Intervention de Lorent Saleh

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 29 mai 2019 à 9h40
Situation au venezuela — Audition de M. Lorent Saleh co-récipiendaire du prix sakharov 2017 pour la liberté de l'esprit décerné à l'opposition démocratique au venezuela

Lorent Saleh, récipiendaire du Prix Sakharov 2017 :

Je ne suis pas un politique mais un défenseur des droits de l'homme. Mon nom de famille, Saleh, est d'origine palestinienne ; voilà pourquoi je suis ici et non à Washington ! Comme vous, je ne souhaite pas que la situation syrienne, afghane ou irakienne ne se reproduise au Venezuela ; il faut donc agir. Le silence et l'inaction de l'Europe et du monde entier, laissent la Russie et la Chine jouer avec nous comme au chat et à la souris ! Pourquoi ne pas appliquer une recette qui a fait ses preuves par le passé, comme le recours à la Cour pénale internationale (CPI), qui est une alternative à la guerre ? Peut-être d'ailleurs que certaines personnes ne le comprendraient pas et m'accuseraient d'être pro-régime... Pourquoi ne pas nous unir pour présenter à la justice internationale les responsables de crimes contre l'humanité ? Si nous n'agissons pas, ils continueront alors d'agir avec brutalité, et la situation risque d'empirer. Si vous ne voulez pas de nouveaux bombardements russes au Venezuela, ou de porte-avions dans la mer des Caraïbes, il faut s'adresser à la CPI. Ce tribunal doit devenir réalité afin de démontrer aux yeux du monde que nous sommes civilisés, et transmettre un autre message aux jeunes générations. Aujourd'hui, le message qu'ils reçoivent est qu'il faut être suffisamment cruel et pervers, frapper suffisamment de personnes, pour être impuni ; en revanche, voler un pain pour se nourrir peut conduire en prison... Je ne veux pas de la guerre dans mon pays. Je suis fatigué de voir autant de morts autour de moi, mais si nous n'agissons pas, cela continuera.

Je pourrais trouver bien des défauts à la classe politique vénézuélienne, mais en réalité, je l'admire. L'opposition vénézuélienne est divisée aujourd'hui, et Henri Falcón ne la représente pas. Les élections qui se sont tenues dans le pays n'en étaient pas. Pourquoi Leopoldo López était retenu prisonnier ? Pourquoi les principaux responsables politiques sont poursuivis ? Pourquoi les partis d'opposition ont été déclarés illégaux ? Imaginez que le président Macron ignore votre assemblée et crée un Sénat parallèle, qu'il emprisonne le président de cette commission ainsi que plusieurs d'entre vous, qu'il en assassine quelques-uns, qu'il poursuive les autres, qu'il rende plusieurs partis politiques illégaux et convoque de soi-disant élections : comment qualifieriez-vous la situation ? Au Venezuela, on appelle cela la démocratie ! Cela vous semble inconcevable car vous vivez dans un pays démocratique, mais si vous adoptez un point de vue sécuritaire en prétendant que face à vous se trouvent non pas des révolutionnaires romantiques mais des narcotrafiquants, alors la perception est tout autre. Savez-vous pourquoi le gouvernement ne convoque pas d'élections libres au Venezuela ? Car il les perdrait ! L'an dernier, la frustration d'un peuple s'est exprimée, celle d'un peuple qui aspire à la démocratie. Depuis qu'on leur a retiré la démocratie, les Vénézuéliens ne l'ont jamais autant chérie. L'opposition est présente, elle lutte. Juan Guaidó n'est pas le leader d'un parti mais le président de la République bolivarienne du Venezuela ; ce n'est pas un caprice ou choix, mais un mandat constitutionnel qu'il a heureusement assumé. Il a à peine 5 ans de plus que moi, et n'est même pas responsable de ce qui est en train de se passer. Mais il fait face, sans arme, en sachant qu'il peut se faire assassiner d'un jour à l'autre. Cela fait 20 ans que nous combattons ce régime à mains nues, alors que nous pourrions trouver des armes en Colombie, où il est plus facile de trouver un fusil qu'un livre !

