Merci beaucoup de m'ouvrir les portes du Sénat et de me permettre de venir partager avec vous mon expérience. Je dois dire que je me sens assez nerveux, ému car c'est important pour moi d'être arrivée ici, à Paris, c'est le résultat d'années d'efforts, de travail en vue de rendre visible ce qui se passe dans mon pays. Je m'appelle Lorent Saleh, je suis défenseur des droits humains. Il y a sept mois, j'étais encore dans une cellule, torturé par le régime dictatorial dans mon propre pays.
Je voudrais vous parler de ce que signifient la torture et la vie dans un état de terreur, mais c'est difficile pour moi de le faire aujourd'hui, car ma cellule n'est pas vide. Des gens sont constamment séquestrés. Des jeunes, des pères, des mères, des frères, des députés sont prisonniers. Au Venezuela règne un état de terreur, dont le but est de générer la panique de la population civile pour mieux la contrôler.
En 2014, j'ai été arrêté de manière arbitraire à Bogota en Colombie, sans même un mandat d'arrêt. On m'a privé de moyens de communication, emmené à la frontière, frappé, puis j'ai été conduit dans les llanos du Venezuela, et finalement on m'a enfermé dans une cellule de la « tumba » à Caracas, ce qui signifie la « tombe ». C'est un endroit glacial situé à plusieurs mètres sous terre, sous le métro de Caracas, qui a été construit pour torturer les gens. Imaginez qu'ici à Paris, sous le métro, il y ait un cachot où soient enfermés des défenseurs des droits humains, des personnes qui protestent parce qu'elles n'ont rien à manger ! Je n'appartiens à aucun parti politique, je ne fais que défendre les droits humains...Comme moi, des milliers de Vénézuéliens ont été enlevés, séquestrés et soumis à des traitements épouvantables. J'ai été enfermé pendant plus de quatre ans et j'attends encore mon procès, j'attends qu'on me dise pourquoi on m'a fait ça. J'ai rencontré le député Romi qui était là, prisonnier lui aussi. On a vu comment ils ont tué des gens, comment ils les ont amenés à se suicider tellement la torture était dure. Au Venezuela, on vit dans un état de terreur permanent, c'est un terrorisme d'Etat qui est efficace. Cet appareil de répression a été monté grâce à l'appui de Cuba et de la Russie. Les prisonniers politiques au Venezuela sont sous le contrôle des Cubains. Pourquoi nous sentons-nous si seuls ? Au Venezuela, on ne sait plus combien il y a de prisonniers politiques, combien de jeunes ont été assassinés, on a cessé de se le demander. Les gens protestent parce qu'ils n'ont pas à manger, pas d'eau. Les jeunes veulent vivre, ils ne protestent pas pour des raisons idéologiques ou politique. Imaginez un enfant de 9 ans en train de marcher seul vers la Colombie pour trouver de l'argent, de la nourriture ? On a retiré aux enfants de mon pays le droit de rire. Le peuple vénézuélien a une vocation démocratique. Malgré ce qu'elle a subi, l'opposition vénézuélienne n'a jamais envisagé de lutte armée, nous ne croyons pas à la violence pour parvenir à la violence. Le problème est que le régime et les Cubains le savent bien et qu'ils profitent de la disposition pacifique des Vénézuéliens. Les gens sortent pour manifester seulement avec des drapeaux, ils savent qu'on va leur tirer dessus et pourtant ils continuent.
A vrai dire, la situation au Venezuela n'aurait jamais dû en arriver là. On en est là parce que pendant longtemps, la communauté internationale s'est tue, qu'elle a sympathisé avec Chavez et n'a pas voulu voir la situation. Les tyrans grandissent et se renforcent parce que la communauté internationale le leur permet. Voilà pourquoi nous ne pouvons pas sortir seuls de cette crise. Il est important qu'on nous aide, que l'UE nous aide. Nous luttons contre une organisation criminelle. Il n'y a pas de conflit politique au Venezuela, mais une crise de sécurité, une crise humaine. Des groupes délinquants, des organisations criminelles ont pris le pouvoir et le contrôle des institutions et avec ce pouvoir, ils assujettissent la population. Seuls nous ne pouvons leur faire face. Il s'agit d'une entreprise transnationale, de groupes criminels internationaux qui ont trouvé au Venezuela un espace de protection. Le Venezuela est devenu la capitale du terrorisme de l'Occident, qui se finance avec le narcotrafic, les extorsions la contrebande... Ce sont des assassins retranchés dans le pouvoir et qui sont prêts à continuer à tuer la population civile sans aucun scrupule.
