Je ne vais pas revenir en détail sur la métropolisation des flux ou en tout cas leur polarisation. Le seul remède serait d'éviter de créer des liens entre les villes secondaires et la ville principale, car ces liens renforcent ce phénomène de polarisation. L'objectif serait plutôt de renforcer les flux entre les villes secondaires.
On observe aujourd'hui de faibles flux intermodaux. Si l'on prend l'exemple de la gare TGV de l'aéroport Charles-de-Gaulle, très peu de compagnies peuvent se dire que leurs passagers iront prendre le TGV à Roissy une fois l'avion atterri : du fait de la faiblesse de la desserte de cette gare TGV, la plupart des passagers passeront par le RER puis par une gare au centre de Paris. Il s'agit de l'une des principales limites à la substituabilité.
Les questions de la taxe kérosène ou de la taxe carbone interrogent sur la contribution du secteur aérien à l'environnement. Je tiens en préambule à rappeler que le transport aérien est un secteur particulièrement taxé. Une étude réalisée l'année dernière par le syndicat des compagnies aériennes autonomes (SCARA) expliquait que le prix total d'un billet d'avion était constitué d'environ 30 % de taxes et 20 % de redevances. 50 % uniquement revient à la compagnie aérienne. Celle-ci a évidemment des coûts, puis son semblant de profit sera taxé. À la fin, et c'est par exemple le cas d'Air France, le profit est de l'ordre de 4 euros par passager. À partir de là, si l'on impose une taxe de 2 euros par passager, on ampute de moitié le profit de la compagnie. Ces ordres de grandeur sont importants à garder à l'esprit.
Sur la question plus spécifique de la contribution au climat, le transport aérien représente environ 2 % des émissions carbone au niveau mondial. Ces émissions augmentent toutefois moins vite que le nombre de passagers. Entre 2000 et 2017, le transport aérien a vu son nombre de passagers croître de 57 %, tandis que ses émissions n'augmentaient que de 14 %. Cela signifie que les émissions de CO2 par passager ont diminué de 25 % en une quinzaine d'années ! Je ne suis pas certain que d'autres secteurs en fassent autant.
En termes technologiques, de nouvelles générations d'avions qui consomment 2 à 3 litres au 100 par passager sont mis en place. En termes d'engagements institutionnels, le secteur a indiqué avoir pour objectif une réduction de 50 % des émissions de CO2 à l'horizon 2050 par rapport à 2005. Le secteur s'est donc fortement engagé.
Néanmoins, dans l'hypothèse de la mise en place d'une taxe kérosène, que faudrait-il faire ? Cette taxe pose un certain nombre de questions.
La première est que l'exemption des taxes kérosènes est historiquement justifiée par l'autofinancement du secteur aérien. Celui-ci finance en effet un certain nombre de missions, dont des missions régaliennes. Taxer le kérosène signifierait finalement que le transport aérien n'a plus aucune raison de financer des missions qui relèvent de l'État. C'est notamment le cas de la sûreté, dont les coûts sont ceux qui augmentent le plus dans le temps.
Le deuxième aspect de ce sujet est celui de la zone géographique : cette taxe serait-elle internationale, européenne, ou nationale ? La ministre avait parlé d'une zone européenne, ce qui permettrait d'éviter les distorsions à l'intérieur de l'Europe. Pour autant, cela génèrerait d'autres distorsions à l'extérieur de l'Europe. Le risque est que les acteurs favorisent les correspondances, par exemple à Dubaï ou à Istanbul. Or, les vols avec correspondance génèrent beaucoup plus de CO2.
Une autre interrogation concerne le bénéfice de cette taxe. Aurait-elle vocation à financer le secteur aérien ou d'autres secteurs comme le fait aujourd'hui la taxe de solidarité ? Dans ce second cas, se pose la question de savoir pourquoi est-ce au secteur aérien de financer cela. En revanche, si la taxe kérosène a pour objet de financer la recherche et le développement du transport aérien, elle serait bien plus acceptable.
On pourrait également proposer une taxe carbone à revenus neutres : cette idée revient à utiliser la création d'une nouvelle taxe pour essayer de limiter les inégalités fiscales. Les travaux macroéconomiques évoquant cette idée partent du principe que le travail est trop taxé mais que les matières environnementales ne le sont pas assez. L'enjeu de cette nouvelle taxe ne serait donc pas forcément d'accroître les recettes de l'État, mais de proposer une logique incitative de façon à essayer de changer le coût relatif entre les différentes charges. De manière générale, ces modèles montrent qu'une telle taxe serait favorable à la croissance économique.
Le secteur du transport aérien réclame, et cela s'est vu dans le cadre des Assises, une baisse des charges, tandis que Gouvernement propose une nouvelle taxe. Ne pourrait-on pas créer une nouvelle taxe carbone pour inciter les compagnies à faire plus d'efforts avec, en contrepartie, une baisse de taxes sur tel ou tel poste ? Cela permettrait de répondre à la problématique de la compétitivité, tout en essayant de rendre vertueux le transport aérien.
Dernier point, sur la question qui a été posée concernant le coût environnemental des autres constructions. Une étude de 2012 fait référence en la matière : elle tente de comprendre dans quelle mesure le secteur ferroviaire peut compenser les émissions carbones liées à la construction de nouvelles lignes. Elle a indiqué que pour compenser la création d'une ligne TGV de 500 kilomètres, il fallait entre 10 et 20 millions de passagers par an pendant 50 ans. Ces chiffres méritent d'être vérifiés, mais ils donnent un ordre de grandeur. Ils permettent de comprendre que la construction de lignes TGV n'est pas forcément la meilleure solution pour des liaisons entre petites villes, qui n'atteignent pas les 10 à 20 millions de passagers par an. Peu de lignes sont encore éligibles en France.