Intervention de Christelle Touzelet

Mission d'information enjeux de la filière sidérurgique — Réunion du 18 juin 2019 à 15h05
Table ronde avec les syndicats

Christelle Touzelet, Représentante syndicale nationale CFDT d'ArcelorMittal :

Tout d'abord, je vous remercie pour cette invitation au nom de la Fédération générale de la métallurgie et des mines (FGMM)-CFDT.

Traiter de l'avenir de la filière sidérurgique française ne peut s'entendre que dans une perspective plus large, qui est celle de l'Europe. Aussi, je développerai quatre axes : renforcer les mesures anti-dumping pour défendre les producteurs européens d'acier ; utiliser l'EU-ETS, c'est-à-dire le marché des quotas carbone, pour renforcer la sidérurgie européenne ; voir la transition écologique comme un défi majeur pour la sidérurgie ; mettre en oeuvre une stratégie de reconquête de la sidérurgie européenne.

Il faut tout d'abord renforcer les mesures anti-dumping pour défendre les producteurs européens d'acier. En 2015, l'acier européen subissait une crise profonde, ayant pour origine le déversement des surcapacités chinoises sur le continent. À la fin de l'année 2015 et au début de l'année 2016, l'Union européenne adoptait des mesures anti-dumping qui ont permis le redressement des prix de vente et le retour à la profitabilité des entreprises productrices d'acier, particulièrement dans les produits plats.

En 2018, les États-Unis mettaient en place des tarifs sur les produits en acier, et la Commission européenne décidait de mesures de sauvegarde provisoires en juillet 2018. Au début de l'année 2019, la Commission européenne estimait que les mesures protectionnistes des États-Unis étaient à l'origine de la hausse des importations européennes au cours de la dernière année, en détournant les flux commerciaux, et qu'en 2018, la vulnérabilité de l'industrie sidérurgique européenne persistait, avec un risque de préjudice grave si la hausse des importations se poursuivait. Le 2 février 2019, des contingents tarifaires ont été créés pour 26 catégories de produits sidérurgiques - plats, longs et tubes. En cas de dépassement de ces contingents, leur prix augmente de 25 % par le biais de droits de douane supplémentaires. De plus, pour éviter des importations massives en début d'année, des contingents trimestriels ont été ajoutés.

Néanmoins, ces mesures anti-dumping demeurent insuffisantes. Ainsi, les semi-produits plats, les brames, qui représentent 40 % des importations, échappent aux mesures de défense commerciale européennes. Concernant la mesure anti-dumping du 5 octobre 2017, appliquées aux coils à chaud en provenance de quatre pays exportateurs - dont l'Inde, la Russie et l'Ukraine - la formule du prix minimum été retenue, mais l'augmentation du prix des matières premières a rendu inefficace le prix minimum de 472 euros/tonne : même le prix actuel de 500 euros/tonne n'assure plus une marge suffisante aux sidérurgistes européens. Il est donc urgent que l'Union européenne renforce ses mesures anti-dumping sur ces deux catégories de produits sidérurgiques.

Il faut ensuite utiliser le système European Union Emission Trading Scheme (EU-ETS) pour renforcer la sidérurgie européenne. La FGMM estime que l'évolution du système d'échange de quotas d'émission de l'Union européenne, l'EU-ETS, prévue pour la phase 2021-2030, va globalement dans le bon sens.

La réserve de stabilité permet de diminuer le nombre total de quotas d'émissions et de soutenir le prix du CO2, afin d'atteindre les objectifs de baisse de 20 % d'émissions en 2020 et de 40 % en 2030, pour viser la neutralité carbone à plus longue échéance.

L'allocation de quotas à titre gratuit, pour limiter les fuites de carbone et récompenser les plus vertueux, est maintenue, mais elle est mieux ciblée et plus dynamique. Un fonds pour l'innovation destiné à soutenir les activités de démonstration de technologies innovantes est mis en place, ainsi qu'un fonds de modernisation pour les investissements visant à moderniser le secteur de l'électricité, et plus largement les systèmes d'énergie.

Pour autant, le marché du CO2 doit encore gagner en transparence. Selon les données de la Commission européenne, à la fin de l'année 2017, ArcelorMittal détiendrait des réserves de 187 millions de tonnes de CO2. Les représentants du personnel demandent des informations sur la réalité des stocks détenus, sans jamais pouvoir les obtenir. Maintenir l'opacité du marché du CO2 favorise le développement de la spéculation. Pour la FGMM-CFDT, les réserves de quotas CO2 doivent être orientées vers des investissements visant à atteindre une production d'acier neutre en carbone. Les stocks détenus par les sidérurgistes européens doivent alimenter le fonds pour l'innovation.

