Intervention de Jean-Raymond Hugonet

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 26 juin 2019 à 9h35
Proposition de loi adoptée par l'assemblée nationale relative à la création du centre national de la musique — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Jean-Raymond HugonetJean-Raymond Hugonet, rapporteur :

Il faudra que je le demande au Calif. Il vous a été distribué un document présentant le schéma global de la fusion de ces structures.

Le CNM a vocation à exercer les missions précédemment dévolues à ces organismes en matière d'information, de formation, d'expertise, de valorisation du patrimoine musical, de développement international, de développement territorial et de soutien à ce secteur, en les étendant à l'ensemble du champ musical.

Il devrait également être chargé d'une mission d'observation confiée au CNV par la loi relative à la liberté de création, à l'architecture et au patrimoine (LCAP), mais que celui-ci n'avait jamais pu exercer jusqu'ici, faute d'accord sur la gouvernance de l'observatoire. L'exploitation de données agrégées est un point très important, car le secteur dispose d'une mine d'informations qu'il est difficile de rassembler.

Il devrait par ailleurs disposer de nouvelles responsabilités en matière de développement de l'éducation artistique et culturelle, de promotion de la parité au sein des professions musicales, de veille technologique et de soutien à l'innovation.

Je vous proposerai plusieurs amendements pour clarifier ces différentes missions ou leur exercice. La compétence du CNM en matière de structuration de la filière à l'échelle des territoires me semble notamment trop imprécise.

Qui dit regroupement de structures existantes dit organisation des modalités de leur rattachement. C'est évidemment bien plus aisé pour le CNV qui est un établissement public. La proposition de loi prévoit sa suppression le 1er janvier 2020 pour lui permettre de se fondre dans le CNM. En revanche, il faudra que les quatre associations de droit privé votent leur dissolution avant de rejoindre le CNM. Elles pourront conclure des conventions avec l'établissement pour organiser préalablement les modalités de leur rattachement, que ce soit en ce qui concerne la reprise de leurs personnels, le fléchage de leurs réserves financières, ou les évolutions susceptibles d'affecter les programmes d'aides qu'elles ont mis en place. Le FCM occupe des locaux dont les baux devront être résiliés : l'intégration ne sera pas toujours facile.

Deuxième idée, les moyens d'action du futur CNM devraient provenir de quatre sources : la taxe sur les spectacles de variétés actuellement perçue par le CNV, des subventions de l'État et des fonds accordés volontairement par les organismes de gestion collective, ainsi que de la gestion de deux crédits d'impôt, pour s'élever à 78 millions d'euros.

La viabilité d'un centre qui n'est à l'heure actuelle que la collection d'organismes existants n'est pas certaine. S'il y a bien une logique juridique à créer le CNM par la loi, la cohérence d'ensemble aurait dû conduire le Gouvernement à s'engager lors du débat sur le montant qu'il entendait y consacrer. Le rapport Bois-Cariou a fixé un plancher de 20 millions d'euros - quand on connaît l'expertise financière d'Émilie Cariou et de Catherine Ruggeri, présidente du comité de pilotage, on sait que ce n'est pas une parole en l'air. Or, dans le contexte actuel de raréfaction de la ressource publique et d'attaques répétées contre les crédits d'impôt destinés à la création, aucune décision ne semble avoir été prise, ce qui plonge tous nos interlocuteurs dans l'expectative et ravive de fortes divisions dans la profession.

J'estime pour ma part que le soutien du Gouvernement à la proposition de loi devra se concrétiser lors du prochain projet de loi de finances. À ce stade avancé de la procédure, le recul que traduirait l'absence d'un signal budgétaire fort paralyserait les initiatives des acteurs privés et signerait la fin des ambitions de la filière.

