J'ai toujours un grand plaisir à parler d'industrie et, en particulier, d'industrie métallurgique car je suis impliquée depuis très longtemps dans ce secteur. J'en ai suivi les évolutions récentes ; j'ai notamment observé la concentration des grandes entreprises de l'aluminium, qui sont passées de sept à deux en moins de dix ans - songez à la disparition de Pechiney ou d'Alcan -, non sans conséquences pour les sites français. Le rachat de Pechiney par Alcan a été une bonne chose, car Alcan, en investissant dans les sites de Pechiney, a renforcé leur position, mais le rachat d'Alcan par Rio Tinto a conduit à un démantèlement total de la filière, au point qu'il n'existe plus aucun site en France. Cela montre à quelle vitesse les filières, soumises à une forte pression internationale, peuvent se déstructurer.
Le comité stratégique de filière que j'ai l'honneur de présider vise à restaurer les filières au coeur de la politique industrielle française en instaurant un dialogue, aussi efficace que possible, entre l'État, les entreprises et les organisations syndicales sur tous les sujets clés permettant une reconquête industrielle. À la différence des précédents, les CSF actuels, plus sélectifs, se focalisent sur les batailles que la France peut gagner.
Le contrat pour la filière mines et métallurgie, signé en janvier 2019, est le résultat d'un long travail de concertation entre les industriels, les syndicats et l'État, qui a été accouché dans la douleur. La filière mines et métallurgie est un maillon indispensable de l'approvisionnement de filières aval aussi stratégiques que l'automobile, la construction, l'aéronautique, l'espace, la défense, les composants électroniques, les énergies renouvelables, mais elle est très spécifique. Contrairement aux filières automobile ou aéronautique, dans lesquelles de grands donneurs d'ordres prévalent sur une pyramide de sous-traitants, dans une relation verticale de fournisseur à client, la filière mines et métaux est atypique, très horizontale, laisse peu de place aux relations de fournisseur à client. Les enjeux sont très hétérogènes : les activités respectives d'Eramet, ArcelorMittal, Imerys, Orano ou de petits fondeurs diffèrent grandement - les métaux, les applications, les métiers, les marchés ne sont pas les mêmes. Il y a peu de grands leaders et, surtout, quasiment plus de grand leader français. Il n'existe pas d'équivalent d'Airbus ou de PSA, qui peuvent fédérer une série de sous-traitants et leur dire sur quel projet se mobiliser. Beaucoup se sont en conséquence interrogés sur la pertinence d'un CSF pour ce secteur. Les enjeux stratégiques d'approvisionnement des filières aval ont finalement justifié que l'on tente de conduire des projets structurants en commun.
Vous connaissez les chiffres de la filière : près de 2 650 entreprises, 36 milliards d'euros de chiffre d'affaires, 110 000 emplois directs, une valeur ajoutée d'environ 11 milliards d'euros. Le secteur est extrêmement exposé à la concurrence internationale. Il y a dans de nombreux cas des surcapacités mondiales, non sur le volet mines, mais sur celui de la métallurgie et de la sidérurgie. Cette industrie donne à la France de nombreux atouts. D'abord, sa forte capacité exportatrice, puisque 70 % des entreprises de la filière font plus de 50 % de leur chiffre d'affaires à l'export. Ensuite, un potentiel d'innovation non négligeable : la quinzaine de centres de recherche sur le territoire rassemble plus de 2 000 personnes. C'est enfin une filière à caractère stratégique puisqu'elle approvisionne l'automobile, la défense ou encore l'aéronautique françaises.
La forte concurrence internationale, défi posé à notre compétitivité, et la forte fragmentation du secteur, rendaient indispensable de mutualiser nos efforts. Nous avons choisi sept projets, qui s'articulent autour des principaux enjeux rassemblant les industriels de l'extraction, de la production, de la transformation et du recyclage de l'ensemble des métaux ferreux et non ferreux. Ces enjeux sont les suivants : assurer un développement durable et compétitif en matières premières primaire et secondaires ; accompagner la transformation numérique des entreprises, pour assurer leur compétitivité et leur montée en gamme ; favoriser l'innovation ; contribuer aux objectifs de la transition écologique, dans la manière de produire et dans l'utilisation des produits ; développer l'économie circulaire ; développer, enfin, un haut niveau de compétence des salariés et l'attractivité des métiers de la filière - qui peine pour l'heure à attirer les talents.
Le premier projet structurant vise à construire et mettre en place les standards de référence de la mine et de l'approvisionnement responsables. L'objectif est de rétablir la confiance des investisseurs et des populations locales dans le développement des projets miniers en France, mais surtout d'assurer une égalité de traitement entre les entreprises minières qui s'approvisionnent de manière responsable, ce qui a un coût, et les autres. Nous travaillons pour cela à la réforme du code minier, à l'élaboration d'un référentiel de la mine responsable, et à la mise à l'étude d'un système de labellisation durable.
