Intervention de Romain Pasquier

Délégation aux collectivités territoriales — Réunion du 23 mai 2019 : 1ère réunion
Audition d'experts sur « les collectivités territoriales leviers de développement pour les territoires ruraux ? »

Romain Pasquier, directeur de recherche au CNRS, Chaire « Territoires et mutations de l'action publique » de Sciences Po Rennes :

Revenons sur le sujet du seuil et des échelles minimales d'efficience. J'estime qu'il n'existe pas de chiffre d'or.

Nous devons toutefois définir ce que nous attendons d'un maire. Doit-il être un assistant social ou un levier de développement de la ruralité ? Le maire d'une commune de 18 habitants joue en effet un rôle de lien social, mais ne sera jamais un créateur d'emplois. Ce sont les entreprises qui créent les emplois. Si nous voulons que les maires et les collectivités territoriales soient des leviers de développement des ruralités, un seuil minimal doit être défini. Ce seuil peut toutefois varier et faire l'objet du droit à la différenciation. Nous pourrions imaginer un seuil entre 800 et 5 000 habitants pour organiser les communes dans nos régions françaises. Les régions ou les départements décideraient de ce seuil à l'issue d'un dialogue avec les maires et les intercommunalités. Cela permettrait de l'adapter au territoire et de pallier les nombreuses dérogations qui surchargent les lois. Ce fonctionnement existe dans de grands pays en Europe. Il existe deux ordres juridiques. L'organisation des collectivités locales est gérée par les collectivités intermédiaires. Il ne faut pas enterrer cette idée de seuil minimal. En effet, il reste une contrainte à la réforme.

La question de l'ingénierie dans le développement économique est majeure. Si nous voulons accompagner les TPE et PME dans leur montée en gamme, celles-ci doivent pouvoir s'appuyer sur des formes d'ingénierie publique. À quel niveau placer cette ingénierie publique ? Des échelles minimum doivent également être définies. L'échelle de l'intercommunalité en milieu rural n'est parfois pas adaptée. Il faut des structures suffisantes pour remplir certaines missions.

Sur le rôle de l'État, je m'accorde avec les propos de Dominique de Legge. L'État n'a pas véritablement décidé des compétences qu'il a décentralisées. Nous le constatons dans les domaines de la formation professionnelle et de l'apprentissage. L'État continue de légiférer régulièrement sur ces sujets. Je suis partisan de solutions utilisées chez nos voisins européens. La répartition claire des compétences respectives et les mécanismes de coordination sont inscrits dans la Constitution. Des conférences sectorielles sur les compétences partagées pourraient s'organiser entre les ministres concernés et les élus régionaux en charge de ces domaines. Il faut inventer une forme de fédéralisme à la française.

Les Scandinaves ont un modèle intéressant de centralisation, hérité du modèle napoléonien. Ils ont toutefois fortement décentralisé à l'échelon local, les communes sont très grandes et très puissantes. Les comtés ou régions expérimentales ont peu de compétences, en revanche, les communes en ont beaucoup et ont des capacités financières bien plus importantes que les nôtres, particulièrement les territoires ruraux.

Sur la question de la fiscalité, je défends l'idée du Rapport Balladur de 2007 intitulé « Il est temps de décider ». Dans notre système, la décentralisation a donné aux élus locaux une liberté de dépenser, mais pas de pouvoir ou très peu. Le véritable pouvoir est le pouvoir législatif et réglementaire. Si les élus souhaitent continuer à dépenser, il leur faut de l'autonomie fiscale.

L'autre stratégie consisterait à dépenser moins, mais bénéficier de davantage de pouvoir. Il faudrait donc engager un combat constitutionnel afin de réviser l'article de la Constitution qui attribue le monopole du pouvoir réglementaire au Premier ministre. Le partage du pouvoir entre les collectivités territoriales et l'État constituerait un fédéralisme à la française. Il existe déjà dans les territoires d'outre-mer.

Par les temps qui courent, la liberté à dépenser sera compliquée à obtenir. En effet, la fiscalité locale diminue. À titre d'exemple, les Länders allemands ont peu d'autonomie fiscale, mais ils disposent d'un droit de veto : ils peuvent bloquer la procédure législative.

Le conseiller territorial était une bonne idée du rapport Balladur, meilleure que l'idée de créer les grandes régions, mais tous les rapports intermédiaires montrent que le bilan est catastrophique. J'étais personnellement opposé à cette réforme : elle coûte cher, n'est pas efficace et éloigne le fait régional des citoyens. Elle a en outre eu l'inconvénient de réhabiliter les départements. Encore une fois, cette décision était une erreur.

Enfin, l'idée que le « small is beautiful » dépend de la capacité politique et de la puissance. Je cite souvent l'exemple de l'Université d'Harvard : elle compte 20 000 étudiants, soit moins que l'université de Rennes 1, mais son budget équivaut à celui de l'ensemble des universités françaises. Là est la puissance. Cet établissement est « small », mais « powerfull ».

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