Nous sommes donc dans la situation paradoxale de devoir nous prononcer sur un texte dont nous partageons tous, je crois, très largement les finalités, mais « à l'aveugle » - nous commençons à en avoir l'habitude - tant que les moyens n'auront pas été clairement arrêtés en loi de finances. Notre commission s'est maintes fois penchée sur la question des ressources liées à la création, avec à chaque fois le même constat : les ressources du cinéma, en particulier via la fiscalité affectée, sont infiniment plus importantes que celles de la musique ! Ce n'est pas normal. Ce poids du CNC - qui souligne, au passage, l'intérêt pour un secteur d'activité de disposer d'un établissement public - attire d'ailleurs régulièrement l'attention de certains collègues députés, qui voudraient réduire sensiblement ses moyens... En tout état de cause, plusieurs solutions existent, comme affecter la taxe dite « YouTube » au CNM plutôt qu'au CNC, ce qui rapporterait environ 7 millions d'euros par an. Cette hypothèse est d'ailleurs reprise par Pascal Bois et Émilie Cariou, qui souhaite également affecter une partie de la taxe sur les opérateurs de communications électroniques (TOCE) pour environ 10 millions. Toujours est-il que le débat promet d'être vif : donner des moyens au CNM revient soit à priver le CNC de ressources, soit à creuser un peu plus le déficit... Nous en débattrons lors de l'examen de la loi de finances.

De la même manière, nous n'avons pas véritablement la main sur les modalités de gouvernance, objet de l'article 2. Comme le CNM ne constitue pas une nouvelle catégorie d'établissement public, puisqu'il existe déjà plusieurs établissements qui poursuivent un objet analogue - Centre national du cinéma, Centre national du livre, Centre national de la danse -, la composition de son conseil d'administration relève du pouvoir réglementaire, sauf à ce que nous voulions une gouvernance totalement différente, ce qui n'est pas notre cas.

Je ne vous cache pas que ces questions de gouvernance agitent particulièrement la filière musicale. Les représentants de celle-ci sont aujourd'hui majoritaires dans la composition des conseils d'administration des cinq organismes qui devraient disparaître au profit du CNM. Aucun des acteurs ne remet en cause la place prépondérante qui pourrait revenir aux représentants de l'État dans le dispositif, tant l'État semble le seul à même à la fois de porter une vision stratégique intégrant l'ensemble des composantes de la politique musicale et de faire émerger l'intérêt général. Chacun se souvient des paroles fortes du Premier ministre dans son discours de politique générale : « qui paie décide, qui décide assume. »

Mais beaucoup s'inquiètent de perdre leur pouvoir de décision si, pour des raisons d'efficacité auxquelles je souscris, il était décidé de mettre en place un conseil d'administration à effectif réduit. Gardons à l'esprit que certains acteurs de la filière musicale, à savoir les organismes de gestion collective, sont appelés à contribuer directement au financement de l'établissement. D'autres, comme les entrepreneurs de spectacles vivants, devraient y contribuer indirectement par le biais de la taxe sur les spectacles de variétés, dont le produit devrait être affecté au CNM.

Nos collègues députés ont eu la bonne idée de suivre l'une des recommandations du rapport Bois-Cariou et de créer un conseil professionnel destiné à représenter l'ensemble de la filière musicale. Il faudra veiller à assurer un équilibre entre la composition du conseil d'administration et celle du conseil professionnel pour réussir à concilier efficacité du processus de décision, préservation de l'intérêt général et nécessité de permettre à chacun de s'exprimer. Il me paraît essentiel que les différents acteurs de la filière musicale n'aient pas le sentiment d'y perdre en se rassemblant au sein de cette nouvelle maison commune, faute de quoi le risque serait que certaines des associations de droit privé refusent in fine de rejoindre le CNM, ce qui ferait perdre beaucoup de son intérêt au projet.

Pour ma part, je crois aussi que les collectivités territoriales ne doivent pas être oubliées dans cette gouvernance au regard de leur contribution à l'animation et au financement de la politique musicale dans les territoires - c'est dans le rôle du Sénat d'y veiller. Je vous proposerai un amendement en ce sens. Je m'interroge également sur la présence de parlementaires dans le conseil d'administration du CNM qui se révèle bien souvent bénéfique pour dégager des équilibres dans les établissements où la gouvernance se révèle complexe - je pense à Radio France. L'ensemble de ces questions devraient être tranchées dans les prochaines semaines par le comité de pilotage du CNM, sur la base des arbitrages rendus par le ministre de la culture.

En dehors de ces points de vigilance, nous ne pouvons qu'apporter notre soutien à cette proposition de loi qui rejoint nos préoccupations. La séance publique sera pour nous l'occasion de faire préciser au ministre sa pensée sur les moyens et la gouvernance, et de préparer le débat budgétaire qui constituera le vrai lancement du CNM - ou sa fin. Je termine en rappelant le rôle central des auteurs-compositeurs, sans qui la musique n'existe pas.

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