Intervention de Bernard Doroszczuk

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques — Réunion du 16 mai 2019 à 10h15
Présentation ouverte à la presse du rapport annuel pour l'année 2018 de l'autorité de sûreté nucléaire asn sur l'état de la sûreté nucléaire et de la radioprotection en france par m. bernard doroszczuk président de l'asn

Bernard Doroszczuk, président de l'ASN :

Après cette présentation portant sur un sujet spécifique, je vais présenter le bilan annuel de l'ASN dans son ensemble. Le rapport annuel de l'ASN pour 2018 s'articule autour d'un constat général, de trois points de vigilance, et de trois messages pour le moyen terme.

Le constat général est qu'en 2018 la sûreté nucléaire et la radioprotection se sont globalement maintenues à un niveau satisfaisant en France. Dans le domaine nucléaire, aucun incident majeur n'a affecté les installations nucléaires en 2018, et aucun événement significatif pour la sûreté, de niveau 2 ou supérieur à 2, n'a été déclaré sur l'ensemble des sites en exploitation. Le dialogue technique avec les exploitants nucléaires a été approfondi et a permis d'avancer de manière positive sur l'amélioration de la sûreté des installations.

Les mesures engagées par les exploitants suite à la découverte de fraudes - un sujet abordé l'an dernier - ont réellement permis de progresser. Par exemple, EDF a adapté ses pratiques, en ayant recours à des contrôles inopinés ou contradictoires. L'ensemble de la revue des dossiers des pièces forgées au Creusot a été réalisé dans les délais par EDF et Framatome, pour la fin de l'année 2018. Cette revue n'a révélé aucun sujet majeur qui nécessiterait des interventions sur les équipements en service. Certains contrôles et essais complémentaires resteront néanmoins à effectuer en 2019, notamment sur des pièces de fabrication moulées.

Le niveau de sûreté des installations exploitées par Orano Cycle a globalement progressé au cours de l'année 2018. Un certain nombre d'installations anciennes ont progressivement été fermées et remplacées par des installations nouvelles, plus adaptées et plus en rapport avec les nouveaux standards de sûreté. Orano a également mis en oeuvre la totalité des travaux prévus dans les mesures post-Fukushima, et a renforcé la résistance de ses installations aux risques d'événements extrêmes, notamment en mettant en place des bâtiments de gestion de crise plus robustes sur les sites du Tricastin et de La Hague.

Les ressources organisationnelles et techniques de l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA) sont satisfaisantes. L'ASN a émis un jugement positif sur la manière dont les déchets sont gérés par l'ANDRA. Le projet de stockage Cigéo a franchi une étape importante en 2018, avec l'avis de l'ASN relatif au dossier d'options de sûreté. Cet avis est très positif. Néanmoins, certains points ont été soulevés, notamment celui du traitement des déchets bitumés. Une revue pluridisciplinaire et internationale a été engagée sur ce sujet.

Enfin, en ce qui concerne la sûreté des installations exploitées par le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), l'ASN estime que le niveau de sûreté est globalement acceptable, dans un contexte budgétaire difficile. Je reviendrai sur les opérations de démantèlement et de reprise des déchets anciens.

Dans le domaine médical, l'ASN estime que la situation est restée stable en 2018, avec une prise en compte satisfaisante des enjeux de radioprotection par l'ensemble des professionnels, à l'exception de ceux impliqués dans les pratiques interventionnelles radioguidées.

Le nombre d'événements significatifs en radioprotection déclarés à l'ASN dans le domaine médical a augmenté. Néanmoins, ces événements, pour la grande majorité de niveau 0 ou 1, ne présentent pas d'enjeux en termes médical. Ils ne donnent notamment pas lieu à des conséquences cliniques attendues. Toutefois, la persistance d'événements classés au niveau 2 (six événements en 2018) dans les traitements de radiothérapie, de nature récurrente en termes d'erreurs de dose ou de latéralité, exige une analyse approfondie de leurs causes et un renforcement des actions de prévention.

Derrière ces constats généraux globalement positifs, l'ASN souhaite mettre en avant trois points de vigilance, deux dans le domaine nucléaire et un dans le domaine médical.

Dans le domaine nucléaire, le premier point de vigilance concerne le conditionnement des déchets et les opérations de démantèlement, qui rencontrent encore trop souvent des difficultés : soit des retards, soit des ajournements d'opérations prévues. Par exemple, EDF a modifié sa stratégie de démantèlement des réacteurs graphite gaz (UNGG), ce qui va vraisemblablement conduire à des reports d'opérations de démantèlement de plusieurs dizaines d'années. Il en va de même chez Orano Cycle, pour la reprise et le conditionnement des déchets anciens du site de La Hague.

