Intervention de Amélie de Montchalin

Commission des affaires européennes — Réunion du 19 juin 2019 à 14h15
Institutions européennes — Débat préalable au conseil européen des 20 et 21 juin 2019 en présence de mme amélie de montchalin secrétaire d'état auprès du ministre de l'europe et des affaires étrangères chargée des affaires européennes

Amélie de Montchalin, Secrétaire d'État :

Sur la Chine, il y a un enjeu, énoncé par MM. Macron et Juncker et par Mme Merkel. Nous ne devons pas être naïfs. La Chine est un territoire d'investissement, un pays avec des opportunités de marché et de développement, mais aussi un pays qui cherche une dynamique de puissance et de rayonnement international, parfois de manière agressive. Ses projets d'investissements ont amené un progrès important en Europe, qui est la protection de nos actifs stratégiques. L'idée n'est pas de faire du protectionnisme rigide mais de considérer que certaines activités et certaines infrastructures ne sont pas ouvertes à l'achat hostile ou semi-hostile par des acteurs étrangers car cela remettrait en cause notre souveraineté.

Sur la PAC, ma position n'a pas changé. La France aura bénéficié, au titre du premier pilier, de 52 milliards d'euros entre 2014 et 2020. La proposition de la Commission réduirait cette somme à 50 milliards d'euros. Nous nous sommes donc pleinement mobilisés pour que ces 50 milliards redeviennent 52 milliards, et que l'enveloppe de la France soit constante. Pour le deuxième pilier, la Commission propose de le ramener de 9,9 milliards d'euros à 8,5 milliards d'euros. Nous nous battons pour maximiser notre taux de retour. Notre objectif est une enveloppe constante en euros courants. Dans la grande masse du budget européen, la part agricole peut diminuer graduellement sans que cela doive être un choc ou une rupture. Surtout, nous tenons beaucoup à regarder ce qu'il y a dans les financements. Il faut une PAC modernisée, simplifiée, verdie, qui soit une politique d'investissement, de transition et de transformation. Un défi majeur est d'aider à l'insertion des jeunes agriculteurs, car 50 % des agriculteurs vont partir à la retraite d'ici à 2025. Le verdissement, c'est la méthanisation, les circuits courts, la diminution de l'emploi d'intrants chimiques ou en tout cas non totalement naturels. La PAC doit être un instrument de cette transition et non pas un instrument de menace ou de rupture. Nos agriculteurs ont en effet besoin d'être accompagnés. Nous ne sommes pas seuls à Bruxelles. Certains pays ont un intérêt pour le premier pilier, d'autres pour le second. Avec 8 à 10 milliards d'euros de plus pour la PAC au niveau européen, nous avons de quoi réorganiser les choses pour que chacun s'y retrouve. Cette demande ne paraît pas excessive.

J'ai été surprise par les chiffres que vous donnez sur les réductions de budget dans la politique de cohésion. Nous tenons à ce que la catégorie des régions en transition, qui ont un revenu par habitant d'entre 75 et 100 % du revenu moyen européen, soit préservée. Cela permettra un accompagnement du développement économique non seulement des régions les plus pauvres, mais de celles qui sont en transition, et permettra de sortir aussi d'une vision rurale ou métropolitaine de la politique européenne, pour traiter toutes les zones territoriales qui sont dans l'entre-deux, et notamment les petites villes.

La politique européenne doit s'incarner. Ce qui complique la négociation, c'est le taux de consommation et de programmation des fonds. Difficile de demander de l'argent s'il n'est pas, ou peu, utilisé ! Pour nous aider dans la négociation bruxelloise, faites tout ce que vous pouvez pour que vos élus locaux fassent augmenter les taux de programmation et de paiement. Pour le programme Leader (Liaison entre actions de développement de l'économie rurale), nous avons actuellement 15 000 dossiers recensés, finançables, qui doivent encore passer dans les moulinettes d'un système d'information qui s'appelle Osiris et qui, contrairement au dieu égyptien, n'est pas extrêmement lumineux... L'avancée du processus dépend des présidents de région. Ils annoncent avoir recruté du personnel pour accélérer le passage des dossiers papier dans les systèmes d'information. Si vous pouvez nous aider, ce sera bon pour vos territoires et pour notre négociation ! Difficile de défendre une enveloppe qui, pour l'instant, est payée à 6 % et programmée à 15 %...

Nous poussons à la création de ressources propres avec beaucoup d'intérêt, car nous pensons que l'Union européenne ne peut pas se financer uniquement sur les contribuables et les budgets nationaux. Cela peut être un impôt sur le plastique, sur le carbone, une taxe sur les transactions financières, voire même un prélèvement sur l'impôt sur les sociétés. La France n'est pas seule, et nous travaillons avec d'autres États membres : il serait bon d'avoir plus de ressources sans peser sur les déficits et les équilibres budgétaires nationaux.

Comment aider les Britanniques face au Brexit ? Nous sommes français, ils sont britanniques, et l'ingérence n'est pas notre culture : ce n'est pas de notre ressort. Pour autant, notre discours doit faire la part des choses entre un gouvernement et un peuple. Beaucoup d'entités au Royaume-Uni ne souhaitent pas rompre les liens. Il y a eu une décision politique, et c'est au peuple britannique de choisir comment elle sera mise en oeuvre : il peut y renoncer, la mettre en oeuvre de manière ordonnée, de manière brutale... Nous, nous devons avoir une parole forte sur la relation future que nous aurons à construire, car le Royaume-Uni ne va pas se déplacer dans l'océan Atlantique !

Pour incarner l'Europe, nous cherchons quelqu'un qui ait les épaules, l'énergie, l'envie de porter un projet. Ce ne doit pas être cinq ans d'enterrement mais de renouveau, en ligne avec le projet de renaissance qu'a porté le Président de la République. Il ne s'agit pas de rêver béatement d'un rebond, mais de souscrire à la nécessité de renforcer la souveraineté européenne pour défendre nos valeurs.

L'enjeu linguistique est majeur, même si parler français n'est pas une condition suffisante. Dans les institutions européennes, je m'exprime systématiquement en français dans les cercles officiels, comme d'ailleurs tous les ministres du Gouvernement. Beaucoup de mes homologues, d'ailleurs, m'expriment leur regret de ne pas pouvoir parler davantage français, langue qu'ils maîtrisent partiellement. Bref, ce n'est pas un combat perdu. Il n'y a pas qu'une seule langue officielle dans l'Union.

Vous m'interrogez sur l'Europe puissance : avons-nous un marché trop ouvert ? Le basculement asiatique potentiel de la Russie aura-t-il des conséquences sur notre développement économique ? Protéger nos actifs stratégiques, être capable d'imposer une forme de réciprocité dans nos échanges, intégrer dans nos tarifs douaniers une part liée aux normes environnementales et sociales, ce n'est pas se fermer, c'est reconnaître qu'il faut construire des équilibres. Le commerce apporte des bienfaits, mais nous devons prendre des précautions, avec lucidité.

Sur l'accord avec le Mercosur, notre Président, le Président polonais, le Premier ministre belge et le Taoiseach irlandais ont écrit hier à Jean-Claude Juncker une lettre rappelant les exigences initiales de ce mandat commercial : les quotas, les normes, le respect de l'accord de Paris... Nous savons qu'il y aura des avantages commerciaux à ouvrir les exportations européennes vers l'Amérique du Sud, mais nous savons aussi qu'il y a des menaces. Il est intéressant de voir ces quatre chefs d'État et de gouvernement écrire au président de la Commission pour lui rappeler ses obligations. Il faut de l'équité et une forme de réciprocité.

Sur les migrations, vous connaissez la forte mobilisation franco-allemande. Il faut réviser Schengen, recréer de la responsabilité aux frontières extérieures et de la solidarité à l'intérieur, autour d'un droit d'asile unifié. Schengen a été signé il y a exactement 34 ans. Il comporte deux jambes : moins de contrôles aux frontières intérieures et plus de fermeté aux frontières extérieures. Au fond, la deuxième n'a jamais avancé avec la même vigueur que la première. En cas de crise et d'afflux de réfugiés et de migrants, ce système devient dysfonctionnel. Nous ne voulons aucun quota de réfugiés, mais nous devons nous organiser beaucoup mieux pour que le droit à la protection soit un droit effectif. Il n'est pas normal que ceux qui ont droit à la protection ne la reçoivent que deux ou trois ans après leur demande, simplement parce que nous n'arrivons pas à nous organiser, parce que nos systèmes sont trop différents. Des demandes sont faites dans différents pays en parallèle, il y a une forme d'engorgement... Nous devons reprendre nos responsabilités, nous montrer solidaires, et entendre les pays qui ne souhaitent pas accueillir de migrants. Il est difficile de définir l'identité si on ne sait pas où elle s'arrête.

Comment limiter la réglementation parfois excessive générée par les fonctionnaires et qui parfois décourage de l'Europe ? En ayant un Parlement européen au clair sur le fait que sa fonction n'est pas de faire des normes mais d'apporter des résultats aux citoyens, en évitant les sur-transpositions et en concentrant l'activité là où il y a le plus de valeur ajoutée européenne.

Faut-il revenir sur les listes transnationales, alors que le paysage politique européen a été bouleversé ? Cela aurait le mérite de la clarté et celui de faire vivre le projet européen dans sa dimension transnationale. Il ne s'agit pas d'un projet fédéral mais d'un projet qui respecte à la fois les États-Nations et la voix des citoyens dans leur diversité.

Sur les Balkans, j'ai entendu des choses qui ne sont pas exactes. M. Bonnecarrère nous félicite d'avoir obtenu un report. La France n'a pas obtenu un report : elle a pris acte du fait que, le Bundestag ne s'étant pas prononcé, il était impossible de statuer sur le fond. Dans ce débat, la France fait son travail : nous analysons le rapport de la Commission point par point ; nous regardons si les critères ont été remplis ; nous essayons de comprendre si le niveau d'exigence que nous avions fixé l'année dernière a été atteint ; nous essayons de voir quelles sont les conditions à fixer aux pays qui souhaitent entrer dans la négociation. Nous n'avons rien obtenu. Il est important, d'abord, que le Bundestag se prononce. C'est alors que nous statuerons sur le fond. Les pays des Balkans ont une perspective européenne, comme cela a toujours été dit. Mais le contexte est aussi très clairement énoncé. Il y a des critères qui doivent être remplis pour que les négociations puissent s'ouvrir. Les critères ont été fixés. La Commission nous dit qu'ils ont été remplis pour l'Albanie et la Macédoine du Nord. Nous menons nos propres analyses et, sur certains points, nous pensons que la mise en oeuvre des réformes que nous avons demandées n'est pas totale. Nous avons des échanges très ouverts avec les dirigeants de ces pays. L'essentiel, c'est que les classes moyennes, les classes moyennes supérieures et les jeunes de ces pays puissent y rester parce qu'ils y voient un avenir. Nous ne construirons pas une dynamique prospère, équilibrée, démocratique, si ces pays ne conservent pas leurs forces vives. La perspective européenne est un levier, mais elle n'est pas le seul. Nous aurons à Poznan, les 4 et 5 juillet, toutes les réunions du processus de Berlin, tout aussi importantes : l'important à court terme est notre capacité à offrir des infrastructures, des partenariats, des échanges universitaires - bref, les bonnes raisons pour que les forces vives de ces pays y restent.

Nous ne sommes pas seuls à vouloir une Europe souveraine, notamment vis-à-vis de la Chine et face aux menaces internationales. Sur les questions de défense, de sécurité et d'économie, il faut que nous soyons plus souverains, en sortant des conceptions historiques de la souveraineté : il s'agit d'une manière de conserver une forme d'autonomie du jugement, d'avoir une voie qui nous est propre, de porter des combats qui sont les nôtres et d'être respectés.

La conditionnalité dans le cadre financier pluriannuel est l'un de nos objectifs : la convergence ne s'achète pas, mais l'ensemble des politiques européennes doivent être cohérentes. On ne peut pas vouloir une charte forte sur les droits sociaux, créer un salaire plancher et constater que certains pays continuent de pratiquer le dumping social.

Sur la zone euro, il y aura lors du sommet de vendredi des clarifications et, j'espère, de l'ambition. Ce qui a été négocié était très difficile à obtenir ! On peut considérer que ce n'est pas assez, mais il faut déjà reconnaître que la création de cette enveloppe, sur la base de 19 pays, pour soutenir notre convergence et notre compétitivité, est un beau résultat.

Pour dépasser la fracture Est-Ouest sur l'écologie, il faut montrer qu'il ne s'agit pas d'un hobby de bobos occidentaux mais bien d'une manière de relocaliser des emplois et de créer des économies durables. L'économie circulaire, c'est à la fois bon pour la planète, bon pour l'emploi et bon pour notre pouvoir d'achat. Il faut sortir d'une vision punitive. Si notre discours est perçu par certains pays comme un frein à leur convergence, nous n'y arriverons pas. Nous veillons, avec nos ambassadeurs au sein de l'Union européenne, à ne pas passer pour des apôtres idéologues mais à suivre les réalités des besoins des populations des différents pays.

M. Bocquet dit que les nationalistes et les eurosceptiques progressent partout. Ils ne progressent que dans deux cas de figure : en France, ils restent premiers ; en Hongrie, en Pologne et en Italie, ils ont fortement progressé, ce qui déconstruit d'ailleurs en partie la doctrine selon laquelle, quand les populistes arrivent au pouvoir, ils désillusionnent rapidement leurs électeurs. Il y a là une alerte que nous prenons très au sérieux. La meilleure réponse est dans les résultats concrets pour la vie quotidienne des citoyens.

Quand, le 28 mai dernier, les chefs d'État et de gouvernement ont chargé Donald Tusk de travailler en dialogue étroit avec les différentes délégations du Parlement européen, c'est bien pour éviter que le Conseil annonce ses candidats et découvre ensuite qu'ils n'ont pas de majorité au Parlement. Le principe de la double majorité nous oblige à travailler ensemble. Et nous avons de nombreux échanges avec les groupes parlementaires. Cet équilibre est typique de la construction européenne, qui n'est pas un État fédéral.

Sur la fraude fiscale, j'entends votre appel à approfondir notre action. Ce qui a été fait sur la liste des paradis fiscaux est déjà un grand pas. La loi française sur la lutte contre la fraude fiscale comporte des dispositions intéressantes, notamment sur les mécanismes d'optimisation, qui doivent être maintenant connus du Fisc pour repérer d'autres personnes qui auraient pu en bénéficier.

Aucun pays n'a de monopole sur la politique de la BCE, dirigée collégialement par un collège des gouverneurs. D'ailleurs, vu la situation de l'inflation et le niveau des taux français à dix ans, je ne crois pas que les conditions économiques soient réunies, ni en France ni en Allemagne ni ailleurs, pour une remontée des taux.

Enfin, le Brexit ne dispense en aucun cas le Royaume-Uni de ses obligations dans le cadre des traités. S'il ne les honorait pas, ce serait un manquement caractérisé, vis-à-vis des instances internationales mais aussi des organismes privés. C'est un constat. Les agences de notation, les prêteurs, les marchés financiers en tireraient les conséquences.. À Londres, j'ai rencontré de nombreux acteurs politiques conscients du risque qui pèse sur la souveraineté de leur pays.

Enfin, le conseil des gouverneurs de la BEI qui s'est tenu vendredi 14 juin a doublé les crédits consacrés au climat et prévu une augmentation de capital associée à la création d'une filiale spécifique pour le climat. Ces décisions sont de nature à lever les doutes. La BEI s'appuie à la fois sur les banques privées et les structures comme la Caisse des dépôts et consignations, qui soutient la transition écologique dans les territoires à travers les infrastructures et la mobilité. Voilà un embryon de ce que sera la future Banque européenne du climat.

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