Je voudrais commencer par rappeler l'intérêt que nous portons à FO Métaux à la démarche de concertation tripartite, entre les représentants des organisations syndicales, des entreprises et des pouvoirs publics, et notamment à travers le Conseil national de l'Industrie et les comités stratégiques de filière. Le comité stratégique de filière « mines et métallurgie » en est à ses débuts, le contrat ayant été signé début janvier. Nous souhaitons que les recommandations que nous pouvons faire et que les décisions qui sont prises dans ce comité ou au Conseil national de l'Industrie soient davantage prises en compte.
La sidérurgie joue un rôle déterminant dans la chaîne de valeurs industrielle. C'est un secteur d'autant plus stratégique qu'il se situe à l'amont de bien d'autres filières : l'automobile, la construction, le bâtiment, le ferroviaire, la navale, le nucléaire, l'électroménager, les énergies renouvelables et l'emballage. Une sidérurgie qui ne serait plus performante conduirait inévitablement à la perte de la souveraineté de la France ou de l'Union européenne sur ses activités stratégiques.
De la même façon, les métaux de base qui sont des matières premières indispensables aux besoins du quotidien et à la sidérurgie sont essentiels à l'industrie : un pays comme la France se doit de veiller à ne pas être dépendant de ces métaux et de sécuriser son approvisionnement, sous peine de mettre en péril son industrie.
L'industrie sidérurgique est une industrie lourde, qui implique le déplacement de bobines. J'étais à Ugitech vendredi dernier, il est question de supprimer une voie ferrée : que va-t-il se passer ? À Saint Chély d'Apcher, un pont, classé monument historique, empêche le transport des trains chargés de bobines.
Les fluctuations des prix des matières premières, comme le fer, le charbon, le nickel, le manganèse, ne font que renforcer l'inquiétude actuelle, car elles ont un impact direct sur l'activité et sur la rentabilité du secteur sidérurgique.
Néanmoins, comme tous les secteurs d'activité, la sidérurgie doit faire face aux enjeux industriels et aux mutations et transitions de notre société. Les crises se succèdent, nombre d'entreprises basées en France, souffrent à des degrés divers. Je parle non seulement des entreprises sidérurgiques comme Tata Steel, British Steel, Ascoval, Vallourec, Saint Gobain, ArcelorMittal, Aperam, RIVA, NLMK, Ascométal, Ugitech, mais également des forges et des fonderies françaises. Dans la liste des entreprises que je viens d'énumérer, la majorité ne sont pas françaises. On se satisfait quand même qu'elles soient implantées en France et donnent du travail aux salariés français.
En tout cas, ces entreprises recourent actuellement à des campagnes de réduction drastique des coûts, voire à de l'activité partielle. Tout cela les contraint à ne plus pouvoir investir dans la maintenance, dans la modernisation des outils, et à limiter parfois leur budget de recherche et développement. Sans moyens pour faire de la recherche et du développement, il n'y aura plus la possibilité de concevoir ni de produire des aciers détenant des caractéristiques mécaniques élevées, ce qui permet par exemple la fabrication de véhicules plus légers. Cela n'ira pas dans le sens d'une sidérurgie durable. L'importance de la R&D rend nécessaire une contribution de l'État. Néanmoins, en cas d'aide de l'État, un contrôle doit en être la contrepartie.
Le pire n'étant jamais sûr : on ne voudrait pas que certaines de ces entreprises soient contraintes à la fermeture pure et simple. Griset a fermé, alors qu'il était numéro un mondial du cuivre. Je n'ai plus de nouvelles de Tréfimétaux. Ce qui se passe à Ascoval est terrible : les salariés s'interrogent légitimement sur leur avenir, alors qu'ils ont un vrai savoir-faire, ils aiment leur métier.
Nous sommes très inquiets pour Vallourec, qui a pratiquement réduit les effectifs par deux en cinq ou six ans. Ils ont vendu les drills, qui ont été rachetés par une entreprise américaine, qui performe. Je m'interroge : pourquoi ne pas les avoir conservés ? Pourquoi les américains, sur site, font-ils mieux ?
