Intervention de Éric Kerrouche

Réunion du 12 juin 2019 à 15h00
Création d'un statut de l'élu communal — Discussion d'une proposition de loi

Photo de Éric KerroucheÉric Kerrouche :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat que nous allons engager est un débat du moment à en croire les annonces du Président de la République, qui parlait d’un « statut digne de ce nom », à en croire aussi le discours de politique générale que nous venons d’entendre et à en croire les propos que M. le ministre vient de tenir voilà quelques instants.

Tout vient à point à qui sait attendre ! Nous sommes heureux que l’exécutif s’intéresse enfin aux élus locaux et aux territoires, sous l’angle de la confiance et de la bienveillance.

En matière de dialogue entre l’État et les collectivités locales, on ne peut pas dire que l’année 2018 ait été caractérisée par la joie et la bonne humeur : contractualisation déséquilibrée, conférence nationale des territoires en échec, démission des élus locaux, dérapage du « BalanceTonMaire »… Tout cela suivi par le mouvement des « gilets jaunes », par l’opération « mairie ouverte » et par le grand débat pour revenir à de meilleurs sentiments et réaliser enfin le rôle indispensable joué par les bâtisseurs du quotidien que sont les élus locaux dans notre République, sans oublier, bien évidemment, la perspective des municipales de 2020…

Monsieur le ministre, je partage votre avis : beaucoup de communes n’auront peut-être aucun candidat aux prochaines élections municipales et certains maires en place n’arriveront pas à boucler leur liste. Les études menées par le Cevipof et par le Sénat soulignent que cette proportion peut s’élever jusqu’à 50 %, voire même dépasser ce taux dans les plus petites communes.

Vous qui avez de l’influence, pourriez-vous demander à Mme Jacqueline Gourault de répondre à la question écrite que je lui ai posée en novembre 2018 et en janvier 2019 pour obtenir enfin une comptabilisation exacte, et par strate, des démissions d’élus. Elle s’y était engagée lors d’une audition devant la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation. Je lui ai rappelé la nécessité de répondre à cette question en janvier dernier, et j’ai échangé avec plaisir avec ses collaborateurs… Il ne s’agit pas d’avoir des informations pour avoir des informations, mais de savoir où ont lieu ces démissions. Cette question a toute son importance dans la définition du statut de l’élu.

Cette vague de démissions et ces potentielles situations inédites que vous évoquez, monsieur le ministre, ont révélé publiquement le désenchantement qui touche les élus locaux. S’il n’y a pas de raison univoque à ce malaise – il ne s’agit pas uniquement des effets de la dernière loi d’organisation territoriale –, il faut s’interroger sur les conditions d’exercice du mandat d’élu local, ce dont Pierre-Yves Collombat nous donne aujourd’hui l’occasion.

La perspective est double : améliorer les conditions d’exercice des mandats locaux est tout simplement une exigence démocratique. De multiples dispositions se sont structurées et sédimentées depuis les grandes lois de décentralisation de 1980. Plusieurs lois, en 1992, en 2002 et, plus récemment, en 2015, sur l’initiative de Mme Gourault et de notre collègue Jean-Pierre Sueur, sont venues compléter ces premières mesures.

Ces différentes dispositions ont été rendues nécessaires par le changement du contexte d’exercice des mandats : technicisation, responsabilités croissantes, temps consacré aux mandats, exigence de nos concitoyens justifient un changement de braquet.

Les résultats de la consultation menée par le Sénat auprès des 17 000 répondants et à laquelle j’ai pu participer au titre de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation ont mis en lumière cette nécessité de transformation. Un point saillant ressort de cette consultation : il faut démocratiser les fonctions électives.

Quand on parle de statut, certains pensent privilèges ou avantages indus. Ce n’est absolument pas la question : il s’agit, bien au contraire, de restituer la vitalité démocratique locale et de mieux représenter notre population, ce que ne permettent pas aujourd’hui les conditions du statut d’élu local.

La situation actuelle et la législation en vigueur profitent à certaines professions – comme les professions intellectuelles ou les cadres, au détriment des ouvriers –, à certains statuts sociaux – les fonctionnaires, au détriment des représentants du secteur privé –, à certaines classes d’âge – les retraités et préretraités – et, d’une façon plus générale, aux hommes, aussi bien en termes quantitatifs qu’en termes de responsabilité. L’ensemble de ces éléments a forcément un effet sur les politiques publiques choisies. Le statut de l’élu doit donc permettre d’ouvrir les fonctions électives à de nouveaux profils et d’éviter une représentation monolithique.

Le deuxième aspect qu’il convient de souligner est qu’il est peut-être nécessaire de rompre avec une vision strictement homogène du statut et d’aller vers davantage d’adaptabilité.

Tout d’abord, d’un point de vue démographique, on observe une véritable césure entre le rural et l’urbain liée à la rareté des ressources. Le poids des responsabilités est plus difficilement vécu par les élus des structures les moins peuplées avec, pour corollaire, le risque accru d’un départ.

Ensuite, d’un point de vue fonctionnel, on constate une rupture de plus en plus tranchée au sein de la population des élus entre ceux qui disposent de pouvoirs exécutifs et les autres.

Tous ces critères se superposent, ce qui amène nécessairement à prendre en compte cette complexité. Au risque de me répéter, l’amélioration des conditions d’exercice des mandats locaux est avant tout une exigence de notre démocratie, qui se justifie encore plus en ces temps parfois troubles pour notre système politique et pour notre République.

Cette proposition de loi du groupe CRCE répond justement à ce débat. Pierre-Yves Collombat souligne que le statut de l’élu a pour but de « faciliter l’accession du plus grand nombre aux fonctions électives sans préjudice professionnel ou financier. Il doit permettre la représentation de la population dans toute sa diversité. » Peut-être incomplet, ce texte comporte néanmoins des apports certains.

Comme M. le rapporteur l’a souligné, on peut relever une forme d’incomplétude : un certain nombre des dispositifs proposés mériteraient de faire l’objet d’une étude d’impact pour en mesurer l’efficacité. On pourrait également modifier certains seuils ou taux… Toujours est-il que cette proposition de loi va dans le sens d’une amélioration de l’existant, ce que nous réclamons tous.

Avant d’en venir à mon dernier point, je voudrais signifier un petit regret personnel, celui de n’avoir pu faire aboutir un amendement – jugé irrecevable au titre de l’article 40, que nous chérissons tous – visant à reporter la suppression des indemnités de fonction des présidents et vice-présidents des syndicats.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion