Intervention de David Assouline

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 19 juin 2019 à 9h30
Proposition de loi tendant à créer un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse deuxième lecture — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de David AssoulineDavid Assouline, rapporteur :

Le 24 janvier 2019, le Sénat a adopté à l'unanimité la proposition de loi tendant à créer un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse.

Cette proposition de loi, vous vous en souvenez, visait à répondre à une situation d'urgence. L'irruption d'internet et la domination sans partage de quelques grands groupes mondiaux a fragilisé l'édifice déjà peu solide de notre presse, conçu à la Libération. La baisse des ventes de 4,5 % par an et la chute des recettes publicitaires, de 7,5 % par an - alors que le marché progresse de 12 % par an - ont en effet asséché les sources de financement des éditeurs et agences de presse.

Une étude publiée par News Media Alliance aux États-Unis en juin 2019 estime à 4,7 milliards de dollars le montant tiré en 2018 par Google de l'utilisation des informations produites par les médias, sans rémunération. Si la méthodologie de cette étude est contestée, elle fournit une estimation de l'ampleur des revenus captés par Google et qui ne bénéficient pas au secteur de la presse.

Ce scandale absolu ne met pas seulement en danger un secteur économique. Il s'attaque à la liberté de la presse, à ses conditions mêmes d'existence. Sammy Ketz, grand reporter à l'AFP, a eu des mots très forts dans sa tribune du 27 août dernier, cosignée par plus de cent journalistes de 27 pays : « De nombreuses fois, j'ai rencontré des gens assiégés, isolés, sans défense, qui demandaient seulement une chose: racontez ce que vous avez vu, ainsi nous aurons une chance d'être sauvés. Dois-je leur dire : Non, perdez vos illusions, nous sommes les derniers journalistes, bientôt vous n'en verrez plus car ils vont disparaître, faute?de moyens?? » Être reporter sur les terrains difficiles, cela exige des moyens. Faute de les obtenir, ils sont de moins en moins nombreux.

Une solution existait mais n'avait jamais pu être mise en oeuvre : les droits voisins. J'avais déjà exploré cette piste en 2016 en déposant une proposition de loi qui n'avait, hélas, pas été discutée par notre assemblée. Les droits voisins consistent à doter les éditeurs et les agences de presse de la capacité juridique de contester l'utilisation qui est faite sans autorisation de leurs productions. Les précédentes tentatives de les instaurer, en Espagne et en Allemagne, avaient échoué, pour une raison simple qu'il nous faut garder à l'esprit : l'influence et le pouvoir sur l'accès à l'information des Google et Facebook leur permet d'imposer leurs conditions s'ils ne trouvent pas face à eux un front large et uni à l'échelle d'un continent - tant leur puissance dépasse celle de nombreux États !

L'Europe a commencé à avancer, dans le cadre de la discussion de la directive sur les droits d'auteur. En janvier dernier, j'avais souhaité prendre le risque d'anticiper sur l'adoption, alors loin d'être acquise, de cette directive. Nous avons alors travaillé en bonne intelligence avec les groupes du Sénat ainsi qu'avec le Gouvernement. Le texte issu des travaux du Sénat se présentait comme un véhicule législatif adapté à une transposition rapide ou bien, si la directive n'était pas été adoptée, une réponse nationale déjà construite. Nous pouvons donc nous féliciter que le pari que constituaient le dépôt et l'inscription en séance publique de cette proposition de loi se soit avéré gagnant.

Après des négociations très complexes, durant lesquelles la voix de la France a été soutenue par le vote unanime du Sénat, la directive du Parlement européen et du Conseil du 17 avril 2019 sur le droit d'auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique est entrée en vigueur. Son article 29 précise que la transposition en droit national doit se faire au plus tard le 7 juin 2021. Si l'essentiel des dispositions de la directive devrait être traité dans le cadre de la future loi audiovisuelle, notre initiative, et le soutien qu'elle a recueilli, permettra à la France d'être le premier État européen à transposer les dispositions de la directive relatives aux droits voisins dans son droit national. Nous allons donc servir de modèle aux autres pays, et je crois important que notre travail soit le plus achevé et consensuel possible.

L'Assemblée nationale a accepté de participer à ce travail commun, et j'en remercie le rapporteur du texte Patrick Mignola ainsi que Bruno Studer, président de la commission des affaires culturelles et de l'éducation. Nous avons veillé à ce que les termes soient autant que possible alignés sur ceux de la directive afin que la navette soit rapidement conclusive. Le ministre de la culture avait lui-même appuyé cette position, évoquant en séance publique un travail de coconstruction avec l'Assemblée nationale.

