Intervention de Didier Migaud

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 26 juin 2019 à 10h05
Rapport relatif à la situation et aux perspectives des finances publique — Audition de M. Didier Migaud premier président de la cour des comptes

Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes :

Le scénario d'évolution des taux d'intérêt présenté par le ministère de l'action et des comptes publics a-t-il été trop pessimiste ? Je n'emploierais pas le terme « conservateur », mais plutôt celui de « prudent ». L'évolution de la courbe des taux d'intérêt dans la loi de programmation et dans le programme de stabilité est une remontée progressive des taux d'intérêt, jusqu'à 3,2 % en 2022. En 2019, en tout cas, cela ne se réalise pas, ce qui donne des marges de manoeuvres supplémentaires au Gouvernement. Si les taux ne remontent pas en 2020, cela fera environ 4 milliards d'euros de marge supplémentaire. Lorsque vous établissez un scénario de finances publiques, il vaut mieux être prudent... En tous cas, c'est le conseil que donne la Cour. S'il y a des bonnes surprises, il faut les intégrer pour les faire contribuer au redressement des comptes publics et ainsi à la réduction de notre endettement. Le Gouvernement vous fera sans doute des propositions de scénarios différents dans la prochaine loi de programmation pour tenir compte de la réalité constatée en 2019 et de ce qu'on peut anticiper en 2020, compte tenu des interventions des gouverneurs de banques centrales dans le monde. Il est évident aussi que les bonnes surprises doivent permettre de faire mieux que l'objectif fixé !

Sur la masse salariale et la dépense en 2019, nous pensons que l'objectif est atteignable. Si les effectifs ne diminuent pas, il n'y plus de marge de manoeuvre pour des mesures catégorielles. Il y a quelques risques de dépassement en matière de dépenses en 2019, mais la réserve de précaution et les quelques marges supplémentaires données par une charge de la dette moins importante qu'anticipé devraient permettre de respecter l'objectif, à condition que l'ensemble des autres engagements soient respectés.

Effectivement, en 2012 et 2013, l'effort structurel a été beaucoup plus important. Il s'explique par des augmentations d'impôts. Il est toujours plus facile d'obtenir des résultats structurels en augmentant les impôts qu'en essayant de peser sur la dépense. Lorsqu'on a abandonné l'idée d'augmenter les prélèvements obligatoires, et qu'on a même plutôt amorcé leur réduction, la réduction du déficit structurel ne pouvait reposer que sur la réduction des dépenses - ce qui est plus difficile. Le résultat a été une augmentation de la dette.

En 2007, nous étions pratiquement au même niveau que l'Allemagne, autour de 60 % d'endettement. Aujourd'hui, la France est presqu'à 100 %, quand l'Allemagne est revenue vers les 60 %. C'est une différence de 40 points de PIB ! Il faut poursuivre les réformes de structure, et la Cour souligne régulièrement les marges de progrès qui existent, en termes d'efficacité et d'efficience.

Dans la période actuelle, beaucoup de théories économiques sont quelque peu bouleversées. L'idée que la croissance effective ne peut pas dépasser durablement la croissance potentielle, par exemple, reçoit un démenti aux États-Unis, voire même en Allemagne. Les concepts d'effort structurel, de déficit structurel, de croissance potentielle ou d'écart de production sont remis en cause. Il peut sembler séduisant de tirer parti des taux bas, voire négatifs, pour emprunter et investir. Tout dépend de la situation du pays en question. En France, le niveau de l'investissement public rapporté au PIB est au-dessus de la moyenne européenne. Remettre en cause la séparation entre dépenses d'investissement et de fonctionnement est plus facile pour les collectivités territoriales. Avec l'État, c'est plus difficile, et la LOLF identifie les dépenses d'investissement, qui peuvent être envisagées largement : après tout, qu'est-ce que l'éducation sinon un investissement ? D'ailleurs, l'investissement n'est pas bon en soi : encore faut-il qu'il soit utile et qu'on puisse en apprécier la pertinence.

La France ne manque pas de moyens d'investir, mais force est de constater que sa dette n'est pas le résultat d'investissements tellement plus importants que dans d'autres pays, mais le résultat de dépenses courantes. Après les crises, nous n'avons pas investi dans des proportions extrêmement importantes de façon supplémentaire, mais nous avons augmenté les dépenses courantes. On peut regretter que l'Allemagne, qui en a la capacité, n'investisse pas suffisamment pour avoir un effet d'entraînement sur d'autres pays de l'Union européenne.

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