Intervention de Mathieu Darnaud

Réunion du 12 juin 2019 à 15h00
Création d'un statut de l'élu communal — Discussion d'une proposition de loi

Photo de Mathieu DarnaudMathieu Darnaud :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi dont le Sénat est saisi aujourd’hui vise à améliorer le statut de l’élu communal. Le législateur se doit en effet d’offrir aux élus les garanties nécessaires pour qu’ils puissent exercer leur mandat dans de bonnes conditions, au service de l’intérêt général.

Des évolutions récentes rendent cette préoccupation aiguë : les vagues de décentralisation successives ont augmenté considérablement les responsabilités des élus locaux ; le droit à appliquer devient de plus en plus complexe, tandis que les services de l’État diminuent leur appui aux collectivités territoriales ; la montée en puissance de l’intercommunalité multiplie les instances auxquelles doivent assister les élus communaux ; les citoyens sont de plus en plus exigeants envers leurs élus qui sont, comme l’aime à dire le président Larcher, « à portée d’engueulade ». Résultat : l’exercice d’un mandat local demande toujours plus de temps et d’investissement, alors que les conditions d’exercice des mandats n’ont que faiblement progressé.

Le monde du travail évolue aussi, ce qui explique qu’il soit de plus en plus difficile de concilier l’exercice d’un mandat avec la vie professionnelle.

Enfin, la progression de la place des femmes dans les assemblées élues et l’évolution des structures familiales expliquent sans doute le besoin de trouver une meilleure conciliation entre l’exercice du mandat et la vie familiale.

Les maires et les autres élus municipaux sont le visage de la République au quotidien. Si nous souhaitons qu’ils continuent à s’engager, il est essentiel d’apporter des réponses à leurs attentes.

Notre délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation et la commission des lois se sont saisies de ce sujet. La délégation a lancé en décembre 2017 un travail d’ampleur, aboutissant à la conclusion que les conditions concrètes d’exercice des mandats locaux devaient être améliorées, sans que soit remise en cause la conception française de la démocratie locale. J’insiste sur ce point, parce que 17 500 des 35 000 maires ont pris la peine de répondre à la concertation à laquelle ils étaient conviés.

La délégation a publié le 5 juillet 2018 un rapport en six tomes, abordant chacun des secteurs dans lesquels des améliorations s’avèrent nécessaires. Il s’agit, pour mémoire, du régime indemnitaire, du régime social, de la formation, de la reconversion, de la responsabilité pénale et des obligations déontologiques. Elle a formulé 43 recommandations qui constituent une feuille de route pour les semaines et les mois à venir.

Par ailleurs, la commission des lois s’est largement saisie du sujet au travers des travaux de la mission de contrôle et de suivi des lois de réforme territoriale. Cette démarche a abouti à la rédaction d’un rapport visant à revitaliser l’échelon communal, qui porte de nombreuses propositions concernant les conditions d’exercice des mandats locaux.

Aussi, monsieur le ministre, invitons-nous le Gouvernement à s’inspirer sans retenue des apports du Sénat sur ce sujet dans le cadre de ses futurs projets de loi relatifs à la décentralisation et aux élus locaux.

C’est donc dans ce contexte que nous sommes appelés à examiner la proposition de loi créant un statut de l’élu communal, présentée par notre collègue Pierre-Yves Collombat et les membres du groupe CRCE et déposée sur le bureau du Sénat le 12 février 2019. Ce texte présente des pistes de réflexion intéressantes, sur des sujets consensuels comme la formation des élus, ou encore la transition entre le mandat local et la vie professionnelle. Je souhaite donc avant tout saluer l’initiative de notre collègue, qui apporte sa contribution à l’un des chantiers les plus déterminants pour l’avenir de nos communes : celui des conditions d’exercice des responsabilités et donc de la vigueur de la démocratie locale.

D’une manière générale, sans doute le texte gagnerait-il, afin de tendre vers les objectifs qu’il s’est fixés, à s’enrichir d’un certain nombre de modifications.