Je ne souhaite pas me limiter à un constat alarmant : lutter contre le feu lorsqu'il se déclare, c'est un pauvre substitut à la prévention de l'incendie. Ne croyez-vous pas que le meilleur moyen de traiter une crise, c'est de ne pas en avoir ?
J'ai fait une conférence sidérurgique les 4 et 5 juin dernier : j'ai repris toute l'histoire de la sidérurgie depuis les maîtres de forge. La sidérurgie est toujours debout.
L'avenir de la sidérurgie, selon nous, repose sur une meilleure compétitivité, certes, mais il n'est pas concevable que la problématique se focalise uniquement sur le seul coût du travail. Dans la sidérurgie, le coût de la main-d'oeuvre représente en moyenne 10 % - entre 6 et 12 %. Il faudrait se focaliser sur le prix des matières premières, les prix de l'énergie, l'organisation du travail. Nos dirigeants, les industriels devraient se poser quand même les bonnes questions car sinon, comment voulez-vous motiver les troupes ?
Il apparaît impératif que la concurrence avec d'autres pays comme la Chine, puisse être loyale. Je ne sais plus s'il faut parler de concurrence loyale ou de guerre commerciale et de concurrence déloyale car les producteurs d'acier ne sont pas soumis à des normes ni environnementales ni sociales.
ArcelorMittal annonce une réduction de la production de 4,5 millions de tonnes. Le groupe a déjà employé cette stratégie pour défendre le niveau de prix. Mais en conséquence, la concurrence pénètre sur le marché français avec des aciers bas de gamme, des commodités à des prix très bas, que l'on ne sait plus faire. On entend qu'il faut aller vers des produits à haute valeur ajoutée, mais encore faut-il les vendre plus cher mais il faut aussi continuer à produire des commodités à des tarifs compétitifs.
Notre organisation syndicale n'a cessé de le rappeler : s'il faut que l'Union européenne convienne de règles et les fasse respecter, c'est bien au niveau mondial qu'il doit y avoir une régulation car nous sommes dans un commerce mondial. Toutes les entreprises françaises qui exportent hors de l'Union européenne doivent affronter le protectionnisme : tout le monde s'organise en face de nous. Actuellement, le marché français est pénétré par des importations à bas coût. La mise en place de règles commerciales et fiscales ainsi que des barrières douanières au niveau européen doit être faite et d'une façon pérenne. Des choses ont été réalisées mais devraient évoluer dès le mois de juillet. Le monde change, de plus en plus vite, il faut donc que la Commission européenne soit plus réactive et prenne les décisions dans des délais beaucoup plus courts.
J'allais à Bruxelles lorsque j'étais au comité restreint d'ArcelorMittal, avant les années 2010, et on parlait déjà des quotas de carbone. Mais pour arriver à un compromis sur leur création, il a fallu de nombreuses années. Certains pays en Europe n'ont pas d'industrie sidérurgique ce qui ne les empêche pas de n'être jamais d'accord.
À FO Métaux, nous avons participé par le passé à des manifestations à Bruxelles qui rassemblaient les organisations syndicales - nous sommes en effet d'accord sur le caractère indispensable d'une industrie sidérurgique forte et performante en Europe. FO Métaux a fait une manifestation avec la CFE- CGC et Eurofer qui mène un combat commun au niveau européen comme nous l'avons écrit dans notre livre blanc intitulé « pour la défense de l'industrie : combattre le dumping social et environnemental ».
Positionner notre industrie sur des marchés verts et investir dans la technologie environnementale en réalisant des investissements dans la protection climatique devraient contribuer à trouver des nouveaux débouchés, de nouveaux marchés. J'habite à Nantes, où un parc de 80 éoliennes doit s'installer, mais cela fait des années que l'on en parle.
Sur la réforme des quotas carbone européens, FO n'a changé de position depuis le début : il faut préserver l'industrie sidérurgique et ses emplois en France et en Europe, mais aussi préserver la planète.
