Intervention de Évelyne Renaud-Garabedian

Commission des affaires économiques — Réunion du 26 juin 2019 à 9h00
Proposition de loi visant à préserver les intérêts de la défense et de la sécurité nationale de la france dans le cadre de l'exploitation des réseaux radioélectriques mobiles — Désignation des membres de l'éventuelle commission mixte paritaire

Photo de Évelyne Renaud-GarabedianÉvelyne Renaud-Garabedian, rapporteure :

Lorsque nous l'avons auditionné le 19 mars, nous avons tous entendu le ministre de l'économie et des finances nous annoncer que les mesures de soutien aux commerçants et artisans impactés par les violences en marge du mouvement de gilets jaunes permettraient d'éviter toute faillite.

Dans la foulée, notre commission a annoncé la création d'un groupe de travail pour évaluer les conséquences économiques de ces violences, et leur prise en charge par les pouvoirs publics. Je souhaite aujourd'hui vous présenter nos conclusions et nos recommandations. Je souhaite au préalable remercier l'administrateur qui m'a assistée dans cette mission. Il a réalisé à mes côtés un travail de grande qualité.

Nous avons échangé avec environ quarante-cinq personnes, reçu environ une trentaine de contributions écrites. Il ressort de notre travail que les violences commises sont amenées à accentuer le phénomène de dévitalisation des centres-villes à l'oeuvre depuis de nombreuses années et que notre collègue Martial Bourquin a minutieusement étudié l'an dernier lorsqu'il a proposé un Pacte national de revitalisation des centres-villes et des centres-bourgs.

Nous avons pu nous en rendre compte facilement : les violences et débordements ont eu un impact dramatique sur leur activité - en moyenne, 30 % de baisse de chiffre d'affaires sur plusieurs mois. Surtout, leurs conséquences continuent de se faire sentir aujourd'hui, et le pire est peut-être à venir en termes notamment de défaillances d'entreprises. Les évènements ont eu lieu hier, les conséquences sont demain.

Ces violences et débordements sont inédits tant par leur intensité que par l'ampleur et la durée de leur impact sur les commerçants et artisans. La répétition hebdomadaire des violences pendant six mois traduit une défaillance de l'État dans sa fonction régalienne de maintien de l'ordre public et un manque dans la protection de la liberté d'entreprendre et de la liberté du commerce et de l'industrie.

Il me semble également que les premières victimes de ces agissements sont les salariés, qui sont loin d'être des privilégiés : plusieurs d'entre eux sont traumatisés psychologiquement par les agressions, qu'elles soient physiques ou verbales. Ils sont en outre victimes d'une réduction de leurs revenus et témoins d'une diminution brutale des opportunités d'emploi.

Rendez-vous compte, mes chers collègues, que les violences se sont déroulées dans les centres-villes alors que ces derniers sont déjà fragilisés depuis de nombreuses années par une désertification croissante, comme en témoigne l'évolution des taux de vacance commerciale. Ces débordements ne peuvent qu'accentuer ce phénomène déjà critique.

Au total, les préjudices économiques se comptent en plusieurs centaines de millions d'euros pour les dommages matériels et même en plusieurs milliards d'euros pour les pertes d'exploitation des entreprises. En moyenne, l'activité dans les centres-villes a diminué entre 20 % et 30 % depuis six mois.

Par ailleurs, les conséquences économiques sont multiples : les pertes sont souvent irrécupérables, des stocks sont vendus à faibles prix, les commerçants réalisent des promotions désespérées pour compenser les pertes, la trésorerie s'assèche dramatiquement, leurs dossiers bancaires se dégradent, des retards de paiement des fournisseurs sont constatés et entraînent des réactions en chaîne.

Certaines entreprises ont souscrit une clause assurantielle « perte d'exploitation » qui les indemnise de ces pertes en cas de dommages matériels ; mais très rares sont les entreprises qui sont protégées par une garantie « perte d'exploitation » lorsqu'il n'y a pas de dommage, en raison notamment du coût très élevé de ces contrats.

