Intervention de Amélie de Montchalin

Commission des affaires européennes — Réunion du 19 juin 2019 à 14h15
Institutions européennes — Débat préalable au conseil européen des 20 et 21 juin 2019 en présence de mme amélie de montchalin secrétaire d'état auprès du ministre de l'europe et des affaires étrangères chargée des affaires européennes

Amélie de Montchalin, Secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes :

Je sais que cette réunion a eu quelques difficultés à se tenir. Je me trouvais lundi et mardi au Luxembourg pour le Conseil des affaires générales et me rendrai dès demain au Conseil européen. Nous faisons au mieux compte tenu des contraintes de chacun ! Nous nous retrouverons mardi dans l'hémicycle pour un échange de vues sur le Conseil européen.

Le Conseil européen des 20 et 21 juin représente le premier rendez-vous après les élections européennes, le dîner du 28 mai ayant été informel. Il s'agit d'un moment clé pour préparer la période 2019-2024 et le nouveau cycle institutionnel : nous évoquerons à la fois son contenu, c'est-à-dire l'ambition commune qui sera portée au cours des cinq prochaines années, et les nominations. Nous débattrons également du prochain CFP, de la lutte contre le changement climatique et des relations extérieures. Un sommet de la zone euro a également été annoncé, ainsi qu'une réunion en format article 50, c'est-à-dire un point sur le Brexit.

Il avait été admis d'agréer un agenda stratégique pour la période 2019-2024, pour permettre au président de la Commission européenne de fonder son action sur une base ambitieuse agréée par le Parlement et par le Conseil européens. Les priorités - la protection des citoyens et des libertés, le développement d'une base économique dans l'Union européenne, la construction d'une Europe verte, juste et « sociale » (mot que la France a tenu à retenir en lieu et place d' « inclusive ») et la promotion des intérêts des valeurs de l'Europe dans le monde -, clarifiées et renforcées ces dernières semaines, ont été dévoilées par Donald Tusk lors du sommet de Sibiu. L'important est qu'elles se traduisent en résultats concrets au bénéfice des citoyens européens. Ces quatre thèmes correspondent parfaitement aux priorités portées par la France, qui aura un rôle particulier à jouer dans leur mise en oeuvre puisqu'elle assurera la présidence du Conseil de l'Union européenne au premier semestre 2022, période correspondant à la fin du quinquennat d'Emmanuel Macron.

Le Président de la République s'engagera particulièrement pour atteindre l'objectif de neutralité carbone à l'horizon 2050 et en faveur de la protection de la biodiversité. La refondation de Schengen autour d'une politique d'asile harmonisée, d'un contrôle renforcé des frontières communes et d'une plus grande solidarité entre États membres participe également de ses priorités, comme la construction d'une Europe sociale. Sur ce point, la France est attachée à la fixation d'un salaire plancher au-dessus du seuil de pauvreté, pour un travail à temps complet, commun aux pays de l'Union européenne.

Le Président de la République veillera également à la poursuite du renforcement et de l'approfondissement de l'union économique et monétaire, avec la création d'un instrument budgétaire pour la zone euro ; l'accord trouvé à l'Eurogroupe ne constitue pas le point final de ce projet, figurant dans la déclaration franco-allemande de Meseberg de juin 2018. Cet instrument a vocation à monter en charge : l'organisation de CFP doit donc permettre l'intégration de futures ressources propres, comme, monsieur Eblé, le produit de la taxation des transactions financières, sans attendre 2027. La France, avec l'Allemagne, a l'intention de s'assurer que le résultat sera à la hauteur de l'ambition initiale.

Il apparaît également essentiel que l'Union européenne s'engage davantage auprès des citoyens, de la société civile, des partenaires sociaux et des acteurs locaux. L'enjeu de proximité, que le Premier ministre a rappelé lors de son discours de politique générale, concerne également le niveau européen : il s'agit d'une condition pour que les politiques décidées par les instances européennes trouvent leur manifestation concrète. J'ai justement échangé aujourd'hui avec l'Association des maires de France (AMF) sur la mise en oeuvre, par les acteurs locaux, des politiques publiques européennes. À défaut, l'Europe restera trop conceptuelle. Le Président de la République a proposé l'organisation d'une conférence pour l'Europe, associant citoyens et institutions européennes sur le programme stratégique de l'Union européenne.

Des nominations doivent intervenir pour quatre postes : celui de président de la Commission européenne, de président du Parlement, de président du Conseil et de Haut représentant pour les affaires étrangères. Ultérieurement interviendra la nomination du président de la Banque centrale européenne (BCE), dont le rôle est essentiel pour la crédibilité des marchés financiers. Le 28 mai, les chefs d'État ont rappelé leur intérêt à trouver un équilibre géographique, démographique, de genre et d'affiliation politique pour ces nominations. Le France n'est pas favorable au système des spitzenkandidaten selon lequel le candidat tête de liste de la famille politique qui a obtenu le plus de voix aux élections est automatiquement désigné président de la Commission européenne. Ce n'est à la hauteur ni des attentes démocratiques des citoyens européens, ni du signal des élections qui ont fait émerger un bloc pro-européen centriste et vert dont il convient de tenir compte. Pour la première fois, le parti populaire européen (PPE) et les sociaux-démocrates ne disposent pas de la majorité absolue au Parlement européen. Plus que les personnes ou les nationalités, le projet doit servir de fondement aux nominations. Le président de la Commission européenne doit être expérimenté et crédible, capable d'assumer sa mission au niveau international.

Pour ce qui concerne le CFP, la Roumanie, qui avait proposé une base de négociation équilibrée, s'apprête à transmettre le relais à la Finlande, dont le gouvernement, depuis de récentes élections, est davantage centriste que précédemment, ce qui simplifiera la recherche d'équilibres politiques en Europe. Nous espérons des orientations politiques claires dès le Conseil du mois d'octobre, afin de pouvoir travailler à la mise en oeuvre du CFP courant 2020 et à son application effective au 1er janvier 2021 pour éviter les retards observés lors du dernier cycle dans la mise en oeuvre des programmes.

S'agissant du changement climatique, nous souhaitons que l'Europe parle d'une voix unie et forte lors de la prochaine convention des Nations pour le climat au mois de septembre. Nous avons une ambition commune : portons un message clair.

Les chefs d'État et de gouvernement parleront également des efforts à faire pour renforcer la résilience des démocraties face à la désinformation, et notamment lutter contre les cybermenaces, sujet de très haute importance. Nous savons qu'il y a eu des ingérences extérieures pendant les élections européennes ; nous devons nous en prémunir. Ce sujet est d'ailleurs traité aussi au niveau du Conseil de l'Europe, dont la France assume la présidence jusqu'à fin novembre.

Les sanctions sectorielles européennes appliquées à la Russie sont un moyen non négligeable d'encourager un règlement pacifique du conflit dans le Donbass et d'avancer dans la mise en oeuvre des accords de Minsk. Nous déplorons les initiatives russes qui ont fragilisé les négociations, notamment le décret pris fin avril qui facilite l'acquisition de la nationalité russe par les citoyens ukrainiens de l'est de l'Ukraine. Nous restons pleinement mobilisés, avec notre partenaire allemand notamment, pour faciliter la résolution du conflit. Le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, était à Paris ce lundi ; il s'est ensuite rendu à Berlin. Il prend des initiatives courageuses, et il nous semble utile de le soutenir. Nous sommes à sa disposition pour organiser un nouveau sommet en format Normandie dans les semaines qui viennent.

À l'agenda des chefs d'État figure aussi le dixième anniversaire du partenariat oriental, qui a pour vocation de faciliter la coopération économique et politique avec six États d'Europe orientale et du Caucase, en matière notamment de lutte contre la fuite des cerveaux.

Il est aussi question d'un partenariat entre l'Union européenne et les pays du sud de la Méditerranée ; c'était l'un des objets du Med 7 qui s'est tenu à Malte vendredi dernier. Hier, au conseil des affaires générales, nous avons pris à l'unanimité la décision de demander à la Commission et au SEAE (service européen pour l'action extérieure) de nous remettre des propositions concrètes en vue de faire face aux agissements illégaux de la Turquie dans la zone économique exclusive chypriote. Il s'agit d'un sujet très sensible, que nos collègues chypriotes suivent avec une certaine angoisse, eu égard à la militarisation prononcée que connaissent les environs de leur île.

Je mentionne également le partenariat entre l'Union européenne et l'Afrique ; nous plaidons fortement pour que l'Afrique soit l'une des priorités du NDICI, nouvel instrument de voisinage, de développement et de coopération internationale de l'Union.

Sur l'élargissement, nous n'avons pas pu, hier, prendre de décision substantielle ; non par manque de préparation ou par manque de courage, mais parce que le Bundestag doit - il s'agit d'une exigence constitutionnelle - se prononcer avant que la voix allemande puisse s'exprimer officiellement. Le Bundestag devrait statuer en septembre sur les cas de la Macédoine du Nord et de l'Albanie, et nous nous sommes mis d'accord pour qu'aient lieu, après cela, des discussions « claires et de substance ».

Il s'agit de continuer à respecter l'esprit qui est traditionnellement celui de ce genre de discussions avec les pays candidats, en procédant sans calendrier établi sur la base de critères exigeants. Nous avons toujours dit que les Balkans occidentaux ont vocation à entrer dans l'Union européenne ; mais les conditions d'une telle entrée doivent être réunies, tant de leur côté que du nôtre, en matière de capacité d'absorption et de bon fonctionnement.

L'accord de Prespa et le traité d'amitié entre la Bulgarie et la Macédoine du Nord sont de vraies avancées, dont nous devons reconnaître la valeur ; nous avons désormais un travail précis à accomplir.

Monsieur Bizet, je ne pense pas que l'élargissement soit dans l'ADN de l'Europe : l'ADN de l'Europe est de faire avancer un projet, celui de la protection de la démocratie, de la prospérité, de la paix et d'une certaine vision du progrès ; nous n'avons aucune vocation à je ne sais quelle fuite en avant géographique.

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