A l'heure où nous parlons, des jeunes sont en train d'être torturés. Qu'est-ce que je peux dire aux familles, qu'est-ce que nous pouvons leur dire ? Comment leur expliquer qu'on ne peut rien faire d'autre que prier ?...
Savez-vous pourquoi on m'a libéré ? On m'a libéré parce que le régime, après avoir arrêté un conseiller municipal élu, qui avait commis le délit de se rendre à l'ONU, l'a torturé, tué et jeté en plein jour dans la rue du dixième étage d'un édifice public, et qu'il avait besoin de détourner l'attention de ce crime. Voilà pourquoi on m'a libéré et mis dans un avion pour l'Espagne, sans aucun droit au retour. Comment appelle-t-on ce type d'agissement ? Ils l'ont assassiné parce qu'il était allé à l'ONU ! Ils sont nombreux ceux qui ont été assassinés sans aucune raison. Messieurs les Sénateurs, sachez que nombreux sont ceux qui sont emprisonnés sans avoir jamais appartenu à aucun parti politique. Plutôt que de raconter, il faut donner des chiffres. Combien de morts encore ? Combien d'enfants encore devront traverser la frontière, combien de personnes seront jetées par la fenêtre ? Qu'avons-nous fait de mal pour mériter cela ? Que devons-nous faire pour qu'enfin, on nous aide ? Qu'en est-il du respect des droits de l'homme, qu'en est-il de la Déclaration universelle ? Pourquoi est-il si difficile de prendre la défense de ce qui est essentiel, élémentaire, comme les droits humains ? Vous n'imaginez pas combien il est difficile de vivre aujourd'hui au Venezuela. De nombreux jeunes doivent fuir. Moi, je voudrais être dans mon pays. Cela ne m'intéresse pas de détenir un passeport espagnol s'il m'est interdit de rentrer dans mon pays. Quelle faute avons-nous donc commise pour ne pas avoir le droit de manger, de nous soigner ?
Pour changer cela, nous avons besoin de l'aide de la France. La violation des droits de l'homme par le régime de Maduro est manifeste et systématique. Pourtant il existe une Déclaration universelle des Droits de l'Homme et une Cour Pénale Internationale. Pourquoi ne fait-on rien ? Aidez-nous. Je ne suis pas venu vous demander des armes, je suis venu vous demander de défendre avec moi les droits de l'homme. S'il y a une violation systématique des droits humains au Venezuela, il faut mener des enquêtes de la Cour Pénale Internationale. Je crois que la France peut nous aider à motiver le reste de l'Europe et le monde entier pour défendre les droits humains au Venezuela.
Je vous suis très reconnaissant des efforts et de l'appui précieux des pays européens, notamment par l'attribution du prix Sakharov, mais je pense que davantage peut être fait. Qui mieux que la France peut montrer la voie à suivre pour la défense des droits de l'homme ? Pour être franc, je ne voudrais pas sortir de cette salle et craindre de prendre mon téléphone, n'avoir aucune réponse à apporter à nos mères, à mes amis vénézuéliens. Aidez-moi à leur annoncer au moins une bonne nouvelle. Je pense qu'il est possible que la CPI soit saisie de ces violations pour que cesse ce drame que mes compatriotes vivent au quotidien. Et je crois qu'il est possible de donner cet espoir à tous mes compatriotes. Merci de m'avoir donné l'occasion de m'exprimer, c'est une journée que je n'oublierai jamais. Elle restera marquée dans l'histoire des vénézuéliens.