Intervention de Fabien Gay

Réunion du 26 juin 2019 à 14h30
Exploitation des réseaux radioélectriques mobiles — Adoption en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Fabien GayFabien Gay :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, dans la course mondiale pour le développement de la 5G, la France doit, elle aussi, avoir un rôle à jouer, pour s’inscrire dans les dynamiques d’avenir.

Toutefois, qui dit « nouvelle technologie » dit « nouvelles préoccupations », et celles-ci sont d’ordre varié : économiques, sécuritaires, industrielles, sociales, sanitaires et environnementales. Occulter l’un de ces aspects pour donner la priorité à d’autres, c’est ouvrir la voie à une évolution numérique inadaptée aux besoins de notre temps. Nous déplorons d’ailleurs l’absence d’étude d’impact que la proposition de loi permet confortablement d’éviter, ce dont vous avez parfaitement conscience, madame la secrétaire d’État.

En ce qui concerne la sécurité, le texte est insuffisant. Comprenons-le bien, la 5G, avec l’internet des objets et l’interconnexion sans précédent qu’elle promet, nous expose à des vulnérabilités qui exigent plus qu’une autorisation du Premier ministre pour tel ou tel équipement.

Cet enjeu majeur appelle, en vérité, à la mise en œuvre d’une politique industrielle solide, sinon l’attribution d’éléments aussi stratégiques que les fréquences se fera en fonction de la compétitivité des acteurs privés. Ainsi, les firmes qui seront les heureuses élues pourront acquérir par là même un pouvoir d’influence important, ce qui laisse la voie ouverte aux ingérences étrangères.

Ce résultat est la suite logique d’une politique menée depuis plusieurs années ; il est la conséquence directe de l’abandon des outils industriels français de télécommunication, via la privatisation de France Télécom et le rachat d’Alcatel-Lucent par Nokia.

Aujourd’hui, cela veut dire que les équipements qu’il est crucial de contrôler dans la mise en œuvre de la 5G ne pourront pas être issus d’une production française, sécurisée par nos standards de défense nationale, et que les éléments sur lesquels repose la sécurisation de nos données devront dépendre d’équipements et d’opérateurs étrangers.

La voici, la conséquence des ventes du patrimoine des télécoms français : c’est la dépendance de puissances étrangères sur des points où avancées technologiques et économiques vont de pair avec sécurité nationale.

Il faut le rappeler, si les deux géants mondiaux Qualcomm et Huawei remportent la palme d’or en matière de compétitivité, c’est grâce au soutien et à l’intervention de leurs pouvoirs publics. Et nous, que faisons-nous en France, madame la secrétaire d’État ? Notre patrimoine public vendu, il nous reste la timide possibilité d’autoriser ou non l’utilisation de certains équipements.

Ce que les agents français de la privatisation et de la vente du patrimoine n’ont pas su anticiper, les puissances étrangères, elles, l’avaient bien compris : en témoigne leur position aujourd’hui hégémonique sur le marché de la 5G.

Voilà ce qu’il en est des perspectives inquiétantes en matière de sécurité et d’industrie. Mais ce n’est pas tout ; d’autres points méritent notre attention, comme celui de la fracture numérique.

Au mois de janvier dernier, Jacques Toubon, Défenseur des droits, soulignait que 13 millions de personnes étaient « éloignées du numérique ». La France à deux vitesses numériques est bien réelle, et, avec elle, les conséquences sociales que cela suscite, alors que les services publics sont dématérialisés à marche forcée.

Cette réalité ne cessera de s’aggraver avec la 5G, puisque celle-ci se concentrera, dans un premier temps, sur les grandes villes. Il faut être clair : cet écart de développement continuera d’accentuer une fracture numérique déjà lourde de conséquences. Nous attendons donc que ces enjeux sociaux soient traités au même titre que les enjeux en matière de sécurité, d’industrie, de santé ou d’environnement.

L’environnement ? Parce que la 5G promet d’accroître le volume de données transportées, et la dépense en énergie des data centers est déjà chiffrée à 10 % des dépenses mondiales en électricité. Là encore, l’enjeu n’est pas considéré à hauteur de ses implications. Pis encore, un amendement a été adopté le 11 octobre 2018, afin d’alléger la fiscalité applicable aux data centers.

S’il est à la mode de brandir le principe du pollueur-payeur, semble-t-il, il en va visiblement tout autrement lorsqu’il s’agit de l’appliquer. Comment la mise en place d’un tarif préférentiel peut-elle encourager les efforts visant à la réduction des émissions de gaz à effet de serre ? Champion de la Terre, je ne sais pas si vous l’êtes, mais champion des lobbies et du business, cela ne fait pas de doute !

Ces questions sont on ne peut plus d’actualité et continueront de l’être toujours plus à mesure que la 5G se développera. Avec elles s’ajouteront également les considérations d’ordre sanitaire, puisque les pollutions électromagnétiques promettent également de s’accroître.

Alors que des études estiment que les radiofréquences pour la 4G sont des cancérogènes possibles et que nous aurons 1 million d’objets connectés par kilomètre carré d’ici à quinze ans, quelles en seront les conséquences pour notre santé, notre souveraineté et nos libertés individuelles ?

Les appels d’offres au plus compétitif sont, eux, déjà sur les rails. Les rencontres entre vous, madame la secrétaire d’État, et les opérateurs privés se multiplient. Mais, sur tous ces enjeux de société, point mort ; rien n’est élaboré.

La 5G est prometteuse, mais sa mise en œuvre exige des précautions qui sont, aujourd’hui, les grandes absentes du projet. Le choix du « tout compétitif » ne saurait répondre à ces besoins, et force est de constater qu’à la souveraineté numérique française vous avez préféré la souveraineté du marché.

En vérité, nous devrions avoir un débat de société. Si la 5G et les objets connectés vont nous accompagner dans nos vies, …

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