Si l'EU-ETS est un outil indispensable pour atteindre la neutralité carbone, il ne doit pas conduire à la désindustrialisation de l'Europe. Il est anormal que des productions plus carbonées que celles de notre continent puissent être commercialisées sans subir une revalorisation de leurs prix. Les allocations gratuites de quotas de CO2 ne suffisent pas à lutter contre le dumping environnemental. L'EU-ETS doit être complété d'un dispositif d'ajustement des prix des produits sidérurgiques qui pénètrent sur le marché communautaire en étant plus carbonés que ceux produits en Europe.

La transition écologique est un défi majeur pour la sidérurgie. L'impact des rejets de l'industrie sidérurgique sur le changement climatique, mais aussi sur la santé des travailleurs, et plus généralement sur la santé publique, n'est plus à démontrer. Les pollutions du bassin de Fos-sur-Mer ou de la cokerie de Serémange-Erzange nous le rappellent régulièrement. La tolérance de l'opinion publique à l'égard des troubles hypothéquant l'avenir de la planète, mais aussi la santé et l'existence des êtres humains qui vivent à proximité des sites, est au bord de la rupture. Si des projets concrets pour réduire les nuisances causées par les rejets des sites industriels ne voient pas le jour dans des délais raisonnables, les populations riveraines agiront pour leur intérêt.

Les pouvoirs publics ont pris conscience de cette évolution sociétale. Ainsi, la justice européenne somme notre pays de prendre des mesures pour réduire les émissions de son industrie. En France, les préfets n'hésitent plus à utiliser les mises en demeure pour rappeler aux industriels leurs obligations réglementaires. Ce contexte naissant introduit une insécurité juridique pour les activités sidérurgiques. En outre, la réglementation européenne entraîne une augmentation significative du prix du CO2. Conscients de cette évolution, les industriels ont choisi jusqu'à présent de peser sur l'Europe pour assouplir les règles, afin de ralentir la progression du prix de la tonne de CO2. La stratégie de lobbying des industriels ralentit les investissements de la sidérurgie européenne pour atteindre l'objectif d'une production bas carbone et obère de ce fait la lutte contre le dérèglement climatique. Ses concurrents chinois ont déjà engagé la modernisation de leur installation pour réduire les émissions. Sans protection aux frontières, le renchérissement programmé du prix du CO2 risque donc de créer un déficit de compétitivité durable de la sidérurgie européenne.

Ce constat a conduit la FGMM-CFDT à ne pas demander la réouverture des hauts-fourneaux de Florange en 2018. En contrepartie, la CFDT a demandé à ArcelorMittal de poursuivre l'effort d'investissement pour consolider les installations sidérurgiques de Florange ; de moderniser la cokerie de Serémange-Erzange pour réduire ses émissions ; de soutenir le projet de plateforme multimodale industrielle et logistique Europort pour accélérer sa mise en oeuvre ; de développer les activités de recherche du centre de Maizières-lès-Metz et de les orienter sur la création d'une filière bas carbone.

Considérant que l'avenir de la sidérurgie française est en jeu si le virage de la transition écologique n'est pas rapidement pris, la FGMM a élargi ses propositions à d'autres sites du territoire national. Ainsi, à Fos-sur-Mer dans les Bouches-du-Rhône, plusieurs études concluent à une surreprésentation de certains cancers et maladies chroniques ; à une surmortalité liée au diabète ; à la présence de traces de polluants supérieures aux seuils légaux dans les aliments produits localement ; à une surexposition aux particules ultrafines ; et soulignent un « effet cocktail ». Ces nuisances sont directement liées à l'activité industrielle et notamment aux émissions de la sidérurgie. Pour répondre à l'urgence environnementale et sanitaire, la CFDT a rédigé une proposition de contrat de transition écologique pour le bassin de Fos-sur-Mer. Ce projet envisage de lancer sur le site d'ArcelorMittal un projet de capture et d'utilisation du CO2, « CCU », pour le transformer en carburant synthétique ou en matériaux plastiques. Pour soutenir l'émergence d'une filière sidérurgique décarbonée, la CFDT propose d'engager une première étape de la conversion écologique en lançant un projet bas carbone de type « ULCOS » par réinjection des gaz de hauts-fourneaux, comme l'a récemment annoncé ArcelorMittal sur le site de Dunkerque avec le projet de réduction de gaz réducteur dans un haut-fourneau sidérurgique, « IGAR ».

À plus longue échéance, un objectif de création d'une filière hydrogène serait visé, pour réaliser la réduction du minerai de fer avec ce gaz plutôt qu'avec du coke. L'avantage de ce procédé réside dans l'émission d'eau plutôt que de CO2. Le projet de contrat de transition écologique que nous avons élaboré contient d'autres propositions concernant les flux logistiques ou encore l'accompagnement des salariés vers la transition.

