Cette audition intervient dans un moment charnière pour l'entreprise Radio France. Comme vous venez de le rappeler, j'ai présenté la semaine dernière, en conseil d'administration puis au comité central d'entreprise et à l'ensemble des collaborateurs de Radio France, le nouveau projet stratégique à l'horizon 2022. Ses enjeux ont également été présentés dans le Livre blanc que nous avons adressé aux membres de la Commission. Il est important, lorsqu'on prépare un projet d'une telle ampleur, d'expliquer aux différentes parties prenantes - à la fois les salariés en interne, mais aussi l'ensemble des acteurs impliqués qui ont un regard vigilant, sinon souvent bienveillant, sur notre maison - quels en sont les enjeux et les défis, de manière à ce que la stratégie, que nous avons élaborée depuis plusieurs mois, puisse être comprise.
J'ai à mes côtés Xavier Domino, secrétaire général de Radio France et Marie Message, qui m'a remplacée dans mes précédentes fonctions de directrice des opérations et des finances de Radio France.
Les enjeux de Radio France pour l'avenir fournissent le point de départ de ce projet stratégique. Ils sont intimement liés à ceux qui traversent la société française. Ainsi, le premier de ces enjeux concerne la baisse de la ressource publique. Il y a un an, le Gouvernement a annoncé une baisse de la redevance attribuée à Radio France à hauteur de 20 millions d'euros. Cependant, cette équation financière ne résume pas, à elle seule, la totalité des enjeux de Radio France.
En effet, deux autres enjeux sont tout aussi importants : le défi technologique, d'une part, la crise de confiance vis-à-vis des médias, d'autre part. Nous traversons ainsi une révolution numérique impliquant, à son tour, une révolution du son, avec notamment le développement des assistants vocaux, de la commande vocale et des enceintes connectées qui impliquent une nouvelle manière d'écouter la radio. Un véritable univers de l'audio est en cours de constitution et attire de nouveaux acteurs, comme les plateformes de podcasts qui se positionnent sur l'univers du son. Radio France, en tant qu'acteur dont le son est le coeur de métier, doit accélérer sa transformation numérique pour répondre aux usages nouveaux qui se développent.
Le troisième défi demeure la crise de confiance qui touche les médias, comme d'autres institutions. Notre société est travaillée par la défiance : l'individualisme, le relativisme, la désinformation et le complotisme se développent, et nos jeunes en particulier y sont vulnérables. Dans le même mouvement, la culture se globalise sous l'effet de quelques grands acteurs en situation dominante qui l'uniformisent.
Radio France, comme entreprise de médias de service public, a une responsabilité forte qu'elle a assumée, ces derniers mois, lors de la crise des gilets jaunes. Elle a ainsi défendu l'éthique du débat public en refusant sa transformation en arène, en défendant l'existence des faits contre la désinformation, en décryptant l'actualité au vue des acquis de l'histoire des idées et de la connaissance et en luttant contre l'uniformisation culturelle. Dès lors, dans ce contexte, un média de service public représente une alternative aux médias payants ou uniquement polarisés sur l'audimat, le buzz ou encore le clic.
Radio France a su proposer aux Français une information répondant à leur quotidien. Ainsi, sur quelle autre radio que France inter pouvait-on entendre au lendemain de l'incendie de Notre-Dame de Paris, la lecture de l'oeuvre de Victor Hugo par Guillaume Gallienne ? Qui d'autre que France info a consacré autant d'heures à informer sur les enjeux des élections européennes ? Je pourrais multiplier les exemples et c'est pour moi autant de raisons qui démontrent la nécessité pour Radio France de demeurer une entreprise forte qui défend les valeurs du service public dans une société qui devient de plus en plus numérique.
Sur la base de ces enjeux, nous avons élaboré une stratégie pour les prochaines années avec l'ambition que Radio France, qui est aujourd'hui le premier groupe radio en France, devienne demain le leader de l'audio - à la radio et sur le numérique - au service de tous les Français. Pour cela, Radio France devra être forte à la fois sur son métier - l'audio - et sur ses missions de service public. La réalisation de notre stratégie ne doit pas conduire à sacrifier son ambition éditoriale, mais implique de garder son actuel périmètre, c'est à dire nos sept chaînes, les 44 antennes locales de France Bleu et nos quatre formations musicales. J'ai la conviction que chacune de nos chaînes assume également cette mission de service public, comme en témoigne l'augmentation historique de leurs audiences respectives.
Garder l'ensemble de ces chaînes n'est pas le choix le plus facile. D'autres groupes de médias n'hésitent pas à supprimer des chaînes pour réaliser des économies. Aussi, les futures économies de Radio France seront obtenues en réorganisant et en conduisant des réformes en profondeur, quitte à concentrer ses moyens sur les missions estimées prioritaires, à savoir l'information, la proximité, la culture et la proposition de programmes aux jeunes publics.
Je reviendrai sur la place spécifique de la musique pour Radio France, forte de ses quatre formations musicales qui participent au rayonnement international de la France. En comparaison avec l'Allemagne, qui compte huit orchestres de dimension internationale, ou le Royaume-Uni, où la BBC dispose de cinq formations symphoniques, ces quatre formations n'apparaissent pas comme excessives. Néanmoins, ces quatre formations ont-elles vocation à demeurer au sein de Radio France ? En accueillant ces formations musicales, Radio France est en mesure de faire rayonner leurs activités, en diffusant en direct leurs concerts sur France Musique dont l'audience peut atteindre 150 000 auditeurs lors des soirées de concert. Par ailleurs, toujours dans cet objectif d'élargir le nombre de Français en contact avec la musique symphonique, l'Orchestre national de France devrait se spécialiser sur l'interprétation du grand patrimoine européen jusqu'à la fin du XIXe siècle, et l'interpréter dans le cadre de tournées dans les territoires après chaque concert à Radio France. Ainsi, les habitants des territoires, qui ne disposent pas d'orchestres symphoniques susceptibles d'interpréter certaines oeuvres d'auteurs comme Debussy, Ravel ou Berlioz, pourront avoir accès à ce répertoire français. L'autre orchestre sera quant à lui spécialisé sur l'accompagnement de la création plus contemporaine, qu'il s'agisse de commandes d'oeuvres à des compositeurs contemporains - l'année dernière, 61 oeuvres ont ainsi été créées - ou de l'accompagnement d'artistes. Radio France tire ainsi parti de son statut de premier acteur de la musique en France, grâce à l'ensemble de ses chaînes qui lui permettent de diffuser tous les genres musicaux et sont souvent les lieux où les artistes français font leurs débuts avant, pour certains d'entre eux, d'accéder à une plus large notoriété.
Notre seconde priorité stratégique est de parler à tous les Français. Il faut ainsi à Radio France continuer à rajeunir et à renouveler son audience. Ces dernières années, nous sommes parvenus à susciter l'intérêt de nouveaux publics, souvent plus jeunes. Ainsi, parmi les 1,3 million de nouveaux auditeurs des chaînes de Radio France depuis trois ans, 500 000 ont moins de 35 ans. A rebours du média radio, qui voit l'âge de ses auditeurs augmenter, Radio France est le seul groupe de radio en France qui a vu s'abaisser l'âge de ses auditeurs. De tels résultats sont à mettre au compte de la stratégie éditoriale, ainsi que de l'augmentation de la présence numérique dans le prolongement de chacune de nos chaînes, mises en oeuvre ces dernières années. Les personnes qui nous découvrent sur le numérique peuvent nous rejoindre ensuite comme auditrices.
Nous allons poursuivre ces efforts, afin de devenir le miroir le plus fidèle possible de la société française. Outre le nombre d'auditeurs, Radio France doit viser les différentes catégories socio-professionnelles ; France Bleu touchant, grâce à ses stations locales, des auditeurs plus populaires auxquels les autres chaînes ne s'adressent qu'insuffisamment. De plus en plus d'auditeurs de France info et de France inter appartiennent à la catégorie des catégories socio-professionnelles les moins favorisées (CSP-). Preuve que les efforts doivent être intensifiés en ce sens ! Pour se faire, il importe de répondre aux nouveaux usages d'écoute et de travailler sur l'accessibilité et la stratégie de diffusion de nos programmes.
Vous avez évoqué, madame la présidente, la radio numérique terrestre (RNT), avec la technologie DAB+ dont le choix devrait générer un accroissement de nos charges de diffusion à hauteur de 5 millions d'euros d'ici à 2022. La radio est un média qui accompagne et l'écoute de la radio en direct demeure très importante dans les pays où les usages du numérique sont bien plus avancés. En France, le média radio s'écoute encore à près de 87 % en direct. La RNT permet de disposer d'une technologie gratuite et anonyme, sans recourir à un opérateur télécom. Elle va également permettre d'étendre la couverture de nos antennes - comme France info ou encore FIP ou le Mouv - lesquelles, jusqu'à présent, n'étaient pas accessibles sur l'ensemble du territoire national.
La distribution numérique, qui permet d'obtenir un usage individualisé de la radio, représente également un enjeu important. Le coeur de notre stratégie est ici une plateforme numérique au sein de laquelle toutes les offres de Radio France pourront être écoutées, ainsi que les orchestres dont les concerts sont diffusés en direct et captés grâce à un partenariat que nous avons avec Arte.
