Intervention de Didier Rivelois

Mission d'information enjeux de la filière sidérurgique — Réunion du 18 juin 2019 à 15h05
Table ronde avec les syndicats

Didier Rivelois, Responsable CFE-CGC à Saint-Gobain Pont-à-Mousson :

Nous avons préparé une présentation que je vais essayer de vous synthétiser.

Nous avons fait beaucoup d'efforts depuis vingt ans : à Saint-Gobain Pont-à-Mousson, les effectifs ont été divisés par deux en Europe. Nous nous sommes adaptés au marché, car s'agissant de l'adduction d'eau potable, une fois que vous avez équipé, capté l'eau et alimenté les grandes villes, les marchés chutent : c'est ce qu'on vit en Europe depuis 30 ans.

Saint-Gobain Pont-à-Mousson compte 6 000 personnes dans le monde, 2 000 en Lorraine. Nous sommes le numéro deux mondial - nous avons longtemps été les premiers. Le premier est désormais un Chinois. La Chine a de réels problèmes d'eau, qu'elle va chercher dans les montagnes, et de pollution de l'eau. Notre grande différence avec ce concurrent, c'est que l'on fabrique un système complet. Nous avons des connaissances dans la conception des réseaux d'adduction d'eau, dans les réseaux d'assainissement. Nous maîtrisons complètement la potabilité en travaillant avec les collectivités locales. Nous participons au comité stratégique de la filière eau, comme M. Ludovic Weber vous l'a indiqué lors de son audition le 29 mai dernier. Nous maîtrisons la durabilité de nos tuyaux : l'obsolescence programmée pour nous, c'est 150 ans voire même davantage. Nous adaptons nos revêtements aux analyses de sol et nous avons des prescriptions de très longue durée.

S'agissant des performances en développement durable, je vous transmets une documentation datant de 2008 mais toujours d'actualité. Nous avons divisé par deux la masse des tuyaux de petit diamètre. Sur six mètres de long, ils sont passés de 105 kilogrammes à 45 kilogrammes : ces prouesses ont été réalisées grâce à de nouveaux process.

Notre principal risque concerne d'ailleurs ces derniers. Il existe des brevets bien sûr, mais les process -la façon de régler nos machines, de former nos salariés, des spécifications d'achat des matières- risquent d'être transférés alors que vingt ans ont été nécessaires à leur maîtrise. Si nous sommes rachetés, ces process seront transférés en un an. Ces transferts concernent aussi General Electric et nos collègues d'Alstom, même si l'objectif est de conserver des emplois aux États-Unis. La Chine a exactement la même problématique : conserver ses emplois ! La Chine vient d'ailleurs de baisser de trois points la TVA sur les produits manufacturés pour conserver ses emplois industriels.

Nous souhaitons renforcer les contrôles d'investissements étrangers en France : à moyen ou à long terme, ces investissements étrangers auront des impacts sur l'emploi ; à court terme, ils font encourir le risque d'une dépendance de l'Europe à des pays étrangers.

Le concurrent qui veut nous racheter ou avec qui nous ferons un partenariat est une entreprise publique chinoise, qui travaille beaucoup en Afrique. Leur vision stratégique sont plus développée que la nôtre : nous pensons à nos emplois de demain, mais ils pensent à leur stratégie d'adduction d'eau pour l'après-demain !

Saint-Gobain Pont-à-Mousson a beaucoup changé en dix ans : nous sommes devenus des gestionnaires de portefeuille alors que nous étions des industriels. Les investissements ne sont pas faits en Lorraine et nous perdons des volumes et de la marge. Des investissements sont annoncés, mais ils ne concernent qu'une gamme de produits sur les 6 ou 7 que nous possédons. Nous continuons à éroder nos marges. Nos métiers sont cycliques et nous participons à beaucoup de marchés publics : si les financements de ces marchés publics diminuent, de fait, nos commandes s'arrêtent. Les projets d'adduction d'eau sont décidés longtemps à l'avance, car ce sont des gros investissements. Il existe donc un décalage entre le marché de la voirie, le marché de la robinetterie et le marché des tuyaux.

Il y a deux ans, à Saint-Gobain Pont-à-Mousson, un projet d'avenir nous a été annoncé avec la suppression de 400 emplois sur 2 000 : le but est de survivre. On nous annonce que nous cherchons un partenaire : nous ne comprenons pas. Ce plan va se finir en 2021 : nous souhaitons que l'État nous accompagne d'ici là avec par exemple des financements de la Bpifrance. Nous avons chiffré à 100 millions d'euros les investissements nécessaires en fonderie, en voirie - je suis d'ailleurs responsable de qualité de voirie. Une autre enveloppe de 100 millions d'euros serait consacrée à la transformation de nos hauts-fourneaux dont vous a parlé M. Weber : l'échéance à deux ans ne sera pas tenue, et si on ne les transforme pas à la prochaine échéance, dans sept ans, M. Weber estime que ce sera l'arrêt des hauts-fourneaux. Ce ne serait pas seulement l'arrêt des hauts-fourneaux, mais celui de la fonte et de l'usine. Nous avons déjà perdu 100 emplois sur 5 ans.

À Saint-Gobain Pont-à-Mousson, nous savons « endormir » un haut-fourneau pendant trois ans. Nous l'avons fait avec HF2, arrêté en 2014, puis redémarré presque cinq ans après. Au bout d'une semaine, il refaisait de la fonte. Le haut-fourneau de Dunkerque est beaucoup plus gros, mais nos collègues ne savent pas l'arrêter.

Vous avez reçu M. Floris, délégué interministériel aux restructurations d'entreprises, dont on estime qu'il faut renforcer les compétences pour anticiper les problèmes de financement des entreprises et de sous- investissement.

Mon collègue de la CGT considère qu'il faut que l'on renforce notre présence dans les conseils d'administration. Je suis administrateur au conseil d'administration du Centre technique des industries de la fonderie. Nous pilotons, nous choisissons les investissements, nous participons à la gouvernance. Si nous avions pu le faire à Saint-Gobain Pont-à-Mousson, nous n'en serions pas là aujourd'hui.

Nous subissons des mesures anti-dumping de l'Inde pour les tuyaux, et de la Chine pour la voirie. L'outil mis en place est utile mais il arrive toujours trop tard ! Pour être efficace, sa mise en place doit être rapide. Le cas échéant, il se produit une rupture du marché et d'approvisionnement.

Dans nos métiers, nous avons la sidérurgie en amont et la fonderie en aval (pour les raccords, la voierie). Nous avons un Centre technique des industries de la fonderie qui bénéfice de taxe affectée. Il a beaucoup de mal à survivre alors qu'il est indispensable, car nous sommes plus petits qu'ArcelorMittal. Il peut nous aider dans notre transformation, pour passer du cubilot au four électrique par exemple.

Nous avons également quelques recommandations sur les compétences, sur la reconnaissance des diplômes. L'enjeu pour nous en termes de recrutement, c'est l'apprentissage. C'est par là que les jeunes rentrent, c'est par là que les jeunes restent. Nous avons chez nous beaucoup de diplômés de master 2 mais pas assez de titulaires de bac pro alors que nous en recherchons.

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