La révision du code minier est importante, mais les enjeux de la filière ne s'y réduisent pas. L'indépendance française ne sera pas assurée par les mines françaises - même si l'on peut encore développer des mines en France - mais il est important de se rapprocher des standards internationaux. Le Canada, par exemple, s'est doté d'un code minier extrêmement responsable dont la France peur s'inspirer : ne réinventons pas la roue. Eramet est leader sur le projet de référentiel mines responsable. L'idée est de ne laisser entrer en France et en Europe que des matières premières répondant à un code éthique et selon une chaîne d'approvisionnement responsable, afin d'éviter la concurrence déloyale. Ce projet ne concerne pas directement la sidérurgie - bien qu'ArcelorMittal soit opérateur minier à l'étranger - mais de nombreux minerais entrent dans la composition de l'acier et l'approvisionnement responsable en ces minerais servira la filière aval. Les consommateurs automobiles s'intéressent de plus en plus à la façon dont sont produits les véhicules. Or la voiture de demain sera faite de davantage de métaux qu'aujourd'hui, puisque la batterie représentera 40 % du poids d'une voiture verte et la carrosserie restant fabriquée en acier. Un label européen permettrait de ne laisser entrer en Europe que les matières premières produites de manière responsable.
Le deuxième projet structurant consiste à accélérer la digitalisation de la filière métallurgique pour la rendre plus compétitive. Cela concerne aussi la sidérurgie. Un état des lieux de sa maturité numérique a été réalisé en 2018, qui a permis d'établir une cartographie et d'évaluer la sensibilité des entreprises à la digitalisation et leur intérêt à travailler sur des projets collaboratifs. Trois thèmes prioritaires en sont ressortis : l'automatisation, l'aide à la conception pour la fabrication, et la traçabilité des flux énergétique et environnementaux. Les projets collaboratifs suscitant l'intérêt des entreprises sont la création de jumeaux numériques, l'internet des objets, et la manutention des charges lourdes.
Nous avons beaucoup de difficultés à mobiliser les entreprises de taille moyenne, notamment les PME, sur ces enjeux, qui conditionnent pourtant leur avenir. Focalisées sur leur survie au quotidien, elles peinent à dégager des ressources financières et humaines pour ces projets. L'État a pourtant mobilisé des moyens, des formations existent, mais nous avons du mal à mettre les acteurs autour de la table. Nous avions envisagé une plateforme numérique et collaborative commune mais nous avons mis ce projet en veille, faute de moyens et d'intérêt des acteurs. Ces derniers ont plutôt tendance à se raccrocher aux plateformes numériques de leurs clients, qui leur sont imposées. Nous pourrions réorienter ce projet vers des actions individuelles portées par certaines entreprises. Les grands groupes - Arcelor, Aperam, Imerys, Eramet... - peuvent se débrouiller seuls ; les autres n'ont pas de temps à y consacrer.
Le troisième projet, qui ne concerne pas la sidérurgie, consiste à développer des mines et des carrières connectées. C'est fondamental pour sécuriser l'approvisionnement en matières premières. Le big data est un enjeu colossal pour le volet de la géologie relatif aux métaux rares et stratégiques. Nous travaillons sur ces questions avec les acteurs amont.
Le quatrième projet vise à réduire les émissions de gaz à effet de serre en extrayant le CO2 des gaz et des fumées industrielles. Spécifique à la sidérurgie, il est porté par ArcelorMittal. Je sais que Philippe Darmayan vous en a parlé en début de mois.
Le cinquième projet consiste à développer une filière intégrée de recyclage des batteries lithium-ion. Il est piloté par Eramet. Il ne concerne pas spécialement la filière sidérurgique mais fait partie intégrante de la réflexion de la mission « batteries » du Conseil national de l'industrie, copilotée par les CSF « Automobile » et « Chimie et matériaux ». Le CSF « Mines et métallurgie » y contribue pour ce qui relève du recyclage des cellules de batteries et l'alimentation en matières stratégiques. L'enjeu est de ne pas se laisser distancer par nos concurrents. La Chine a gagné la première bataille : les batteries électriques de première génération seront chinoises. La Chine ayant compris très vite que l'alimentation en matières premières serait stratégique, elle maîtrise 50 % de la production mondiale de lithium, 45 % de la production mondiale de cobalt, 90 % des métaux rares, et la plupart des projets de nickel hydrométallurgie en développement actuellement sont le fait d'entreprises chinoises largement subventionnées.
Ayant perdu la première bataille, nous tâchons de nous positionner pour la seconde, en évitant que les batteries chinoises montées sur des véhicules européens, une fois arrivée en fin de vie, ne repartent pour être recyclées en Asie. La France a déjà des capacités de traitement des batteries. Nous attendons de grandes quantités, environ 50 000 tonnes, à recycler à partir de 2027, et plus encore sans doute en 2030. Il faudra, d'ici là, mettre en place une filière compétitive capable de produire non pas des matières dégradées comme c'est le cas aujourd'hui - le nickel n'est recyclé qu'en inox - mais des matières susceptibles de servir à faire de nouvelles batteries - du nickel haute pureté, aussi.