Combien de manifestations allons-nous encore devoir conduire ? Ces manifestations pour les droits civiques sont en effet les plus importantes que mon pays ait jamais connues, qu'aucun pays n'ait jamais connues. Dans quel pays les gens se soulèvent-ils ainsi ? Tous les jours des gens sortent par millier pour marcher et manifester avec comme seul objectif l'obtention de plus de droits civiques. Nous ne prendrons pas les armes, même si on continue à nous assassiner. En réalité la seule chose que nous voulons, c'est la tenue d'élections libres. Mais cela pose un certain nombre de questions. Comme par exemple le vote de nos camarades emprisonnés. De plus, pour répondre à votre question, je ne pense pas que l'opposition ait fait une erreur en refusant de participer aux élections. En effet, ce n'étaient pas des élections mais un simulacre d'élections. Quels sont les principes de la démocratie et ceux des élections libres ? Maduro a envoyé la Garde nationale contre l'Assemblée Nationale qui avait été élue ! Ces gardes ont pénétré dans l'Assemblée et donné des coups de crosse aux députés. Ce n'est pas comme cela que l'on respecte la volonté du peuple. D'ailleurs, ce ne sont pas des révolutionnaires romantiques comme je l'entends parfois, mais des narcotrafiquants, ce sont des assassins.

Pour répondre à votre question sur Oslo, je pense qu'en effet il est nécessaire de toujours dialoguer. Je parle ici en tant que citoyen et non pas en tant que représentant du gouvernement de transition. Je parle ici pour vous faire part de ma crainte. Ma crainte c'est que ce qui s'est passé en République dominicaine, à savoir un semblant de dialogue démocratique destiné à donner de l'air à un régime moribond, se produise au Venezuela. Plutôt qu'un dialogue qui mettrait du temps à donner des résultats, d'autant que chaque minute écoulée est précieuse, je pense que ce sont des actions immédiates qui doivent être conduites pour éviter que plus de gens ne meurent. Ces actions immédiates sont complémentaires du processus de dialogue qui a été entamé à Oslo. On peut se réjouir que des canaux de communication existent encore mais pour qu'ils parviennent à donner des résultats, il faut néanmoins avoir un discours clair et continuer à exercer la pression. Et dire aux auteurs de ces crimes qu'ils ne bénéficieront d'aucune impunité. Car ces gens se moquent de tout. Ils se moquent de tout le monde, du pape, même de l'église catholique. Et il n'est pas envisageable qu'ils puissent continuer à le faire.

Ce qui me préoccupe également, c'est le fait que l'avenir de mon pays finisse entre les mains des russes ou des américains. C'est la raison pour laquelle je demande l'aide des pays européens. Ainsi, nous démocrates, pourrons leur opposer notre vision quand ils voudront nous imposer la leur. Montrez-nous que nous ne nous sommes pas trompés. Que les efforts entrepris par mon pays pour être plus démocratique n'ont pas été faits en vain. Mais en attendant qu'ils se mettent d'accord à l'ONU, il nous faut agir. Pendant qu'ils jouent à leur petite guerre froide, nous devons, en Europe, demander l'intervention de la CPI.

C'est la raison d'être de ma présence en France. En France, il est possible de juger des crimes contre l'humanité perpétrés en dehors du territoire français. C'est un mécanisme extraordinaire et précieux que de pouvoir juger de tels crimes. Lorsque je suis arrivé en Espagne, j'ai eu un entretien avec le Président, M. Pedro Sanchez et le Ministre des Affaires étrangères, M. Josep Borrell. Avant même que je ne prenne la parole, ce dernier a déclaré qu'il était contre une intervention militaire. Je lui ai répondu que je n'y étais pas favorable non plus. Mais alors, comment expliquer que dans certains pays d'Europe, en France, en Italie, en Espagne, au Portugal par exemple, des assassins, des narcotrafiquants circulent librement ? Pourquoi peuvent-ils le faire ? Il faut répondre à cela, geler leurs avoirs criminels. Il faut montrer au peuple vénézuélien qu'en Europe, ces criminels qui s'enrichissent sur la mort et la faim des Vénézuéliens, sont poursuivis.

