Intervention de Philippe Verbeke

Mission d'information enjeux de la filière sidérurgique — Réunion du 18 juin 2019 à 15h05
Table ronde avec les syndicats

Philippe Verbeke, membre de la direction de la FTM-CGT, en charge de la filière sidérurgie :

Je n'ai pas de chiffrage, mais cela se compte en plusieurs milliers, si l'on chiffre les emplois directs et indirects. La sidérurgie impacte la métallurgie, or, la métallurgie représente trois emplois indirects pour un emploi sidérurgique direct.

Notre analyse est que l'on reste confrontés, aussi bien dans la filière fonte que dans la filière électrique, à un désinvestissement d'une part, et de l'autre, à une stratégie de délocalisation rampante : on peut observer un déplacement vers l'Europe, vers l'Allemagne par exemple, vers l'Asie ou vers l'Amérique.

En ce qui concerne la demande d'acier, vous avez abordé la question des surcapacités. Effectivement, il existe une surcapacité globale, mais elle est concentrée en Chine. En Europe et en France, je pense que la situation est assez différente. À la suite de la crise financière de 2008, la demande d'acier a chuté, puis progressivement remonté. Or, malgré l'alerte émise par les deux rapports déjà évoqués sur l'érosion de nos capacités de production, les fermetures se sont poursuivies. On constate aujourd'hui que la balance commerciale de la France est devenue déficitaire, tout comme celle de l'Europe. Les importations augmentent d'ailleurs très fortement ces derniers mois. Nous manquons d'acier en France suite à ces réductions de capacité, et en raison d'une focalisation des producteurs sur les marchés à haute valeur ajoutée, comme le marché automobile par exemple. C'est une stratégie de l'offre qui se poursuit, pour conserver un prix élevé de l'acier et le niveau de rentabilité exigé par les actionnaires. À titre d'exemple, on consomme aujourd'hui deux fois plus de produits longs en France qu'on en produit.

J'ai parlé de différents rapports. Je voudrais vous en citer quelques extraits, car certains constats très intéressants ont été posés, que la CGT partage complètement : notre analyse n'est pas isolée.

Le premier est extrait d'un rapport récent, remis au gouvernement en mars dernier, intitulé « L'analyse de la vulnérabilité de l'approvisionnement en matières premières des entreprises françaises » : « Cette explosion des besoins liés à l'urbanisation croissante et à la forte demande de consommation des nouvelles classes moyennes issues des pays émergents ne se limite pas aux métaux stratégiques ou critiques. Elle s'étend aux matières premières de bases telles que le cuivre, l'acier et l'aluminium, utilisées notamment dans les secteurs du logement et des infrastructures de transports ferroviaire ou énergétique, par exemple. Au total, la quantité cumulée de métaux de base, c'est-à-dire d'acier, cuivre et aluminium, nécessaire en 2050... » -mais autant regarder vers le moyen et long-terme pour le développement de la filière - « ... pour générer des infrastructures de production électrique à partir d'énergies nouvelles renouvelables atteindrait entre six et onze fois la production mondiale totale de l'année 2010, en l'absence de nouvelles technologies productives moins consommatrices de ressources. »

Pour rappel, je vous relate un extrait du rapport Faure précité, au sujet de la configuration du site de Florange : « Les avantages d'une telle intégration... » - c'est-à-dire entre la filière liquide et la transformation en froid - « ... sont de plusieurs ordres : une économie sur les coûts de logistique pour le transport des semi-produits ; la possibilité de réduire les stocks de semi-produits ; une interaction plus étroite entre la filière chaude et la filière froide qui facilite la mise en oeuvre d'une vaste palette de nuances d'acier pour répondre au plus près aux demandes des clients. » Je cite également : « Le maintien et le développement d'un site sidérurgique intégré compétitif à Florange nécessite un effort d'investissement rapide et significatif pour moderniser l'outil de production. » Cela vaut la peine de s'en souvenir.

Plus loin dans le même rapport : « La conservation d'une capacité de production sidérurgique dans la filière liquide en France est un enjeu stratégique national. Il est d'intérêt national de conserver sur le territoire français des capacités de production d'acier suffisantes dans la filière liquide. Compte tenu des débouchés en aval dans l'industrie, la capacité globale de production de la filière liquide pour les aciers plats des sites de Dunkerque, Fos et Florange paraît constituer un plancher à maintenir. Par ailleurs, la répartition de la capacité de production sur les trois sites réduit la vulnérabilité globale. » On connaît la décision de fermeture définitive du site prise par ArcelorMittal en fin d'année dernière, avec un silence assourdissant du gouvernement, malgré un accord qui liait ArcelorMittal à l'État.

