Intervention de Alain Milon

Commission des affaires sociales — Réunion du 3 juillet 2019 à 9:5
Certification des comptes de la sécurité sociale pour 2018 et situation financière de la sécurité sociale en 2018 — Audition de M. Denis Morin président de la 6ème chambre de la cour des comptes

Photo de Alain MilonAlain Milon, président :

Nous avons le plaisir d'accueillir ce matin M. Denis Morin, président de la 6ème chambre de la Cour des comptes, accompagné de MM. David Appia, conseiller maître et Stéphane Guéné, conseiller maître en service extraordinaire, pour la présentation de deux rapports sur la sécurité sociale.

Le premier, que je pourrais qualifier de saisonnier à pareille époque, est le rapport de la Cour sur la certification des comptes de la sécurité sociale pour 2018, publié le 23 mai dernier. Le second, une nouveauté, présente l'analyse des comptes de la sécurité sociale afin de « permettre au Parlement de disposer désormais avant l'été d'une appréciation sur la situation financière des différentes administrations publiques pour l'année écoulée. »

Je voudrais saluer tout particulièrement la décision de la Cour d'avancer avant l'été la publication de ses analyses sur l'application de la loi de financement de la sécurité sociale de l'année écoulée. Cela correspond à une demande réitérée - pour reprendre le vocabulaire de la Cour - depuis plusieurs années par notre commission qui, à l'initiative de son rapporteur général, procède chaque année depuis cinq ans à ce travail lors du débat d'orientation des finances publiques. Je me réjouis tout particulièrement que cette demande ait pu être satisfaite.

M. Denis Morin, président de la 6ème chambre de la Cour des comptes. - Merci de nous donner l'occasion de présenter nos travaux devant votre commission - c'est toujours un plaisir ! Le deuxième rapport que je vous présenterai, plus modeste que les autres publications, porte sur l'analyse de la Cour sur les comptes de la Sécurité sociale. Ce rapport, annexé à celui sur la situation et les perspectives des finances publiques n'épuise pas nos observations, que nous reprendrons en particulier dans le prochain rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale (Ralfss) qui sera publié en octobre.

Quelques mots sur le contexte de ce 13ème exercice de certification. En 2018, les comptes sont proches de l'équilibre ; ils n'y sont pas tout à fait, en dépit de la communication sur ce sujet : il y a encore un signe moins ! Mais par rapport aux 30 milliards de déficit en 2010, la situation s'est clairement améliorée. La branche famille renoue pour la première fois depuis dix ans avec l'excédent - peut-être par contrecoup de la baisse des naissances, ce qui n'est pas forcément une bonne nouvelle.

Ces comptes sont ceux d'une nouvelle génération de conventions d'objectifs et de gestion (COG), qui régissent pluri-annuellement les relations entre l'État et les différentes caisses et constituent un mode de gestion moderne et efficace. Dans ceux-ci, l'accent a été mis plus vigoureusement sur la nécessité d'améliorer la maitrise des risques, la cartographie des risques et le contrôle interne pour s'assurer que l'argent public va bien là où il doit aller.

Autre élément de contexte, la consolidation de deux grandes réformes systémiques : la déclaration sociale nominative (DSN), qui continue à se déployer - nous y consacrons un chapitre dans le dernier Ralfss - et la LURA (liquidation unique des régimes alignés de retraite), sans parler de l'intégration du régime social des indépendants (RSI) dans le régime général. Enfin, l'article 25 de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) fait évoluer les responsabilités du comptable public en identifiant bien le contrôle interne dans ses missions.

Sans beaucoup d'hésitations, après tous les filtres collégiaux, nous proposons pour la sixième année consécutive, de certifier les neuf jeux de comptes du régime général avec un nombre de réserves comparable à celui de l'année précédente, puisqu'il y en a 29 au lieu de 28 - cette petite augmentation traduisant moins une dégradation de la fiabilité des comptes qu'un changement dans l'agencement de nos remarques. Nous nous situons donc plutôt sous le régime de la stagnation - que j'espère non séculaire....

Nous certifions ainsi 576 milliards d'euros de prélèvements obligatoires et 473 milliards d'euros de charges - la différence s'explique par le fait que le réseau collecte des ressources pour le compte de tiers. L'ensemble des dépenses publiques est de l'ordre de 1 200 milliards d'euros : le périmètre de certification en représente donc un peu plus du tiers.

Si nous faisons une réserve de plus, nous avons plutôt allégé, dans notre dialogue habituel avec les caisses, un certain nombre d'entre elles, en levant 28 points d'audit - ce n'est pas mal. L'année dernière, nous en avions levé 46. Les progrès sont toujours plus difficiles à faire à la marge.

Je ferai deux observations majeures, la première concernant la sincérité des comptes. À l'inverse de l'année dernière, nous n'avons pas identifié d'écritures qui la fausseraient, même à la marge. Le ministère des comptes publics souhaite « resincériser » les comptes, si vous me permettez cet affreux néologisme. Il y avait des marges de progrès - c'est le moins qu'on puisse dire ! C'est plutôt une réussite : les chiffres ne sont pas frappés d'aléas comme précédemment. C'est d'autant plus appréciable que quand on est à 30 milliards de déficit, un ou deux milliards d'écritures pas tout à fait conformes ne changent pas l'apparence des comptes ; mais lorsque le solde est proche de l'équilibre, la tentation peut être forte de donner un petit coup de pouce... Nous pouvons attester de la sincérité des écritures et saluer le résultat de la « resincérisation ». Peut-être y a-t-il, dans ce domaine, un cycle électoral : la vertu qui s'exprime dans les premières années du mandat tend à s'épuiser à l'approche des élections... Vous pouvez compter sur la Cour pour s'assurer qu'elle ne faiblit pas.

