Je suis ravi d'être avec vous ce matin. Beaucoup de choses ont été dites concernant la transformation de la géographie économique de la France, paramètre fondamental. Il faut toujours garder en tête certains paramètres structurels lorsque nous parlons d'organisation et de gouvernance territoriale en France.
Mon propos sera organisé autour de trois points essentiels. Le premier est que la France connaît une densité démographique très dispersée et très moyenne par rapport à d'autres pays européens. Elle est de 117 habitants au km2, quand en Allemagne elle s'élève à 237 habitants au km2. Si la France comptait cent millions d'habitants, de nombreux problèmes seraient résolus. Les questions de fracture territoriale et de présence des services publics seraient également moins présentes. Les capacités fiscales ne seraient pas les mêmes.
Cet habitat dispersé et cette densité très moyenne doivent être mis en parallèle avec la transformation géographique de la France : cette diagonale du vide, ce déménagement de la France des Trente Glorieuses de l'Est vers l'Ouest, cette situation de territoires qui perdent et d'autres qui gagnent, cette diversité. Le géographe Jacques Levy l'a rappelé : la pauvreté se concentre principalement dans les villes et non dans les campagnes.
Toutefois, en fonction de la focale avec laquelle nous regardons la situation, nous constatons que certains territoires de l'Ouest ne se portent pas bien, tels que la commune de Louvigné-du-Désert. Pourtant, le département de l'Ille-et-Vilaine est dynamique. Il faut être prudent et regarder très finement les dynamiques économiques territoriales.
Un troisième facteur structurel façonne nos débats : notre culture, notre religion de l'État providence et notre passion de l'égalité. Nous sommes le seul pays au monde à nous poser certaines questions. Nous devons regarder quels sont les débats qui animent nos partenaires en Europe, voire au-delà. Certaines questions imposent simplement des choix que nous ne faisons pas depuis quarante ou cinquante ans.
Mes spécialités sont les facteurs sociopolitiques de la gouvernance à la française et la façon dont ils évoluent. Nous constatons qu'ils évoluent lentement. Les invariables de la politique française restent les mêmes : une fragmentation politique unique au monde. Nos communes représentent 40% de toutes les communes de l'Union européenne. Nous en possédons davantage que les États-Unis. Parmi elles, 75% comptent moins de 1 000 habitants. Comme Gérard Marcou, enseignant à l'Université Paris 1, je crois que notre problème essentiel est le modèle communal : nous n'avons pas réussi à le réformer à temps, contrairement à tous les pays européens et les grands pays occidentaux.
En outre, nous avons inventé un deuxième niveau d'administration locale : les Établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Nous empilons ainsi un millefeuille roboratif et coûteux à plusieurs égards, financièrement notamment. Nous n'avons pas évalué le coût de la décentralisation ou de sa performance. En revanche, nous savons qu'elle génère des coûts de transaction et de coordination du travail collectif que beaucoup d'économistes ont déjà mesurés.
Ce millefeuille a d'autre part un coût démocratique. En le créant, nous avons organisé l'irresponsabilité politique. Même si ce n'est pas volontaire, il est toutefois intéressant pour l'État d'avoir beaucoup d'élus peu responsables plutôt que quelques grands élus très puissants. Multiplier les niveaux est une façon de replacer l'État au centre.
Citons la chronique récente de Laëtitia Strauch-Bonart dans Le Point : « Décentraliser oui, mais pour de bon ». Elle dit : « À quoi bon être égaux, si c'est pour être égaux dans l'impuissance ». Elle résume bien la situation. Nous avons organisé cette impuissance à travers la décentralisation, à quelques exceptions près : lorsque les modèles territoriaux ont réussi à aller au-delà des pesanteurs institutionnelles.
Quelles seraient les solutions ? Plusieurs scénarios sont possibles. L'essentiel serait de retrouver de la capacité politique à construire des intérêts collectifs, à bâtir des coalitions sur la durée et un récit qui porte un modèle de développement tel que les clusters, les régions ou les villes qui gagnent. Certaines villes des États-Unis, le Pays Basque espagnol, le Pays de Vitré, la Vendée, le Pays d'Auge en sont des illustrations. Les élus ont réussi à accompagner des modèles territoriaux avec des solutions différentes : la modération fiscale, un travail fin sur la formation professionnelle avec les entrepreneurs, la confiance avec les banques, les salariés... Or, ce modèle ne se duplique pas. Le législateur a sans doute un rôle à jouer, mais il a ses limites : il ne pourra pas refonder une dynamique territoriale et un développement local pour les ruralités ou pour les métropoles.
Le scénario le plus probable serait de conserver les EPCI et les communes et de continuer à inciter à la formation de communes nouvelles. Or, ce n'est qu'en refondant la commune que nous la sauverons. Je suis donc favorable à l'instauration d'un seuil minimal pour une commune de plein exercice, seuil qui pourrait être de 1 000 habitants. Les communes françaises ne seraient alors plus que 8 500. Cela permettrait de décentraliser les intercommunalités, qui transmettraient ainsi certaines compétences de proximité.
Il existe également la possibilité de transformer des communes nouvelles en EPCI sans qu'elles aient la nécessité d'intégrer une intercommunalité encore plus grande - c'est le sens de la loi portée par Françoise Gatel. Le droit à la différenciation pourrait s'exercer.
Un choix plus audacieux serait de généraliser le scénario Paris-Lyon-Marseille (PLM) au bloc local. Nous mettrions fin au conseil départemental. Les compétences seraient réparties entre la région et les intercommunalités. Ces dernières exerceraient des compétences communales et départementales. Les communes nouvelles seraient les communes d'arrondissement de ces nouvelles intercommunalités. Cette solution est audacieuse, mais intéressante. Il n'existerait plus qu'une seule collectivité territoriale intermédiaire et des intercommunalités larges et puissantes, mais décentralisées sur leur base. Les communes nouvelles garderaient des compétences de proximité. Nous gagnerions en proximité et en efficacité. Le législateur a été audacieux lorsqu'il a créé ce modèle PLM dans les années 60 et 70. Rien ne nous interdit de l'être aussi.
En conclusion, la question de l'articulation entre l'État et les collectivités territoriales nécessiterait un grand débat afin d'identifier ce qui est régalien et ce qui ne l'est pas.
Dans cette attente, le scénario que je vous ai proposé pourrait être expérimenté dans une ou deux régions. Soyons audacieux, expérimentons le transfert complet des compétences non régaliennes déconcentrées de l'État aux collectivités en mettant en place un dispositif évaluatif et la réalisation d'un bilan à l'issue de cinq ans d'expérimentation.
Je ne crois plus qu'à cette manière de réussir : par l'audace, l'expérimentation et la différenciation.