Je citerai simplement une phrase du rapport de 2013 de la commission d'enquête l'Assemblée nationale, mentionné plus haut : « Il serait illusoire de considérer que notre pays devrait exclusivement concentrer ses capacités de production sur des activités de « niches » à forte valeur ajoutée, alors que les transformateurs et d'autres métiers y compris s'agissant de technologies de pointe pourraient s'approvisionner en « commodités » et matériaux bruts sur les marchés étrangers. Le désengagement puis l'abandon des activités de base hypothéqueraient gravement notre indépendance et ne manqueraient pas de subordonner plus encore la stratégie industrielle de nombreuses entreprises à l'errance des marchés. »

Au vu des fermetures de capacités qui se sont poursuivies, mais aussi des enjeux ainsi soulevés en termes de besoins futurs d'acier, la CGT estime qu'il faudrait remonter la production nationale d'acier à hauteur de 20 millions de tonnes annuelles, à la fois en filière mixte, fonte, et électrique, alors qu'elle est tombée à 15,5 millions de tonnes.

Vous avez parlé de l'emploi. Malheureusement, la chute se poursuit, alors que la question de l'emploi et des compétences avait été très sérieusement soulevée en 2013. Entre 2013 et 2017, l'emploi direct dans la sidérurgie est passé de 27 720 à 21 800 emplois, selon EUROFER. Chez ArcelorMittal, nous comptions 18 176 équivalents temps plein (ETP) en 2013 : ce chiffre est aujourd'hui tombé à 15 689 ETP. Pour Ascométal, il est passé de 1 950 à 1 400 ETP, pour Vallourec de 5000 à 3500 ETP sur la même période. L'abus du recours à l'intérim reste une réalité, en parallèle de l'érosion des emplois, avec un turn-over très important et une augmentation importante des démissions. Les compétences sont touchées dans toutes les catégories professionnelles. Nous demandons la relance sérieuse de l'embauche, et évidemment le renouvellement des départs en retraite - sachant que l'on attend 100 000 départs en retraite par an dans la métallurgie d'ici 2025 - ainsi que l'intégration des contrats précaires en contrat à durée indéterminée.

Puisque nous sommes là pour apporter une dimension sociale, j'en viens au sujet du statut et de l'attractivité des métiers. Une négociation est actuellement engagée dans la branche métallurgie : c'est le « dispositif conventionnel » qui fait suite à la loi relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, dite « loi travail ». Cette remise en cause des conventions collectives, des statuts, des grilles de classification s'observe dans différentes branches professionnelles. L'objectif du patronat est de réduire les droits collectifs et de casser le principe du paiement de la qualification, pour revenir en arrière et renouer avec un paiement au poste de travail ou selon la fonction occupée. La prime d'ancienneté est aussi remise en cause de notre côté.

Nous réaffirmons le principe de reconnaissance des diplômes de l'Éducation nationale, remis en cause dans ces négociations qui durent maintenant depuis deux ans et demi, et que l'Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM) veut faire aboutir d'ici la fin de l'année. Nous demandons la reconnaissance des formations qualifiantes, de l'expérience professionnelle, et la mise en place d'un salaire minimum démarrant à 1 800 euros bruts, avec des perspectives réelles d'évolution de carrière, un doublement du salaire sur la carrière complète, et une grille unique de 1 à 5 de l'ouvrier à l'ingénieur. Selon nous, cela est fondamental pour l'attractivité des métiers de la sidérurgie.

En ce qui concerne les conditions de travail, une part importante du personnel travaille en régime alterné. La problématique de la pénibilité des métiers se pose également, or, elle sera abordée dans les mois qui viennent dans le cadre de la réforme des retraites. Celle-ci amènera les gens à travailler bien au-delà de l'âge de soixante ans, y compris lorsqu'ils sont postés sur les lignes de production. Je vous laisse imaginer ce que cela peut occasionner. Le manque d'investissement et la précarité aggravent encore davantage les conditions de travail quotidiennes des salariés dans la filière.

Les processus de production plus respectueux de l'environnement sont bien sûr un enjeu fort pour la sidérurgie dans les prochaines années. La CGT considère qu'il y a des solutions. Depuis la fermeture de la raffinerie des Flandres du groupe Total près de Dunkerque, nous avons développé des propositions en lien avec la filière hydrogène, qui se développe de plus en plus en France. Elles visent à utiliser l'hydrogène non seulement pour capter le CO2, mais pour le transformer en méthane que l'on peut ensuite réinjecter dans les réseaux de gaz naturel et ainsi diminuer notre dépendance énergétique. Nous reparlerons tout à l'heure du Comité stratégique de filière (CSF) : nous considérons que nos propositions relatives à l'hydrogène sont parfaitement ignorées par le patronat et les pouvoirs publics depuis quelques années, alors que la piste de l'hydrogène se développe très sérieusement en France. Nous demandons davantage de débats public à ce sujet et que les organisations syndicales participent à la discussion dans les entreprises. Par exemple, les syndicats du site même de Dunkerque ne sont pas tenus au courant du projet d'ArcelorMittal d'enfouir le CO2 en mer du Nord avec Total. Il y a véritablement un problème.

Le fonctionnement des aciéries électriques et l'utilisation de la ferraille s'inscrit parfaitement dans l'économie circulaire. Je crois que vous avez reçu FEDEREC.

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