Enfin, il faut élaborer une stratégie de reconquête de la sidérurgie européenne. L'augmentation notoire des importations de brames met en évidence l'insuffisance croissante des capacités de production européenne d'acier pour satisfaire une consommation qui se redresse : elle est ainsi passée de 160 à 180 millions de tonnes au cours des dernières années. Sur la période 2015-2019, le pourcentage d'importation de demi-produits a quadruplé par rapport à la consommation apparente. Dans le même temps, les capacités de production sont allées diminuant. C'est une spirale de désindustrialisation qui est ainsi mise en place, et les récentes annonces concernant la baisse de production d'ArcelorMittal vont à nouveau l'alimenter. C'est une autre stratégique qu'il faut viser, celle de l'autosuffisance de la production d'acier européen pour alimenter son marché.

Cet objectif passe également par la nécessité de constituer des champions européens de l'industrie métallurgique. L'échec de l'acquisition de l'allemand VDM Metals par Aperam met à mal cette stratégie : face aux règles de libre concurrence trop contraignantes de l'Union européenne, Aperam a préféré abandonner ce projet. Il y a d'autres moyens pour protéger le consommateur que d'empêcher la constitution de groupes européens de taille mondiale. Le 19 février 2019, à Berlin, les ministres de l'économie allemand et français ont signé un « Manifeste pour une politique industrielle européenne adaptée au XXIe siècle ». La démarche conjointe entre l'Allemagne et la France vise à impulser une dynamique pour que l'Europe se dote d'une véritable politique industrielle, afin de maintenir son rang de puissance industrielle. Ce manifeste propose notamment d'adapter le cadre réglementaire de la concurrence. Les syndicats franco-allemands de la métallurgie (CFDT, CGT, FO, CFE-CGC, IG Metall) ont décidé de saisir l'opportunité ouverte par la position de la France et de l'Allemagne pour adopter une déclaration commune, demandant à être associés aux réflexions sur le renouveau de la politique industrielle européenne. Cette déclaration en date du 14 mars 2019 a été transmise au ministère de l'Économie.

La sidérurgie européenne a besoin d'une stratégie de reconquête de son marché intérieur fortement connectée aux enjeux environnementaux. En France, à Saint-Saulve, le Gouvernement n'a cessé de jouer aux apprentis sorciers. Ce fut d'abord la désillusion pourtant prévisible d'Altifort, puis celle de British Steel qui risque d'emporter dans son désastre l'usine productrice de rails de haute performance d'Hayange.

La FGMM-CFDT propose d'inscrire le site de Saint-Saulve dans un projet d'économie circulaire : retraiter les ferrailles plutôt que de les envoyer en Chine pour les voir revenir déjà transformées sur notre marché. Cela pourrait être une voie de transformation salutaire à l'aciérie des Hauts-de-France : le tri des ferrailles à l'entrée de l'usine permettrait d'en faire une matière noble, seule à même d'approvisionner Hayange. Mais cela nécessite du temps et la mobilisation des acteurs du recyclage, de la production d'acier, et des collectivités territoriales pour installer le modèle économique adapté. La FGMM propose qu'un débat soit organisé entre toutes les parties prenantes sur ce sujet. Elle est prête à y prendre toute sa place.

Autre dossier au coeur de l'actualité, Saint-Gobain cherche un partenaire pour son site sidérurgique de Pont-à-Mousson. Les tuyaux qui sortent de ce site de production sont caractérisés par un haut niveau de technologie, leur conférant une qualité alimentaire irréprochable. Le transport et l'acheminement de l'eau sont des sujets stratégiques : le choix d'un partenaire, s'il doit avoir lieu, est donc extrêmement sensible. La Direction Générale des Entreprises (DGE) a engagé un diagnostic approfondi pour définir la meilleure option afin de pérenniser l'entreprise. La FGMM a demandé à ce que ce diagnostic soit partagé avec les syndicats. Pour notre organisation, et quelle que soit la solution envisagée pour Saint-Gobain, il est nécessaire de garantir que les brevets français continueront à être exploités en France, et que la R&D restera sur le territoire national.

En conclusion, l'avenir de la sidérurgie française est européen, dans un cadre réglementaire qui protège ses activités du dumping économique, social et environnemental. Il passe par une politique d'investissement soutenue, qui place ses installations sur la voie de la neutralité carbone. Enfin, la filière doit conserver son intégrité, de l'amont à l'aval, en cherchant au moins à satisfaire les besoins du marché européen.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion