers des subventions accordées par l'agence au nom de l'État, dans dix-neuf pays prioritaires. Ainsi, 85 % de l'effort financier de l'État est réalisé en Afrique et au Proche-Orient. Dans le reste du monde, vous l'avez dit, monsieur le président, l'agence intervient principalement au service des biens communs et pour l'influence française. Je n'oublie pas, bien sûr, nos outre-mer où nous financerons avec ambition le développement durable et l'intégration régionale, avec cinq secteurs prioritaires : la lutte contre les vulnérabilités, l'éducation, le climat, l'égalité femmes-hommes et la santé.

Ma deuxième priorité sera de vous aider à mettre notre pays en coopération, selon la belle formule de Jean-Marie Tétart. L'AFD deviendra la plateforme vers le Sud qui accueille tous les acteurs souhaitant contribuer au développement de nos partenaires et créer un lien avec la France. Notre alliance avec la Caisse des dépôts et consignations contribuera à cet échange, mais je veux aller beaucoup plus loin avec les collectivités locales, les entreprises, les institutions de recherche, la société civile, les autres établissements publics de l'État, en mettant en place un réflexe partenarial au sein de l'AFD. Nous devons beaucoup mieux expliquer aux Français ce que nous faisons, car 80 % de nos concitoyens soutiennent l'action de la France pour le développement, mais 80 % d'entre eux se disent très insuffisamment informés et doutent encore de l'efficacité de cette politique. C'est pourquoi nous devons renforcer la transparence de nos actions ainsi que nos programmes d'éducation au développement en France et intensifier notre communication. Il s'agit, à mes yeux, d'un enjeu majeur, et je souhaite y travailler très étroitement avec la représentation nationale.

Enfin, ma troisième et dernière priorité sera d'achever la transformation interne de l'AFD en vue que cette dernière ait plus d'efficacité et d'impact sur le terrain. Je veux construire un véritable groupe AFD avec Proparco et, si vous le validez, avec Expertise France pour créer une offre française de développement puissante, lisible et cohérente. Le groupe ainsi constitué serait unique sur le plan international et constituerait un avantage comparatif pour notre pays.

Nous devons aussi poursuivre résolument la simplification de nos procédures et la recherche de gains d'efficience, tout en préservant la maîtrise de nos risques. Cela passera en particulier par un grand effort de modernisation de nos systèmes d'information sous le contrôle de notre conseil d'administration où vous êtes représentés.

Je veux aussi rendre l'AFD toujours plus exemplaire en plaçant l'environnement et le lien social au coeur de nos opérations, comme de nos pratiques professionnelles et quotidiennes. Nous avons bien progressé en termes de diversité et d'égalité entre les femmes et les hommes, en particulier dans notre réseau, mais nous pouvons faire mieux avec les 2 500 femmes de conviction qui y travaillent partout dans le monde.

Nous devons enfin moderniser notre gestion, avec la révision du statut du personnel de l'agence, comme l'a recommandé la Cour des comptes. J'engagerai cette réforme dès 2019 en associant les élus du personnel, et ce dans le respect du dialogue social.

Enfin, je porterai une très grande attention à l'évaluation. Vous savez mon engagement en la matière. Le Parlement a mis au coeur de ses préoccupations l'évaluation et l'efficacité des politiques publiques et souhaite renforcer son contrôle sur l'agence. J'y suis très favorable et je répondrai à toutes vos demandes et exigences. Je n'opposerai jamais la quantité à la qualité. Il n'est pas question de diminuer la qualité des projets, bien au contraire.

Mes réponses écrites à votre questionnaire, qui vous ont été transmises au début de la semaine, complètent et précisent ce propos liminaire trop court. J'ai l'honneur de solliciter votre confiance pour mettre en oeuvre ces orientations à vos côtés au cours des trois prochaines années.

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