Ça y est ! L'arlésienne est de retour : le Centre national de la musique (CNM) refait surface. Alors que le cinéma dispose depuis 1947 d'un établissement dédié, le Centre national du cinéma (CNC), doté de moyens significatifs et en mesure de faire dialoguer et coordonner les différentes composantes du secteur, tel n'est pas le cas de la musique.
Pourtant, la musique enregistrée et les spectacles représentent une part essentielle de la production culturelle française, avec un chiffre d'affaires global de 1,5 milliard d'euros, supérieur à celui du cinéma. C'est peut-être pour cela que ce regroupement n'existe pas...
La création d'un centre national de la musique est évoquée depuis 2011, à la suite du rapport réalisé par Franck Riester et Didier Selles. À l'époque, et alors que l'ensemble des acteurs, en pleine panique, étaient prêts à s'engager, le projet avait été abandonné, faute de moyens, peu après l'arrivée en poste d'Aurélie Filippetti, ce dont la filière garde un fort ressentiment - les auditions l'ont confirmé.
Pour autant, la nécessité de constituer un centre national dédié est plus que jamais d'actualité, et repose sur deux séries de constats.
Premier constat, la révolution numérique a profondément bouleversé le secteur. Le numérique avait affecté la création dans les années 1980. Parmi les industries culturelles, la musique est le premier secteur à avoir été frappé par la crise due à l'arrivée d'innovations numériques révolutionnant la consommation de produits culturels.
Dès la fin des années 90, le piratage de morceaux, via Napster et ses dérivés, a considérablement fragilisé l'économie de la filière. L'édition musicale a été particulièrement touchée, le chiffre d'affaires de la musique enregistrée ayant été divisé par trois entre 2002 et 2015. Un secteur autrefois florissant a ainsi été très brutalement confronté à une perte massive et rapide de revenus. C'est ce que j'appelais le moment de panique - et le mot n'est pas trop fort.
L'édition phonographique est cependant parvenue à renouveler son modèle économique et ses modes de production pour renouer avec la croissance. Je renvoie à l'excellent rapport pour avis de notre collègue Françoise Laborde sur le dernier projet de loi de finances, qui a souligné que, depuis 2013, le chiffre d'affaires du streaming avait été multiplié par près de trois, le nombre d'écoutes par cinq et le nombre d'abonnés payants par trois : les foyers français sont 4,4 millions à être abonnés.
Cette crise contraste avec la situation, bien meilleure, du spectacle vivant, qui pèse presque deux fois plus que la musique enregistrée. Les concerts sont en quelque sorte devenus un nouvel eldorado pour l'industrie musicale, même si cela ne va pas sans un certain nombre de difficultés, avec une concentration croissante des acteurs. Par ailleurs, le secteur du spectacle vivant est fragilisé ces dernières années par l'explosion des coûts de sécurité à cause du risque d'attentats. Je vous renvoie aux nombreuses communications que notre collègue Sylvie Robert, rapporteure pour avis des crédits « Création », nous a faites à ce sujet ces deux dernières années.
Second constat : le secteur demeure toujours très éclaté. La révolution numérique a remis en question un équilibre qui reposait sur la suprématie de la musique enregistrée. À l'instar de la situation sociale de notre pays, le secteur de la musique est en effet traversé depuis des années par des lignes de fracture multiples : musique enregistrée et spectacle vivant, secteur subventionné et secteur privé, musique savante et musiques populaires, pratique professionnelle et pratique amateur... Dans le métier, on a coutume de dire qu'on a un oeil sur la partition... et un oeil sur le tiroir-caisse !
Les différents acteurs n'ont pas su jusqu'à présent construire une culture commune et présenter un front uni pour défendre des intérêts communs et valoriser le secteur, ce qui ne fait qu'exacerber la question de la composition du conseil d'administration du Centre national de la musique. Platon disait que si l'on veut connaître un peuple, il faut écouter sa musique. C'est particulièrement vrai pour notre pays aujourd'hui. Cette incapacité à susciter du consensus comporte des risques importants à moyen terme.
En effet, la musique va devoir affronter des enjeux majeurs liés à l'expansion des technologies numériques : la défense de la conception européenne du droit d'auteur, par opposition au modèle anglo-saxon du copyright, menacée jusqu'à Bruxelles comme l'ont montré les difficultés d'adoption de la directive sur les droits d'auteur ; la question du partage de la valeur entre l'ensemble des acteurs de la filière musicale, à commencer par les artistes, face à la position désormais incontournable prise par les plateformes de musique en ligne par abonnement ; l'impact sur la diversité culturelle des algorithmes mis en oeuvre par les services de streaming, qui sont susceptibles, comme cela est déjà le cas pour l'information - un sujet sur lequel notre présidente a beaucoup travaillé - d'influencer très fortement les choix des utilisateurs, au risque d'une uniformisation des goûts.
L'industrie musicale avait très mal vécu l'abandon en 2012 du premier projet de Centre national de la musique. Dans ce contexte, la relance du projet au printemps 2017 par Françoise Nyssen, alors ministre de la culture, a fait renaître beaucoup d'espoir. Les conclusions du rapport de Roch-Olivier Maistre - intitulé « rassembler la musique », titre qui dit tout - en faveur d'un établissement public chargé d'observer, d'appuyer le développement international et de soutenir le secteur, dans une optique de diversité culturelle, ont été unanimement saluées par les acteurs de la filière.