Enfin, pour le CEA, l'un des principaux enjeux est d'assurer le démantèlement d'une quarantaine d'installations déjà arrêtées, ainsi que la reprise des déchets anciens, dans un contexte budgétaire extrêmement contraint, qui impose d'étaler les opérations dans le temps, ce qui constitue un véritable souci. À la demande de l'ASN, le CEA a réalisé un travail approfondi de priorisation. L'ASN rendra prochainement un avis sur celle-ci, conjointement avec l'Autorité de sûreté nucléaire de défense (ASND), ce qui permettra d'avoir une vision d'ensemble de la stratégie, tant sur les installations civiles que sur les installations intéressant la défense.

De manière générale sur ces sujets de démantèlement, l'ASN souligne les insuffisances des exploitants en termes de gestion de projet, et sera très vigilante au cours de l'année 2019, en réalisant sur ce sujet ciblé un certain nombre d'inspections chez les exploitants.

Le deuxième point de vigilance dans le domaine nucléaire concerne la qualité des opérations de maintenance et la maîtrise du vieillissement des installations. À l'instar des années précédentes, malgré les progrès réalisés, l'ASN considère que l'état de conformité des installations, qui a été amélioré, doit cependant encore progresser. En particulier, les exploitants doivent engager des actions volontaristes pour améliorer les conditions de maintenance, et se montrer plus vigilants sur les risques liés au vieillissement des installations.

C'est notamment le cas pour les réacteurs d'EDF. En 2018, l'ASN a de nouveau soulevé des écarts génériques déclarés par l'exploitant. Ils concernent, par exemple, des écarts par rapport au référentiel de sûreté relatif à la tenue aux séismes des équipements installés, parfois depuis très longtemps, y compris depuis l'origine de la construction des réacteurs.

C'est aussi le cas pour les installations Orano Cycle de La Hague, pour lesquelles des phénomènes de vieillissement ont récemment été identifiés, notamment sur les évaporateurs - concentrateurs, et les roues de dissolveurs. Ces problèmes montrent que ces installations anciennes doivent faire l'objet d'une vigilance renforcée, suivant un plan de contrôle détaillé. Orano en a proposé un, mais il reste à le mettre en oeuvre de manière approfondie.

C'est enfin le cas du CEA, dont le report des projets de remplacement de certaines installations très anciennes et très éloignées des standards de sûreté actuels, à Cadarache et à Saclay, qui doivent faire l'objet d'une vigilance particulière en matière de vieillissement.

Ces sujets liés au bon état des installations et au vieillissement seront notamment investigués en profondeur dans le cadre des examens de conformité réalisés lors des réexamens de sûreté des installations. Ainsi, les réacteurs de 900 mégawatts, qui vont entrer en quatrième visite décennale (VD4), feront l'objet d'un examen de conformité étalé dans le temps, à partir d'aujourd'hui jusqu'en 2030. Ce sera également le cas pour les laboratoires et usines ayant fait l'objet d'un réexamen en 2017, qui sera poursuivi en termes de conformité.

Le dernier point de vigilance concerne le domaine médical. Tout d'abord, dans le domaine des pratiques interventionnelles radioguidées, l'ASN considère que les mesures importantes qu'elle a préconisées depuis de nombreuses années, pour améliorer non seulement la radioprotection des patients, mais aussi celle des professionnels de santé, notamment en ce qui concerne les actes de chirurgie réalisés dans les blocs opératoires, ne sont toujours pas prises en compte. Des écarts réglementaires sont fréquemment relevés en inspection, et des événements importants pour la radioprotection sont déclarés, avec des dépassements de limites de dose aux extrémités des membres des praticiens interventionnels, notamment aux mains.

Cependant, l'état de la radioprotection est meilleur dans les services qui utilisent ces technologies depuis longtemps, par exemple dans les centres d'imagerie, où sont réalisées des activités de neurologie ou de cardiologie interventionnelle, ou dans les services qui bénéficient de la prestation d'un physicien médical.

En matière d'imagerie médicale, domaine où la population française est la plus exposée en termes de rayonnements, le développement de l'utilisation du scanner n'est pas, de notre point de vue, fondée, au regard des technologies alternatives disponibles, notamment l'imagerie par résonance magnétique (IRM) et l'échographie. La justification de ces actes doit encore être précisée, notamment par les médecins prescripteurs. Nous espérons que le plan d'action mis en place pour maîtriser les doses délivrées au patient, et les obligations récentes d'assurance qualité dans les centres d'imagerie médicale, permettront de progresser.

De manière générale dans le secteur médical, un travail important de sensibilisation et de formation continue des praticiens de santé doit être réalisé, pour parvenir à une meilleure perception des enjeux.

Pour terminer, je formule trois messages pour le moyen terme. Le premier message concerne l'anticipation des enjeux de sûreté et de radioprotection. Le nucléaire est le domaine du temps long. Ce qui n'est pas décidé, pas engagé, pas autorisé dans les deux à trois ans qui viennent ne sera pas disponible dans les dix à quinze ans. Il faut constamment anticiper les enjeux de sûreté et de radioprotection. La mission de l'ASN consiste également à inciter les acteurs à anticiper.