Enfin, cette stratégie de distribution implique aussi de remédier à la désintermédiation de nos radios, à l'instar de ce qu'éprouvent actuellement un grand nombre d'acteurs médiatiques. Aujourd'hui, 85 % des podcasts de Radio France sont écoutés sur des plateformes tierces, de même que 65 % de l'écoute en direct de nos radios. Aussi, à terme, une telle tendance risque de couper Radio France de son public. En effet, faute de connaître la manière dont notre public écoute nos contenus, nous ne serons pas en mesure de maîtriser les propositions éditoriales et ainsi de proposer des programmes en phase avec l'évolution des usages. Dès lors, cette stratégie privilégie la maîtrise de notre distribution ; cette préoccupation est partagée avec le secteur de la presse qui a cherché, au cours de ces dernières années, à faire revenir ses lecteurs sur ses propres plateformes avec des offres par abonnement. En tant que fournisseur d'un service public, notre enjeu est de demeurer accessible et de garder un lien direct avec le public.
En outre, l'ensemble de cette stratégie vise à nous renforcer sur l'audio, qui constitue notre coeur de métier et nous permet, au sein de l'audiovisuel public, de nous différencier et d'apporter notre complémentarité. Une réorganisation importante va nous permettre d'organiser notre transformation numérique. Si de nombreuses innovations ont été conduites au sein de nos équipes durant ces dernières années, il importe désormais de les amplifier et les propager au sein de toutes les chaînes et les activités au sein de notre entreprise. Une telle démarche s'accompagne de l'évolution des métiers et des parcours professionnels. Par ailleurs, un plan d'investissement pour ces trois prochaines années, à hauteur de 25 millions d'euros, permettra de produire et de diffuser sur le numérique, dans les meilleures conditions possibles, des contenus audio.
L'investissement dans la formation sera dans le même temps multiplié par trois. Cette transformation durera ces trois prochaines années et sera assurée dans le cadre d'un nouveau pacte social que j'ai proposé aux partenaires sociaux, avec lesquels nous devrions, dès la prochaine rentrée, négocier un accord de gestion des parcours et des emplois professionnels destiné à accompagner la transformation des métiers et des compétences au sein de l'entreprise. Cet accord se traduira également par un certain nombre de départs volontaires ; une fourchette entre 270 et 390 départs volontaires a d'ailleurs été annoncée aux partenaires sociaux la semaine dernière. L'ampleur de ces départs dépendra cependant de notre capacité de négociation sur l'organisation du temps de travail qui représente un sujet d'importance pour Radio France où tout est produit en interne. En effet, les rythmes des équipes sont organisés pour répondre à une activité qui se déroule en continu. Il nous faut ainsi travailler avec les partenaires sociaux sur à la fois les règles et les pratiques, de manière à les faire converger vers les meilleurs standards en vigueur dans les autres entreprises du secteur et à assurer, en retour, l'adéquation complète entre nos moyens et nos activités. Cette négociation devrait nous occuper fortement dans les mois à venir.
Le moment est venu de conduire cette transformation ambitieuse et longue. Aujourd'hui, nos résultats, en termes d'audience, sont historiques. 15 millions de Français écoutent quotidiennement une radio de notre entreprise ; France inter est devenue la première radio en France, les audiences de France info sont au même niveau que lors de la dernière élection présidentielle et les audiences de France musique viennent de dépasser celles de sa concurrente privée. De tels résultats traduisent les efforts et le travail poursuivis ces dernières années. C'est pourquoi, cette transformation est requise pour demeurer à ce niveau élevé, afin de construire l'avenir.
En outre, durant ces dernières années, le redressement financier de Radio France a été conduit, notamment grâce au contrat d'objectifs et de moyens (COM). D'ailleurs, depuis ces trois dernières années, nous avons clôturé nos exercices avec des résultats excédant les attentes du COM et en 2018, nous avons terminé l'année avec un résultat positif de plus de 7 millions d'euros, au lieu des 0,5 million d'euros prévu.
Enfin, s'agissant du chantier de réhabilitation, nous avons engagé une réorganisation du pilotage de ce chantier que j'avais eu l'occasion d'évoquer devant vous, lors de mon audition de l'année passée. Nous ne nous contentons plus d'estimer les retards engrangés. A l'inverse, nous nous sommes fixés un objectif de coûts et de délais que nous respectons.
C'est quand on va bien qu'il faut préparer l'avenir et c'est ce que nous nous efforçons de faire aujourd'hui. Je vous remercie de votre attention et me tiens à votre disposition pour répondre à toutes vos questions.