Intervention de Claude Kern

Commission des affaires européennes — Réunion du 6 juin 2019 à 8h40
Présentation de la directive du 17 avril 2019 concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel : communication de mm. claude kern et michel raison

Photo de Claude KernClaude Kern :

La discussion du texte se distingue des pratiques habituelles au niveau des institutions européennes, mais aussi par l'immixtion parfois brutale de pays tiers.

Les États membres hostiles à Nord Stream 2 ont trouvé au Parlement européen le soutien que la majorité du Conseil leur a refusé. Ainsi, certains députés européens dont les homologues nationaux faisaient partie de la majorité gouvernementale - par exemple des Allemands du PPE - ont adopté des positions diamétralement opposées à celles défendues au Conseil par leur gouvernement. Ainsi, M. Manfred Weber - qui vient d'être réélu à la présidence du PPE - a pris une position radicalement hostile au gazoduc Nord Stream 2, donc favorable à la proposition de directive.

En définitive, la Commission affichait une position médiane entre celle du Conseil, favorable à Nord Stream 2, et celle du Parlement européen, où l'opposition à ce gazoduc n'a cessé de se renforcer. La rédaction adoptée donne satisfaction aux partisans du texte quant aux principes, mais en atténuant de façon considérable sa portée.

Alors qu'ils tentaient de surmonter ces oppositions frontales, les Européens ont également dû faire face à l'immixtion de pays tiers : l'Ukraine et les États-Unis.

L'intérêt pour agir des autorités ukrainiennes est évident, puisque la fin du transit gazier par leur territoire doit les priver de ressources non négligeables. La motivation du Congrès des États-Unis n'apparaît pas de façon aussi limpide, même si les États-Unis veulent vendre, sous forme liquéfiée, le gaz naturel excédentaire indirectement procuré par l'exploitation des hydrocarbures de schiste. Toujours est-il qu'une loi du 2 août 2017 sur « les ennemis de l'Amérique » tend notamment à sanctionner les entreprises européennes participant aux chantiers de Nord Stream 2. À ce jour, le texte n'a guère de portée, puisqu'un communiqué du Département d'État, publié le 31 octobre 2017, en limite l'application aux seuls contrats postérieurs à ce 2 août 2017, date de la promulgation du texte, mais aussi date à laquelle il se trouve que tous les contrats visés avaient déjà été signés.

Les arguments invoqués contre Nord Stream 2, donc pour la directive, ont-ils contribué à clarifier les choses ? Même pas ! En effet, au prétexte concurrentiel s'est ajoutée l'invocation d'une excessive dépendance envers la Russie. La dernière objection tenait à la volonté de maintenir le transit à travers l'Ukraine. La position de repli commune aux opposants consiste à maintenir l'importation via l'Ukraine en sus du nouveau gazoduc.

J'en viens à la portée du dispositif adopté. Trois facteurs méritent d'être cités à cet égard. D'abord, la limitation géographique des nouvelles obligations aux gazoducs pénétrant dans la mer territoriale. Ensuite, le maintien de la « clause grand-père », qui permet aux États membres d'exonérer les gazoducs « achevés » le 23 mai 2019. Enfin, l'avancement général du chantier, notamment son achèvement sur le territoire allemand et le fond de la mer territoriale allemande, soit une cinquantaine de kilomètres sur les quelque 1 230 kilomètres de Nord Stream 2.

Résultat : l'État membre ayant joué un rôle décisif dans la construction du gazoduc Nord Stream 2 doit assurer le respect de la nouvelle directive sur la cinquantaine de kilomètres relevant de sa juridiction, ceux où les travaux étaient déjà terminés le 23 mai 2019, alors même qu'il pourra exonérer des dispositions nouvelles tout gazoduc « achevé » à cette date !

L'ultime paradoxe est que les promoteurs de Nord Stream 2 n'auront pas nécessairement gain de cause pour autant. Tout dépendra de l'avancement du chantier sur l'ensemble du gazoduc, le 31 décembre 2019. En effet, le contrat conclu entre Gazprom et Naftogaz pour le transit ukrainien arrive à son terme ce jour-là. Si Nord Stream 2 n'est pas opérationnel à ce moment, éviter un nouveau contrat ukrainien sera impossible à Gazprom. L'éventualité n'est pas certaine, mais elle n'a rien d'impossible. Si elle se réalise, le vraisemblable but authentique de la Commission européenne - à savoir maintenir le transit ukrainien pour éviter d'avoir à verser une aide budgétaire à Kiev - sera en définitive satisfait par le retard du chantier, indépendamment du texte si durement obtenu.

En conclusion, je formulerai deux observations, dont la première seule me satisfait : d'une part, alors que la Commission européenne avait formellement réfuté deux arguments juridiques du Sénat, la version finale du texte en tient dûment compte. Il en va de même pour les trois arguments que la Commission européenne avait feint d'ignorer dans sa réponse. D'autre part, j'observe que la directive du 17 avril ne nous informe pas sur ce que l'avenir nous réserve, d'autant que les immixtions externes perdurent.

Ainsi, lorsque le nouveau président ukrainien a profité de sa prise de fonctions, le 20 mai 2019, pour demander aux États-Unis de nouvelles sanctions économiques contre la Russie, la réponse de M. Rick Perry, secrétaire d'État à l'énergie à la tête de la délégation américaine venue à Kiev, fut édifiante : « L'opposition à Nord Stream 2 est toujours bien vivante. Je m'attends à ce que, dans un futur pas si lointain, le Sénat et la Chambre des représentants envoient une loi au président des États-Unis. Elle imposera des restrictions très onéreuses aux entreprises qui continuent à faire des affaires avec Nord Stream 2 ». Le Secrétaire d'État visait sans doute la proposition de loi bipartite déposée cinq jours plus tôt au Sénat des États-Unis pour sanctionner les participants au gazoduc.

La visite entamée à Washington ce même 20 mai par le commissaire européen à l'Union de l'énergie, Maro efèoviè, n'a guère instillé de retenue diplomatique à celui qui aurait logiquement dû l'accueillir...

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