Nous l'avons fait en 2018, avec l'avis que nous avons rendu sur la cohérence du cycle du combustible. Il a conduit les différents acteurs à étudier, pour faire face au besoin d'ici quinze ans, la mise en place de nouvelles capacités d'entreposage des combustibles usés, s'ajoutant à celles déjà identifiées comme nécessaires dans le plan national de gestion des matières et déchets radioactifs 2016-2018.

Nous l'avons également fait dans le cadre de l'élaboration de ce dernier, que nous co-pilotons avec la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC). Nous avons anticipé le débat public sur la gestion des déchets nucléaires, qui vient de commencer. Ce débat, très important, devrait permettre de progresser dans la recherche de solutions. Dans les deux à trois ans qui viennent, nous avons de vrais choix à faire pour créer des filières de traitement et de gestion des différents types de déchets. À défaut, ces filières ne seront pas opérationnelles dans les dix à quinze ans qui viennent, ce qui pourrait causer des difficultés pour les opérations de démantèlement à venir.

Dans le secteur médical, l'incitation à anticiper concerne l'utilisation de nouvelles technologies médicales innovantes, ou de nouveaux traitements radio-pharmaceutiques, notamment par radiothérapie interne vectorisée. Là encore, pour ne pas freiner l'innovation et le déploiement de ces technologies, il faut anticiper les conséquences en matière de radioprotection.

Le deuxième message porté par l'ASN concerne le maintien des marges pour la sûreté, sur deux aspects.

Le premier concerne la défense en profondeur. Face aux aléas industriels, aux risques de vieillissement, et aux défauts qui peuvent parfois être découverts après la mise en service d'une installation, il faut conserver des marges pour la sûreté, en ne cherchant pas à les réduire, dans une logique d'optimisation de court terme. Avoir des marges pour faire face aux aléas constitue le premier niveau de défense en profondeur. L'ASN s'attachera à ce que cette démarche de prudence s'applique, tant dans les constructions neuves que dans le cadre des réévaluations de sûreté en cours pour les réacteurs de 900 mégawatts, puis de 1 300 mégawatts.

Mais le maintien des marges pour la sûreté doit également être pris en compte dans une approche plus large du fonctionnement du système nucléaire dans son ensemble. Dans son avis sur la cohérence du cycle du combustible, l'ASN a demandé aux exploitants de travailler sur l'hypothèse d'un aléa de longue durée affectant l'une des installations du cycle du combustible, pouvant conduire à un véritable blocage dans la gestion de celui-ci et à un arrêt des installations. C'est un autre aspect des marges pour la sûreté. Cette préoccupation du système global de sûreté nucléaire avait été soulevée dans le passé par l'ASN, pour faire face au cas d'un arrêt simultané de plusieurs réacteurs nucléaires.

Le troisième et dernier message concerne le renforcement des compétences au sein de la filière nucléaire. De nombreuses difficultés ont été rencontrées dans les constructions neuves, mais aussi dans les opérations de maintenance lourde du parc nucléaire. Elles concernent des opérations industrielles assez classiques finalement : soudures, génie civil, travaux électromécaniques, contrôles non destructifs, etc. Ces difficultés ont instillé un doute sur la capacité de la filière nucléaire à faire face à ces grands travaux de construction neuve et d'accompagnement des travaux importants nécessaires à la poursuite de l'exploitation des réacteurs nucléaires.

Elles sont certainement en partie liées à la perte d'expérience. Cela fait plus de vingt ans que nous n'avons pas construit de réacteur nucléaire en France. Mais elles sont aussi le signe d'une perte de compétence technique industrielle, liée à l'affaiblissement du tissu industriel de notre pays, et à un manque de vigilance face à la découverte d'anomalies pouvant remettre en cause le niveau de qualité dans le secteur nucléaire. L'ASN estime que la filière nucléaire dans son ensemble a besoin de se ressaisir, en matière de formation professionnelle, de compétences opérationnelles clés, et de culture de sûreté pour le suivi des constructions.

Ce processus a été engagé, notamment avec la constitution du Groupement des industriels français de l'énergie nucléaire (GIFEN). Il doit s'accélérer, et nous estimons qu'il est indispensable que ce processus aille à son terme, pour des raisons de sûreté.

Cette réflexion stratégique collective doit également intégrer les risques pour la sûreté qui pourraient résulter d'un affaiblissement excessif du tissu de PME très impliquées dans le nucléaire, mais aussi de celles qui ne le sont que pour une petite part de leur activité (10 à 20 %). Cet affaiblissement pourrait rendre difficiles les opérations de maintenance, de gestion des déchets, ou de démantèlement à venir, quelle que soit la stratégie nucléaire française.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion