Les taux n'ont été négatifs que durant deux jours. La France emprunte ces dernières semaines à 0,11 %. Certains expliquent qu'un niveau aussi bas s'explique par l'action accommodante de la Banque centrale européenne ; selon d'autres, des taux aussi bas expriment une aversion au risque, ce qui est annonciateur d'une crise économique. Le général de Gaulle disait des économistes qu'ils expliquaient toujours pourquoi ce qu'ils avaient prévu n'était pas arrivé...
Les taux bas ne s'expliquent pas uniquement par la politique de la Banque centrale européenne : l'Italie emprunte à un taux de 2,42 %, avec la même banque centrale et la même monnaie. L'Allemagne, quant à elle, emprunte structurellement à des taux négatifs.
Si nous appliquions les taux italiens aux emprunts français, nous devrions payer 15 milliards d'euros d'intérêts de plus l'année prochaine. La France n'a pas les moyens de payer ces 15 milliards. Il nous faudrait donc soit diminuer de façon extrêmement marquée les dépenses publiques - et je ne suis pas certain que le ministre des comptes publics prendrait alors beaucoup de temps pour discuter avec les chambres et avec ses collègues face à cette urgence -, soit augmenter très fortement les impôts, et sans doute plus sûrement un peu des deux.
Je me réjouis donc de ces taux d'intérêts bas, non seulement parce que je n'ai pas à trouver 15 milliards d'euros supplémentaires, mais aussi parce que les marchés font plus confiance à la France qu'à l'Italie, par exemple, à niveau de dette à peu près similaire et avec des difficultés évidentes depuis quarante ans en matière de comptes publics.
Cela signifie que les réformes voulues par le Président de la République et que nous exposons à la Commission européenne, à la Cour des comptes, aux emprunteurs - la moitié des gens qui nous prêtent de l'argent ne sont pas européens - sont crédibles. Je peux faire jouer la fibre nationale avec les grandes banques françaises, c'est plus compliqué avec des prêteurs venus de l'autre bout du monde qui ne regardent que leur intérêt...
Toutes nos réformes - code du travail, fiscalité du capital, SNCF, assurance chômage, audiovisuel public, fonction publique... - portent leurs fruits auprès de ceux qui nous jugent - la Commission européenne -, qui nous notent - les agences de notation - ou qui nous prêtent. Nos chiffres ne sont peut-être pas excellents, mais nous faisons les réformes nécessaires pour transformer notre appareil économique.
Le montant de la dette n'est pas aussi dangereux que le risque d'un arrêt des réformes. Si nous interrompions ce cycle, soyez certain que les taux d'intérêt augmenteraient et qu'il faudrait faire du paramétrique dans tous les domaines ou augmenter les impôts, ce qui est arrivé à d'autres pays. Il est donc essentiel de tenir l'agenda des réformes.
Certains, enfin, proposent de profiter de ces taux bas pour emprunter davantage. Pour moi, ce serait l'équivalent d'une prise de morphine. La France empruntant en général à moins de dix ans, notre stock de dette se renouvelle assez vite. Supposons que les taux remontent en moins de six mois aux niveaux italiens, nous serions pris à la gorge.
Monsieur Mélenchon me dit régulièrement que la dette n'existe pas. Je caricature sa pensée, mais il estime que la France ne pourrait être mise en faillite, parce que c'est la France. D'autres poussent à emprunter parce que le moment leur semble bien choisi eu égard à la faiblesse des taux. Une telle politique se révélerait mortelle pour notre pays, car les taux finiront par remonter un jour.
Enfin, Monsieur Henno, même dans cette période, je préférerais tout de même être dans la position du ministre allemand des comptes publics qui doit répartir les excédents - il a d'ailleurs fait le choix de les redistribuer aux fonctionnaires, notamment aux enseignants - et non gérer les déficits. Mais pour arriver aux excédents, il a fallu à l'Allemagne vingt ans d'une gestion sans doute plus compliquée que celle que nous avons pu connaître sous quelque gouvernement que ce soit.
Le passage du système assurantiel au système universel s'inscrit dans la politique générale d'exonérations et d'allégements. Nous considérons que le coût du travail a handicapé notre économie et entraîné des délocalisations. Certains pourraient dire la même chose du coût de l'énergie et nous pourrions avoir le même débat sur l'énergie nucléaire. Je pense que le coût du travail était moins intéressant en France qu'ailleurs en Europe ou dans le monde. L'allégement général des cotisations, suivi par tous les gouvernements réformistes, y compris par ceux qui se disaient socialistes, a mis fin au système assurantiel, remplacé par l'impôt.
Michel Rocard n'y pensait peut-être pas au moment de créer la CSG, mais l'assiette de cet impôt s'étend aussi au capital, qui finance donc aussi le social, ce qui me semble assez juste. Lors de l'élection présidentielle, la question de savoir s'il fallait augmenter la TVA ou la CSG n'était pas un mauvais débat. Choisir la TVA, comme le fait souvent une partie de la majorité sénatoriale, n'est pas pareil qu'augmenter la CSG.
En ce qui concerne les Carsat, je ne suis pas certain qu'il faille toujours répondre aux problèmes par des dépenses supplémentaires. Dans le cadre de la convention d'objectifs et de gestion 2018-2022 que nous avons signée avec la ministre des solidarités et de la santé, nous avons doublé le montant des fonds de prévention dont les crédits devraient s'élever à une centaine de millions d'euros.
Vous n'avez pas l'air d'être convaincu, Monsieur Dériot, mais le montant du coût de la sous-déclaration des accidents du travail pour la branche maladie est évalué tous les trois ans par une commission indépendante présidée par un magistrat de la Cour des comptes. Je n'ai pas la capacité du rapporteur général pour évaluer la justesse du montant retenu, à une centaine de millions d'euros près.
Vous m'avez enfin demandé pourquoi nous n'avions pas choisi de fixer un Ondam plus élevé. Il a augmenté de 2,3 %, cette année, comme nous nous y étions engagés. L'année dernière, il avait augmenté de 2,5 % pour tenir compte des investissements nécessaires dans les hôpitaux ultramarins, notamment dans le centre hospitalier de Guadeloupe.
Encore une fois, nous avons tenu un Ondam à 2,3 %, exécuté à 2,1 %. Le Gouvernement a redonné aux hôpitaux le surplus. Il est très difficile de tenir un Ondam entre 2,1 et 2,3 % pour les raisons que vous avez évoquées.
Dans l'Ondam, on ne trouve pas que les dépenses de santé stricto sensu et les hôpitaux. Y figurent aussi les indemnités journalières, la médecine de ville, l'homéopathie... Certaines questions très importantes se posent, beaucoup de gouvernements et de parlementaires y ont réfléchi et ont parfois reculé devant l'obstacle. Mais l'Ondam n'étant pas qu'une dépense de santé, je ne suis pas sûr qu'il faille juger de l'efficacité de notre système de santé uniquement au regard de sa progression. Voilà un peu plus de dix ans, il atteignait 6 à 7 % et nous parlions déjà de crise dans les hôpitaux.
Le métier de soignant et d'aide-soignant est très difficile et souffre d'une concurrence très forte avec le privé, qui s'est spécialisé et qui a parfois attiré un certain nombre de praticiens hors du secteur public. La question du numerus clausus se pose aussi. Il ne s'agit donc pas que d'une question d'argent...
La réunion est close à 17 h 55.