Je remercie également les rapporteurs pour leur travail. L'objectif affiché de ce projet de loi est de refonder le contrat social qui lie nos agents publics au service de leur pays et de mettre en oeuvre une transformation ambitieuse de la fonction publique. En creux, ce texte transcrit la vision de l'action publique et de la place de l'État du Président de la République ; il préfigure le plan Action publique 2022, qui aurait d'ailleurs dû être mis en oeuvre avant la présentation de ce texte...
Ce texte prévoit une vaste réorganisation et restructuration de la fonction publique dans son ensemble et répond à l'objectif affiché en début de quinquennat, même si des nuances ont été apportées depuis lors : supprimer 120 000 emplois.
Je crois qu'il est utile de rappeler qu'il existe deux conceptions de la fonction publique : la première, plutôt anglo-saxonne - je pense notamment à ce qu'on appelle le spoil system aux États-Unis -, part de la notion d'emploi ; la seconde, qui est la tradition française, s'appuie sur la carrière. Dans le premier cas, les agents sont recrutés par contrat sans garanties particulières de formation, les avancements ne sont pas prédéfinis et ils ne font pas carrière au sein de l'administration. Dans le second cas, servir l'État ou la puissance publique n'est pas un métier comme un autre ; c'est une fonction sociale qui s'apprécie dans la durée et le fonctionnaire est recruté dans cette perspective : il doit avoir la vocation, passer un concours, avoir une formation adaptée, prendre en considération l'intérêt général et renoncer à cumuler des fonctions professionnelles pour consacrer sa vie à la fonction publique.
Or on ne sert pas la puissance publique comme une société privée ! Il est particulièrement utile de le rappeler aujourd'hui.
Les textes en vigueur s'inspirent de principes affirmés en 1946, et datent surtout des années 1980. Ils reposent sur trois principes : l'égalité, l'indépendance vis-à-vis du pouvoir politique et la citoyenneté. En contrepartie, les fonctionnaires ont pour obligation de servir l'intérêt général et de faire preuve de probité et d'indépendance.
Le projet de loi n'attaque pas frontalement le statut de la fonction publique, mais selon nous, il le contourne en remettant en cause le système de la carrière.
Il affaiblit le dialogue social à tous les étages, en donnant une prééminence au Conseil commun de la fonction publique sur les conseils supérieurs, en fusionnant les comités techniques et les CHSCT, et en réduisant le périmètre des CAP qui n'examineront plus les décisions individuelles en matière de mobilité, de mutation, d'avancement et de promotion et qui deviennent en fait des instances de recours.
En outre, ce projet de loi met en concurrence les fonctionnaires et les contractuels, puisque le recrutement de ces derniers devient de droit commun et n'est plus dérogatoire. Le recours aux contrats est élargi pour les emplois de direction, pour les projets et pour de nombreux autres postes, en particulier pour les emplois non permanents de la fonction publique territoriale. Ce sont d'ailleurs les fonctionnaires territoriaux qui paieront le tribut le plus lourd : ils seront pris en tenailles entre l'arrivée massive de contractuels et la mobilité voulue par le Gouvernement des fonctionnaires d'État vers des emplois dans les collectivités territoriales.
En outre, le projet de loi aligne la fonction publique sur les standards du privé, en allégeant les règles de déontologie, ce qui n'est pas acceptable.
Il met aussi en oeuvre des mesures permettant de diminuer explicitement le nombre d'agents. Je pense à l'extension de la rupture conventionnelle à la fonction publique et au principe du détachement d'office en cas d'externalisation de service.
Seul le titre V du projet de loi, qui est relatif à l'égalité professionnelle, va dans le bon sens mais il marque le pas par rapport à la période précédente et les mesures qu'il contient sont beaucoup trop timides.
Selon nous, une autre réforme était possible pour redonner du sens aux missions de service public, lutter contre la précarité et améliorer le dialogue social.