Il nous paraissait important, à Sophie Joissains et moi-même, de faire cette communication devant la commission des lois s'agissant plus précisément du parquet européen.
Le parquet européen ne sera compétent pour ouvrir des enquêtes et engager des poursuites - mais c'est loin d'être négligeable en termes de montants - que sur les infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union européenne. C'était une demande de l'Office européen de lutte anti-fraude (Olaf), qui constatait que les parquets nationaux n'étaient pas très prompts à engager des poursuites quand il constatait des fraudes à la TVA, par exemple. Deux systèmes auraient pu être envisagés : un abandon de souveraineté au profit d'une institution européenne. L'idée de la Commission européenne était de créer un parquet européen avec pour juridiction compétente la Cour de justice de l'Union européenne.
Mais après de longues négociations, l'accord n'a pu être trouvé, autour des propositions de la France notamment, que sur un modèle collégial avec des chambres permanentes formées de membres du parquet émanant de plusieurs pays, qui proposeront au collège d'engager ou non des poursuites. Ce n'est donc pas un seul homme qui décidera pour toute l'Europe...
Cela ne concerne pas tous les États membres, mais seulement 22 d'entre eux. Certains, comme les Pays-Bas, ont mis beaucoup de temps à l'accepter et sont encore très frileux. La Suède envisage de rejoindre le dispositif, ce qui porterait le nombre de pays à 23. Le Royaume-Uni, l'Irlande, le Danemark, la Hongrie et la Pologne ont refusé de s'y associer.
Il s'agira d'un parquet unique, mais à structure décentralisée. Le niveau centralisé aura son siège à Luxembourg. Le fait que les Pays-Bas n'aient rejoint la coopération que tardivement a eu pour conséquence que son siège sera loin de ceux d'Eurojust et d'Europol, qui siègent à La Haye, l'un en face de l'autre - c'est dommage ! Le chef du parquet et les procureurs désignés par chaque pays composeront le niveau central, et les États désigneront un procureur européen délégué pour le niveau décentralisé, chargé du suivi opérationnel des enquêtes. Le parquet européen sera maître des décisions de poursuite et de classement, ce qui est une forme d'abandon de souveraineté. Lorsque le parquet européen décidera de poursuites, celles-ci se feront dans l'un des États, par l'une de leurs juridictions. Nous sommes donc plus proches d'un système de coopération que d'abandon de souveraineté. Le parquet européen, par l'intermédiaire de son collège, pourra mener une enquête soit à la suite d'un signalement, par exemple par l'Olaf, soit par l'exercice de son droit d'évocation lorsqu'une enquête lui semblera comporter une fraude aux intérêts de l'Union. Ce parquet est censé entrer en fonction le 20 novembre 2020 au plus tôt, mais il existe des difficultés, en premier lieu la désignation de son chef.
Il revient au Conseil et au Parlement européen de désigner ce dernier pour un mandat de sept ans non renouvelable. Or, cette procédure, qui devait aboutir en avril dernier, a pris du retard. Le comité de sélection a retenu plusieurs noms, dont deux tiennent la corde : le Français Jean-François Bohnert, actuellement procureur général à Reims, qui a plutôt les faveurs du Conseil, et une candidate roumaine, Laura Kövesi, procureure très engagée dans la lutte contre la fraude et la corruption, alors même qu'elle suscite l'hostilité du gouvernement roumain. Les députés européens sont très sensibles à cette image. Notre commission des lois sera prochainement saisie d'un projet de loi portant sur les adaptations rendues nécessaires par la mise en place de ce parquet européen.
Ce parquet européen, aux missions limitées, préfigure-t-il d'autres parquets européens compétents dans d'autres domaines ? Certains, dont le Président de la République, ont évoqué un parquet européen antiterroriste. Il n'est pas sûr qu'en la matière un travail entre les 22 États soit indispensable. La coopération qui a déjà eu lieu entre les États, notamment la coordination avec Eurojust, a été efficace. Il appartient ensuite à chaque État d'engager des poursuites. Par contre la question se pose pour des criminalités nouvelles, pour lesquelles la coopération entre États offrirait une meilleure protection à nos concitoyens. C'est la raison pour laquelle Sophie Joissains et moi proposons de poursuivre notre réflexion sur la cybercriminalité. Celle-ci peut faire des victimes simultanément dans plusieurs pays. Elle suppose des moyens d'investigation exceptionnels qu'Europol développe au service des États. Le Sénat pourrait être précurseur par des propositions en ce domaine, tout comme il l'a été s'agissant du parquet financier européen.