Le SEQE a démontré ses limites et son inefficacité. D'abord, il ne tient pas compte du contexte mondial : les industries européennes doivent émettre moins de CO2, contrairement aux entreprises hors de l'Union européenne. En Europe, si certaines entreprises en ont profité, d'autres font du chantage aux fuites de carbone. La tonne d'acier pourrait coûter à l'avenir plus de 50 euros : où nos dirigeants vont-ils les trouver ? Le droit à polluer est devenu un marché, resté trop longtemps très bas, puis aujourd'hui le prix de la tonne de CO2 a été porté à 25 euros, soit une multiplication par trois. L'impact sur l'environnement n'est pas oublié, mais on regrette qu'il ne soit pas possible de créer des règles qui s'imposent à tous les acteurs de la sidérurgie au niveau mondial. Nous regrettons que ne soit pas instauré un mécanisme de taxe de carbone aux frontières de l'Europe dans le but d'éviter une concurrence déloyale.
Il est nécessaire de rappeler que des entreprises dégagent des moyens pour réduire leurs émissions, mais il existe dans tous les cas des limites techniques : si vous voulez produire de l'acier, il faut du charbon, du fer. Il faut récompenser les plus vertueux, les entreprises qui progressent. L'État a son rôle à jouer, en donnant des subventions, en mesurant les émissions.
L'industrie de la sidérurgie, ce n'est pas que des entreprises, c'est aussi des femmes et des hommes. Le développement de l'apprentissage fait partie de nos revendications. Nous sommes à la traîne par rapport à nos voisins européens. 85 % des apprentis dans la métallurgie trouvent un emploi dans les 6 mois en France après leur entrée dans la vie active : il y a des débouchés, pas nécessairement en CDI, parfois en CDD, qui reste de l'emploi. Il faut que les jeunes soient attirés par l'industrie, par la sidérurgie. Ce n'est pas forcément le cas avec les plans sociaux, le travail le week-end, la nuit. Il y a des choses à faire. Nous avons souhaité associer l'Éducation nationale au groupe de travail sur l'emploi et les compétences au sein du Conseil national de l'industrie. L'Éducation nationale a un rôle à jouer sur ce sujet, notamment sur la conception des formations initiales : il faut donner envie aux jeunes, il faut faire des visites dans l'entreprise dès la 3ème. Il faut investir dans la qualification, reconnaître les diplômes et aller vers davantage de qualifications et de compétences, en utilisant une GPEC offensive. Avec la pyramide des âges, il n'y a plus besoin de mener des PSE : les départs en retraite se font tout seul, et la productivité augmente ! Avoir des jeunes, travailler sur l'attractivité dans la sidérurgie... Tout cela nous permettra de passer le cap sur la transition numérique.
Les entreprises et les organisations syndicales ne peuvent pas agir seules : l'État doit assumer son rôle de stratège. Il nous apparaît avisé de concevoir une nouvelle forme de politique industrielle qui reposera sur un équilibre juste entre l'intervention directe de l'État et son rôle de créateur d'environnement favorable à l'attractivité de la filière et en créant les conditions nécessaires, des espaces de délibération-, c'est peut-être le CSF et le CNI - entre les partenaires sociaux et en accentuant la responsabilité sociale des entreprises.
Pour conclure, j'insisterai sur l'importance d'un dialogue avec les différents industriels français afin qu'ils s'organisent au lieu qu'ils se fassent la guerre. C'est compliqué, ils ne sont pas tous des entreprises 100 % françaises. Il faut organiser des synergies avec le monde de la recherche, car la sidérurgie a besoin d'un aval important. Il faut que le CSF Mines et métallurgie travaille avec les CSF aéronautique et automobile.
Notre objectif, c'est de créer et maintenir de l'emploi en France dans l'industrie : il en va de notre avenir. La sidérurgie est sans cesse confrontée à une situation difficile et préoccupante. Les défis ne seront relevés qu'avec la prise en compte des points qui sont évoqués dans mon intervention, mais surtout, afin de permettre de garantir une compétitivité face à l'avenir et un marché concurrentiel, avec le maintien et le développement du capital humain : sans l'homme, sans la femme, il n'y aura pas d'industrie demain. Personne ne veut plus travailler dans une industrie et pourtant quand on parle aux salariés, ils sont fiers de leur métier, où existent des possibilités d'évolution et de promotion sociale.