Mme Filleul a évoqué l'augmentation des importations. Il faut resituer les choses et regarder la responsabilité des uns et des autres. Avec la crise financière 2008-2009, l'acier a été impacté par ses marchés en aval, bien évidemment. On a observé une escalade de fermetures de capacités de production, pas simplement en France et en Europe, représentant 40 millions de tonnes annuelles de production d'acier en Europe depuis 2008. En comparaison, un site comme Dunkerque produit 7 millions de tonnes annuelles avec 3 hauts fourneaux. Ce déclin des capacités est considérable. Au-delà du dumping, les importations sont mal maîtrisées en Europe. C'est assez facile d'imputer ces difficultés à la Commission européenne. Elle a certes un rôle à jouer pour empêcher le dumping environnemental ou social. Cependant, lorsque 40 millions de tonnes de capacités de production sont fermées en Europe, on provoque mécaniquement un appel d'air aux importations. D'autant plus qu'elles ne répondent pas à l'entièreté des besoins. Il est paradoxal qu'ArcelorMittal, dans lequel je travaille, exerce un lobbying extrêmement actif auprès à la fois de l'État français et de la Commission européenne alors qu'il est responsable de la situation, étant l'un des premiers acteurs de fermeture de capacités depuis 10 ans en Europe et en France.
Je peux fournir des chiffres qui ne se trouvent pas sur la place publique car le patronat de l'acier ne les donne pas. L'importation de brames, la matière brute de la filière fonte en 2014, était 5,8 millions de tonnes puis est monté en 2018 à 8 millions de tonnes, et même de 1,6 million de tonnes en janvier et février 2019. Le groupe ArcelorMittal a décidé de réduire sa production, une fois de plus. Nous analysons cette décision pour tenter de maintenir des prix élevés, voire les augmenter, dans une guerre commerciale qui oppose des groupes sidérurgiques et leurs clients. Arcelor dresse un paysage alarmant, mais il faut prendre en considération tous les tenants et les aboutissants.
La question de la formation et de l'apprentissage est un scandale absolu, je partage l'opinion de M. Fabien Gay.
La filière sidérurgique a été décrété stratégique en France comme en Europe depuis les travaux de la commission Tajani, auxquels nous avons participé en 2013, sur un plan d'action destiné à « révolutionner la culture d'entrepreneuriat en Europe ». Il est cependant paradoxal de considérer qu'une filière est stratégique et de ne pas prendre de décision politique pour la préserver. J'ai évoqué dans mon propos liminaire les recommandations de l'Assemblée nationale en 2013 en faveur de la prise de participation au capital des groupes à une hauteur suffisante, c'est-à-dire avec une minorité de blocage, pour éviter d'employer le terme de nationalisation, qui est apparemment devenu en France un gros mot. Pourtant, la nationalisation de Florange était prête en 2012. Si le projet de reprise du site d'Ascoval par British Steel et Greybull échoue, que fait-on ? On ferme l'entreprise, en offrant des valises de billets au aux salariés et on raye de la carte une entité majeure, la plus performante des aciéries électriques françaises ? Ne pourrait-on nationaliser, ne serait-ce que temporairement le temps de trouver une solution pérenne ? Si la sidérurgie est vraiment une filière stratégique, on peut alors prendre des décisions de nationalisation temporaire, comme celle décidée pour l'industrie navale, il y a deux ou trois ans, lors d'une transaction difficile avec un groupe italien. Il faut de l'audace politique face à une situation qui va de mal en pis. Sinon on se contente de bouts de sparadrap. C'est un vrai choix politique à opérer.
Sur ArcelorMittal France, dont le siège est à Saint-Denis, la fusion concerne les entités les plus grosses entités du groupe ArcelorMittal, Atlantique et Lorraine, mais Fos reste en dehors. Le groupe assure qu'il s'agit simplement d'une opération à périmètre juridique constant, il n'est pas totalement transparent. Il existe peut-être d'autres motivations. Je rappelle qu'ArcelorMittal avait pris des engagements sur Florange, et notamment dans le contrat avec l'État de 2012, stabilisant ses actifs en France. Si le site de Fos-sur-Mer est menacé, s'il ferme, que fera l'État ? Nationalisera-t-il ? Il faudra, le moment venu, prendre les décisions à la hauteur des enjeux.