La directive a finalement été adoptée, son article 11 devenant un article 15 dans la version finale. Elle pose les fondements des droits voisins pour toute l'Europe. Le dernier alinéa de son considérant 55 prend bien en compte les agences de presse, ce dont je me félicite car ce n'était pas évident durant la négociation.

L'Assemblée nationale a examiné la proposition de loi du Sénat lors de sa séance du 9 mai 2019, dans une niche du groupe Modem. J'ai ainsi été consulté sur les amendements adoptés à l'Assemblée nationale, ce qui m'a permis de bien m'assurer de la convergence de vue entre les deux chambres du Parlement.

Pour l'essentiel, l'Assemblée nationale a transposé fidèlement les dispositions de la directive. Je voudrais mentionner deux points que nous avions évoqués au mois de janvier. D'une part, la question épineuse des exceptions au droit voisin, c'est-à-dire la définition des éléments qui resteraient autorisés au nom de la liberté de navigation en ligne. Selon les termes précis de la directive, restaient ainsi autorisés « l'utilisation de mots isolés ou de très courts extraits ». En séance publique, une heureuse précision a été apportée à l'initiative du groupe socialiste, qui fait écho au considérant 58 de la directive disposant que « cette efficacité est notamment affectée lorsque l'utilisation de très courts extraits se substitue à la publication de presse elle-même ou dispense le lecteur de s'y référer ». Toute ambiguïté est ainsi écartée. D'autre part, la durée des droits attachés. En janvier, la France était, dans la négociation européenne, favorable à cinq ans, durée un peu optimiste. La directive et sa transposition ont arrêté un délai de deux ans. Cela peut sembler court, mais les Allemands plaidaient pour six mois...

Je milite à présent pour une adoption rapide de la proposition de loi et, surtout, une application rapide afin que les éditeurs entament sans tarder les discussions en vue de la constitution de la ou des sociétés de gestion collective des droits, prélude indispensable aux négociations à venir avec les grands acteurs de l'internet.

Il reste néanmoins des améliorations à apporter au texte, qui justifient les trois amendements que j'ai déposés. Ceux-ci ont fait l'objet de négociations complexes avec les parties prenantes. Si nous voulons que le texte soit adopté rapidement, il faut en effet trouver un accord qui soit en mesure de rassembler le Sénat, l'Assemblée nationale, le Gouvernement et les nombreuses personnes intéressées. C'est un travail de diplomatie et de conviction que je mène ces derniers jours.

Ces amendements règleront d'abord la question des agences de presse, qui ont eu le sentiment d'être exclues du dispositif. La rédaction que je propose permettra de bien inclure dans le champ du texte leurs productions photographiques, les vidéogrammes, et garantira que toute utilisation, même partielle, de leurs publications ouvre droit à rémunération. Ensuite, il faut clarifier les éléments qui serviront à orienter la rémunération due aux éditeurs et aux agences, afin de bien tenir compte des investissements consentis, de la participation au débat démocratique et de l'audience. La rédaction que je propose permet à tous les types de presse de percevoir les droits voisins, y compris la si importante presse du savoir et de la connaissance. Il subsistait enfin un oubli relatif à la rémunération des auteurs non-salariés : mon troisième amendement y remédie.

Je voudrais également dire un mot des craintes qui ont été relayées par certains acteurs de l'internet, en particulier hexagonaux, que j'ai reçus longuement. Il n'est en effet pas question de créer une situation d'instabilité juridique susceptible de décourager certains, notamment les plus vertueux. Dès lors, s'il n'est pas envisageable, pour des raisons juridiques et d'acceptation par la profession, d'instaurer une gestion collective obligatoire ni de subordonner le bénéfice des droits voisins à l'inscription sur une liste, les négociations à venir permettront de régler ces derniers points.

Il est temps que la partie législative des droits voisins s'achève et que s'engagent enfin les négociations entre les éditeurs, les agences de presse et les services de communication au public en ligne.

Je serai très attentif à ce que cette initiative du Sénat ne soit pas dénaturée par le comportement des uns ou des autres. Les négociations à venir seront complexes, je sais de source sûre que les grandes plateformes fourbissent déjà leurs armes juridiques, mais le texte est solide et, si les éditeurs et les agences demeurent unis, ils seront en excellente position pour trouver un accord avantageux en s'appuyant sur ce texte.

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