Nous l'avons entendu tout au long de nos auditions : les violences ont accompagné et parfois initié un changement des habitudes de consommation qu'il sera difficile d'inverser (que ce soit le report vers le commerce en ligne ou la désertification des centres-villes le samedi et même en semaine). Ces conséquences économiques sont en outre appelées à se poursuivre.

Pour prendre en charge ces conséquences économiques, le Gouvernement a préféré rappeler les dispositifs existants et les intensifier légèrement plutôt que de prendre des mesures nouvelles. Ces dispositifs sont les suivants : l'activité partielle, l'ouverture le dimanche, les reports d'échéances sociales et fiscales, quelques remises fiscales, la médiation du crédit, les prêts garantis par Bpifrance. Une seule mesure nouvelle a été décidée : une enveloppe de 5,5 millions d'euros destinée à cofinancer des opérations de communication dans les centres-villes afin de les redynamiser.

Il faut reconnaître qu'une partie de ces dispositifs existants présente une certaine efficacité et que les leviers de communication utilisés ont été nombreux. Toutefois, cette communication a été affaiblie par le trop grand nombre d'interlocuteurs mobilisés ; un sentiment de confusion est né d'un nombre trop important de « mesurettes ».

Surtout, et je crois que ce point est clef, mes chers collègues : plusieurs de ces mesures sont insuffisamment ciblées, donc inadaptées à la situation de TPE qui n'ont ni le temps ni les moyens d'affronter tant de complexité administrative.

À l'issue de nos travaux, je crois que nous pouvons conclure que cette réponse témoigne d'une mauvaise compréhension de l'ampleur des impacts que ces violences ont pour les entreprises.

Certes l'exécutif a été contraint de réagir en urgence, j'en conviens tout à fait. La violence de certaines manifestations nous a tous pris de court. Mais rien ne justifie que les mesures les plus utiles aux entreprises et les plus demandées aient été repoussées ou retardées volontairement (je pense à l'idée d'un fonds d'indemnisation nationale, à une exonération de certains impôts plutôt que leur report, ou tout simplement au fait de faire respecter les interdictions de manifestation lorsqu'elles ont été prises !).

On pourra certes nous rétorquer qu'aider ces entreprises coûte cher : mais l'État a prévu 17 milliards d'euros pour répondre à la crise, contre seulement 5 millions d'euros pour aider nos entreprises qui font vivre tant de nos territoires. Il y a un vrai sentiment de « deux poids, deux mesures ».

Bien sûr, des mesures d'ampleur sont nécessaires face aux situations économiques que vivent nombre de nos concitoyens, mais les artisans et commerçants impactés ne doivent pas être les grands oubliés de la solidarité nationale !

Pourtant, les appels à l'aide de nos artisans et commerçants sont restés sans vraiment de réponse à la hauteur, alors qu'ils ont été relayés dès le début du mouvement... Par conséquent, les entreprises ont très peu sollicité ces aides, par pudeur mais surtout par peur de la complexité de ces dossiers et car elles ne répondaient que peu à leurs attentes.

Les CCI et les CMA ont été très sollicitées afin de diffuser l'information auprès des entreprises, de les accompagner dans leurs démarches et de remonter leurs difficultés. Elles ont assumé ce rôle avec beaucoup d'engagement et d'efficacité, dans un contexte budgétaire pourtant très contraint. Ce professionnalisme doit être salué.

De nombreuses collectivités territoriales ont également répondu présentes. Nous pouvons dire que ces collectivités, ces chambres consulaires, ont assumé en lieu et place de l'État une grande part de sa responsabilité : elles ont pris en charge les conséquences économiques par des fonds d'aides directes locaux, des exonérations de droits d'occupation du domaine public et tentent aujourd'hui de redynamiser les centres-villes. Tout cela vient réparer des dégâts alors qu'à l'origine, il y a eu une défaillance de l'État dans le maintien de l'ordre public, dans sa première fonction régalienne !

Malheureusement, ces mesures d'aides ont également atteint leurs limites, étant donné que les critères d'éligibilité ont souvent été fixés à des niveaux qui empêchaient, dans les faits, les entreprises de s'en saisir.