La Colombie. J'ai été arrêté en Colombie. Mais j'ai vu deux peuples frères, notamment lors des tentatives pour faire entrer l'aide humanitaire. Tous les peuples sud-américains nous ont soutenus, nous ont pris dans leurs bras. Peut-être que le rêve de Bolivar n'est pas si loin. La Colombie nous aide comme elle peut, mais ses moyens sont limités. Elle doit gérer les flux de migrants, la guérilla, les narcotrafiquants protégés par le Venezuela. La situation à la frontière est dramatique. Il y a des trafics humains, des trafics d'organes, des réseaux de narcotrafiquants, de mercenaires qui recrutent parmi les plus jeunes. Les femmes sont abusées, par la police, par la guérilla. C'est un drame. La Colombie a vraiment essayé de nous aider, avec une solidarité profonde, comme tous les pays d'Amérique latine. Mais nous sommes trop petits. À Caracas se trouvent la Russie, Cuba, la Syrie, la Turquie...ce n'est pas juste un petit groupe de politiques vénézuéliens qui décide à Caracas.

Nous avons des options, nous travaillons avec le gouvernement de transition. L'opposition travaille de façon unie, mais c'est très difficile, il y a des pressions sur les députés, sur les familles...Pourquoi me torturaient-ils ? Ils voulaient que j'enregistre une vidéo accusant des personnes de l'opposition afin de suscitant la zizanie entre eux. Moi j'ai pu endurer, je ne sais pas comment j'ai fait. Mais combien y parviennent ? Nous demander de nous mettre d'abord d'accord entre nous dans ces conditions, c'est incompréhensible et injuste. Nous avons tout fait, sauf prendre les armes. Bien sûr qu'il y a eu des problèmes au sein de l'opposition, mais c'est déjà très difficile en période démocratique de s'entendre, alors dans ce régime de terreur... Je ne sais pas comment Juan Guaido a fait pour s'opposer si fermement au régime et en même temps proposer une amnistie, je l'admire. Il a su retirer l'étiquette de son parti et se présenter sous le drapeau de son pays. Leopoldo Lopez a réussi à serrer dans ses bras ses anciens tortionnaires, des anciens ministres de Chavez qui nous avaient poursuivis ont rejoint nos rangs. Ce n'est pas facile.

Que pouvons-nous faire ? Il faut agir, ce qui est sur le papier doit devenir des actions. Si vous me le permettez, M. le Président, je vais laisser la parole à Juan Carlos et à Isadora sur ce sujet.

Juan Carlos Gutiérrez.- Je ne vais pas revenir sur les faits, Lorent Saleh vous les a déjà exposés. Ils sont irréfutables, on parle de plus de 15000 Vénézuéliens qui se sont retrouvés dans la même situation, ou plus. Ce sont des crimes contre l'humanité. Par ailleurs, je me rends compte que vous avez déjà une très bonne connaissance, profonde, précise et sans équivoque de la situation et des violations des droits de l'homme et je vous en remercie. L'impunité qui caractérise le comportement du gouvernement depuis 2014 a aggravé ces crimes. Vous les connaissez et je vous en remercie. Nous sommes très heureux d'avoir pu établir un contact avec vous aujourd'hui et nous allons vous présenter maintenant nos demandes très concrètes.

Lorent vous l'a dit : nous avons besoin de soutien. Nous sommes face à une structure criminelle organisée transnationale. Ce n'est pas une question idéologique, un débat politique. Il ne peut pas y avoir d'impunité. C'est pourquoi nous sommes ici. Les Vénézuéliens ont besoin de justice. Avec toute notre humilité, nous demandons au Sénat de se prononcer. Vos collègues, démocratiquement élus, sont dans des geôles ! On ne peut pas oublier le cas du député Juan Requesens, emprisonné sans mandat d'arrêt, torturé ! On ne peut pas oublier que le vice-président du Parlement vénézuélien, Edgar Zambrano, se trouve aujourd'hui emprisonné avec une privation totale de ses droits fondamentaux. Nous avons présenté une demande de protection devant la commission des droits de l'homme ibéro- américaine. Mais nous savons que Nicolas Maduro ne la respectera pas ! C'est pourquoi nous prions le Sénat de faire une déclaration, en exigeant la liberté des députés qui sont persécutés et la fin des persécutions. Certains sont réfugiés dans les ambassades, notamment l'ambassade d'Italie, heureusement, mais tout ceci doit cesser. Ce sont vos collègues parlementaires, je vous prie instamment de vous prononcer en faveur de leur libération !

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