Intervention de Thomas Courbe

Commission d'enquête Souveraineté numérique — Réunion du 12 juin 2019 à 14:5
Audition de Mm. Thomas Courbe directeur général des entreprises et commissaire à l'information stratégique et à la sécurité économique et mathieu weill chef du service de l'économie numérique à la direction générale des entreprises dge

Thomas Courbe, directeur général des entreprises, commissaire à l'information stratégique et à la sécurité économique :

Merci de votre invitation. Avec la numérisation de l'économie, la souveraineté numérique est devenue une part importante de la souveraineté économique. Elle se définit par la capacité d'un pays à maintenir son indépendance dans le monde numérique grâce à deux leviers principaux.

Le premier consiste à définir des règles répondant à un objectif de souveraineté économique en matière de sécurité, de valeurs et de partage de la valeur dans l'économie. Le second consiste à maîtriser les technologies.

La production de règles s'applique d'abord à la sécurité. La DGE a ainsi pris des mesures pour les interceptions légales dans le cadre des objectifs de sécurité et pour la sécurité des infrastructures de télécommunications. C'est un sujet d'actualité au niveau mondial, en particulier avec l'arrivée de la 5G qui va rendre les réseaux beaucoup plus critiques qu'auparavant. En imposant un régime d'autorisation des équipements déployés par les opérateurs, la proposition de loi en cours de discussion sur la sécurité de ces réseaux, sera, si elle est adoptée, une contribution essentielle à notre souveraineté numérique.

La DGE contribue également à la réflexion sur un enjeu relatif aux valeurs fondamentales de notre société appliquées au domaine numérique. Le Président de la République a missionné une équipe pour travailler avec Facebook à des recommandations de régulation des plateformes en ligne. Ses conclusions nous semblent pertinentes et applicables à d'autres champs, en particulier au champ économique.

En effet, la régulation doit permettre d'assurer un partage équitable de la valeur, car le numérique se caractérise par une concentration de celle-ci dans les mains d'un petit nombre d'acteurs qui, à la faveur des effets de réseau, acquièrent une dimension systémique. Le débat sur la régulation a lieu à la fois aux niveaux français, européen et mondial. La présidence française du G7 a ainsi porté certaines propositions dans ce domaine.

Quant à la maîtrise des technologies, second volet de la souveraineté numérique, elle repose en premier lieu sur une politique industrielle du numérique consistant à soutenir les acteurs susceptibles de les développer. La France a un écosystème de l'innovation très riche ; nous nous efforçons de le stimuler en aidant les entreprises à grossir. Le nombre de licornes, ces start ups dont la valorisation est supérieure à un milliard d'euros, a augmenté significativement, mais il reste insuffisant. Nous travaillons à l'accompagnement des entreprises les plus prometteuses, à leur financement pour les aider à atteindre une taille critique et à l'attraction des talents.

En second lieu, l'objectif de maîtrise des technologies repose sur une politique industrielle ciblée sur les technologies identifiées comme essentielles. Première de ces technologies, les semi-conducteurs, secteur dans lequel le maintien d'acteurs de dimension internationale est essentiel. C'est un point traité dans le plan Nano 2022. Deuxième secteur identifié, le super-calcul, élément important de la souveraineté numérique, dont Atos est l'un des leaders et participe au programme européen EuroHPC. Le troisième secteur est l'intelligence artificielle. Le volet économique de la stratégie nationale sera présenté le 3 juillet par le ministère de l'économie et des finances et le secrétariat d'État au numérique.

Dans le cadre du Pacte productif 2025, nous cherchons à compléter l'identification des technologies clés au-delà des domaines cités, en nous assurant que nous aurons des entreprises capables de porter ces technologies. Nous avons d'ores et déjà identifié le cloud de confiance. Dans le domaine du cloud, il est difficile d'envisager une offre française ou européenne susceptible de rivaliser avec ses homologues américains. En revanche, il nous semble possible, comme dans différents autres secteurs, de développer une offre française qui se différencierait par les valeurs qu'elle porte et la sécurité qu'elle garantit en matière de protection des données - c'est le cas du cloud de confiance -, en particulier des données personnelles - c'est le cas des moteurs de recherche intégrant le privacy by design. . Les solutions d'intelligence artificielle pourraient également se différencier dans un certain nombre d'applications par des éléments d'auditabilité et de redevabilité. L'algorithme d'un véhicule autonome devrait ainsi faire l'objet d'une certification pour assurer la confiance des utilisateurs. Sur certains segments, il sera donc possible de rivaliser avec des concurrents plus avancés grâce à cette différenciation de l'offre.

En revanche, il est certains domaines où la France ou l'Europe ne pourront pas rivaliser, en particulier sur les fonderies de microprocesseurs. Dans ce cas, la souveraineté sera garantie par la diversification des sources et la sécurité des approvisionnements.

Cette politique industrielle se complète d'un volet plus défensif consistant à identifier notre patrimoine et nos actifs économiques stratégiques, notamment à travers les technologies maîtrisées. C'est le travail mené par le Service de l'information stratégique et de la sécurité économiques (Sissé), qui anticipe les menaces sur ce patrimoine, à commencer par les projets d'acquisition par des acteurs étrangers, et met en oeuvre des outils de protection. Ceux-ci ont été renforcés, notamment par la loi Pacte grâce à l'élargissement du dispositif de contrôle des investissements étrangers aux domaines de la cybersécurité et du stockage de données. Il faut également faire évoluer nos outils face à l'évolution des menaces. Dans le cadre d'un rapport prochainement présenté sur le Cloud Act américain qui donne aux agences américaines un accès excessivement large aux données hébergées dans le cloud, le député Raphaël Gauvain recommandera une adaptation de la loi de blocage de 1968.

C'est une problématique qui a profondément évolué, dans le sens d'une interpénétration entre des problématiques régaliennes, économiques et sociétales. La place des États est désormais bien acceptée par les acteurs dans ce domaine, comme le montrent les récentes déclarations de Mark Zuckerberg. Enfin, l'executive order pris le 15 mai par le président Trump et les décisions contre Huawei montrent le caractère mondial de ces enjeux.

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