En conclusion, il y a eu un manque de l'État dans sa gestion de l'ordre public, qui s'est traduit par des conséquences économiques terribles pour les commerçants (environ 30 % de pertes dans les centres-villes, sans compter les dégâts matériels). Pour soutenir ces entreprises, l'État a annoncé des mesures qui n'étaient ni nouvelles, ni bien adaptées à la démesure de la situation. Ce sont donc les collectivités locales et les chambres consulaires qui ont pris le relai, alors que cela relevait de la responsabilité de l'État.

À la suite de ce constat, nous effectuons plusieurs recommandations, qui s'articulent autour de trois axes.

- Le premier axe concerne la protection des entreprises en amont, lorsqu'une manifestation violente est susceptible d'intervenir et qu'il faut les prévenir. Nos collègues de la commission des lois avaient proposé neuf mesures, le 10 avril dernier, pour améliorer le maintien de l'ordre public. Par exemple : amplifier l'effort de renseignement en amont des manifestations et systématiser la pratique des retours d'expérience en préfecture, pour s'adapter à la prochaine. L'État doit se saisir de ces propositions équilibrées ! J'en profite pour vous dire que nous avons rencontré sur les Champs-Elysées une grande marque de distribution, Publicis, qui a subi des violences à la suite de la finale de la coupe du monde de football en 2018 : les conséquences ne sont toujours pas réglées à ce jour. Publicis n'a donc pas tiré profit de ce qu'il s'est passé depuis en termes d'activité.

Nous pouvons également recommander de mieux cibler les périmètres d'interdiction de circuler. Certains étaient trop larges et duraient bien après la manifestation, ce qui a pénalisé inutilement les commerçants des centres-villes.

- Le deuxième axe concerne le fait que l'État doive prendre ses responsabilités. Tous les commerçants le disent : les mesures les plus utiles ne sont pas des prêts à taux zéro ou des reports d'échéances. Il faut un fonds national d'indemnisation, avec des critères d'éligibilité qu'il ne nous appartient pas de fixer ici.

L'autre solution est de s'inspirer d'une clause de « retour à meilleure fortune » : l'État abandonnerait certaines créances fiscales jusqu'à ce que la situation de l'entreprise puisse s'améliorer.

Nous recommandons aussi de s'inspirer de ce qui se fait en matière agricole : l'État pourrait ainsi prendre en charge une partie de la prime d'assurance liée à la garantie « perte d'exploitation sans dommage matériel ». Le nombre d'entreprises protégées augmenterait et les primes d'assurance baisseraient en conséquence.

J'ai bien conscience que la probabilité que l'État reprenne entièrement à son compte ces mesures est faible. Je crois qu'il est important que l'on puisse alimenter le débat public en propositions, charge au Gouvernement ensuite d'expliquer pourquoi aucune amélioration de la protection des entreprises n'était possible.

Une quatrième recommandation dans cet axe concerne le fait de faciliter le recours au tribunal afin d'engager la responsabilité de l'État du fait des attroupements. Aujourd'hui un tel recours a peu de chance d'aboutir et coûte cher : l'article de loi est assez flou, et la jurisprudence qui est venue le compléter est complexe et un peu hasardeuse. Il faudrait réécrire cet article afin de clarifier certains points. En outre, un tel recours coûte cher pour le justiciable. Nous proposons de réfléchir à une protection juridique de type « garantie défense recours » qui serait souscrite dans les polices d'assurance, sous forme d'une prise en charge financière des frais d'avocat à l'occasion d'un tel recours lié à ces sinistres.

- Le troisième axe, enfin, concerne le fait de favoriser l'accès des entreprises aux aides publiques. Pour ce faire, il importe de recommander d'une part que les critères d'éligibilité des fonds d'aides soient assouplis, afin de ne pas exclure bon nombre d'entreprises. D'autre part, il serait utile de généraliser à tout le territoire le principe des « guichets uniques » au sein des CCI et CMA qui réunissent tous les acteurs publics de soutien. Ainsi, les aides seraient beaucoup plus lisibles et les petites entreprises seraient aidées dans la constitution de leurs dossiers.

D'autres éléments et recommandations figurent dans le rapport, mais nous avons souhaité nous en tenir à l'essentiel.

Mes chers collègues, je vous remercie pour votre attention, et je suis prête à répondre à toutes vos questions, notamment sur les auditions réalisées.

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