Au travers des auditions que j’ai menées, j’ai pu relever que certaines mesures prévues dans le texte, si elles tendent à répondre à des besoins avérés, demanderaient davantage d’expertise afin d’évaluer leur impact financier sur les communes et leurs groupements, ainsi que sur les entreprises.

Nous savons tous la modestie des moyens dont bénéficient les parlementaires dans le cadre de l’initiative législative et l’extrême difficulté de se livrer à une étude d’impact globale des réformes que nous aimerions apporter au droit existant. Mais certaines dispositions, dont je saisis pleinement l’intention, seraient même difficilement soutenables pour les communes sans une revalorisation très importante des dotations de l’État, sur laquelle nous n’avons malheureusement ici – je le regrette ! – aucune prise.

Par ailleurs, certaines divergences peuvent être observées entre les intentions exprimées par l’auteur de la proposition de loi dans l’exposé des motifs et les conséquences en droit des dispositions prévues. Certaines mesures pourraient même avoir des effets contre-productifs – nous y reviendrons.

Toutefois, en vertu de la sage coutume pratiquée dans notre assemblée, la commission des lois n’a pas établi de texte et a préféré que la discussion en séance porte sur le texte initial de la proposition de loi. Cela permet de respecter l’intégrité du travail mené par l’auteur tout en permettant, dans le cadre de la séance publique, de faire apparaître clairement les points de convergence et de divergence.

Dans cette perspective, la commission des lois a déposé plusieurs amendements visant à modifier, préciser ou compléter, parfois dans l’esprit poursuivi par l’auteur, le contenu de la proposition de loi. Ces amendements s’inscrivent dans la voie étroite laissée à l’initiative parlementaire par les règles constitutionnelles de recevabilité financière, c’est-à-dire l’article 40 de la Constitution, et constituent donc une base de discussion pour aboutir à une amélioration concrète des conditions d’exercice des mandats locaux.

Certains amendements visent à supprimer les mesures de la proposition de loi qui ne paraissent pas opportunes. Il s’agit notamment des dispositions relatives à la création d’un fonds national pour la formation des élus locaux, dont le dispositif de financement apparaît fragile, et à la création d’une majoration indemnitaire pour les maires des communes de moins de 10 000 habitants ayant cessé leur activité professionnelle pour se consacrer à leur mandat local ; des dispositions manquant de précision, comme les articles 5 et 6 de la proposition de loi, qui concernent les frais de garde des enfants des élus et diverses dispositions d’ordre fiscal ; des dispositions qui pourraient alourdir les contraintes pesant sur nos communes, notamment les plus petites d’entre elles.

D’autres amendements tendent à corriger certaines anomalies du droit existant : afin de donner aux conseillers communautaires des communautés de communes les mêmes droits que ceux des conseillers communautaires des autres catégories d’EPCI ; ou de prévoir une délibération des communes nouvelles dans les trois mois suivant leur création sur les orientations et crédits ouverts au titre de la formation des membres du conseil municipal.

Enfin, la commission des lois a donné un avis favorable à plusieurs amendements extérieurs qui complètent utilement le texte.

Mes chers collègues, améliorer les conditions d’exercice des mandats locaux constitue une ardente nécessité, d’autant plus impérieuse que les évolutions actuelles rendent les maires toujours plus vulnérables. Je vous propose donc d’engager une discussion sur ce sujet qui, ici – je le crois, et j’en suis même certain –, nous mobilise tous, afin de confirmer l’engagement de notre assemblée en faveur de cette évolution. Cette discussion pourra nous permettre également d’examiner les points de convergence entre nos positions et celles du Gouvernement. C’est d’ailleurs l’une des vertus du texte proposé par notre collègue Pierre-Yves Collombat et les membres de son groupe que de nous offrir l’occasion d’interpeller le Gouvernement à travers vous, monsieur le ministre, pour lui rappeler la vigilance de la Haute Assemblée quant aux engagements qu’il a pris, afin qu’ils ne restent pas lettre morte.

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