La réserve supplémentaire que nous constatons concerne la façon dont un certain nombre d'éléments de passifs sont retracés dans les comptes des caisses nationales ou des caisses primaires.

Le certificateur, en vertu du principe de l'image fidèle, doit s'assurer que le passif est retracé là où est retracé l'actif qui lui correspond. Il est anormal que les provisions sur des actifs des caisses primaires figurent au passif des caisses nationales. Cela ne change rien à la certification des comptes consolidés, mais comme nous certifions les comptes des caisses nationales, mais pas ceux des caisses primaires, cela donne un résultat bancal. Les caisses nationales ont pris habitude de comptabiliser ces provisions globalement pour aller plus vite dans la production des comptes - objectif louable. Mais cela peut susciter des tentations... La bonne méthode consisterait à les retracer dans les comptes des caisses primaires. Cette démarche globalisatrice de la caisse nationale d'assurance maladie (Cnam) est ancienne. Nous ne l'avions jamais sanctionnée, car l'agent comptable avait pris l'engagement d'y mettre bon ordre. Or les comptes de cette année accusent une divergence pour 1,8 milliards d'euros, contre 1 milliard seulement l'année dernière. Nous avons donc voulu pousser la Cnam à y mettre bon ordre. Mais nous comprenons bien qu'il est compliqué de faire appliquer des règles prudentielles identiques à la centaine de caisses primaires.

Note deuxième observation nous préoccupe davantage : elle rejoint la doctrine ancienne de la 6ème chambre de la Cour concernant le paiement à bon droit des prestations. Nous touchons là à des notions très concrètes, prouvant que la certification n'est pas un exercice théorique. Nous parlons là de la fraude, par exemple. Nous avions travaillé sur le sujet de la fraude aux prestations famille, retraite et maladie pendant un an - pensant produire un rapport public thématique à la fin de l'année - lorsque nous avons appris que le Premier ministre avait confié un rapport sur le même sujet à deux parlementaires. Nous mettrons bien évidemment à leur disposition les informations collectées, dont ils feront ce qu'ils veulent...

Nous parlons des erreurs de liquidation, ou du non-recours : des allocataires ne comprennent pas la complexité de la législation et ne bénéficient pas de prestations auxquelles ils auraient eu droit. Pour certaines d'entre elles, le taux de non-recours approche parfois 50 % ! Avant la prime d'activité, le non-recours au RSA-activité était de plus d'un tiers. La réforme avait notamment pour objectif d'attaquer ce point - je ne suis pas sûr qu'on l'ait atteint.

Pour s'assurer du paiement à bon droit des prestations, le certificateur doit s'assurer que tous les dispositifs de contrôle interne fonctionnent. Or nous constatons, dans notre dialogue avec les caisses, que les indicateurs de risque résiduel ne s'améliorent pas depuis trois ans : une pension liquidée sur sept est frappée d'inexactitude, que cela soit au bénéfice ou au détriment du bénéficiaire. Les ministres nous répondent que les erreurs sont d'un petit montant. Ce n'en est pas moins inacceptable. Dans les caisses générales de sécurité sociale (CGSS) outre-mer, c'est une pension sur trois !

L'indicateur de risque résiduel est une méthode statistique ex-post, consistant pour les services de contrôle interne à vérifier a posteriori un volant de dossiers représentatifs. Grâce à ces contrôles, nous constatons qu'une prestation de RSA sur six est inexacte, comme une prime d'activité sur quatre. Je ne dis pas que les inexactitudes portent sur des montants énormes. Mais ce n'est pas négligeable, sachant que le nombre d'allocataires de la prime d'activité s'accroit. Cela peut jeter le trouble chez les bénéficiaires, les obliger à prendre contact par internet, par téléphone, voire prendre un rendez-vous. Cela impose plus de complexité à nos concitoyens dans l'exercice d'un droit déterminé par des lois que vous avez votées. Il serait tout à fait essentiel que cette situation s'améliore. Or, dans ce domaine, nous sommes confrontés à la stagnation.

Nous faisons cependant la part des choses. La situation est plus préoccupante pour la branche vieillesse que pour la branche famille, car cette dernière gère beaucoup d'allocations relevant de l'État et est confrontée à des évolutions - je ne dirai pas excessives mais rapides - de la législation et de la règlementation. Lorsque le réseau voit évoluer en quelques jours la prime d'activité et doit soudainement gérer 1,2 million d'allocataires en plus, sa priorité est la production... Les erreurs sont compréhensibles pour le RSA ou les autres allocations différentielles, c'est-à-dire prenant en compte d'autres éléments de revenus : cela signifie que la situation de chaque allocataire peut changer au cours de l'année, ce qui nécessite une liquidation de droits différente à chaque fois. Grace à la DSN, cette liquidation pourra se faire à partir de données de revenus actualisées, ce qui règlera le problème des indus, dont on parle depuis quarante ans.

Nous savons que dans certaines circonstances, les contraintes de la production l'emportent. Mais l'action des caisses doit néanmoins s'inscrire dans les COG, lesquelles mettent l'accent sur le contrôle interne. Nous ne pouvons pas admettre qu'il y ait, en rythme de croisière, un arbitrage entre production et certification. Imagine-t-on un industriel qui arbitrerait pour la production au détriment de la sécurité ?

Tout cela peut sembler se relier à un référentiel lointain - celui des commissaires aux comptes. Le rapport reste donc difficile à lire, même si nous avons essayé de le rendre plus clair en intercalant des notices. Nous sommes malgré tout tenus par des normes professionnelles. Pourtant, les constats renvoient à des choses concrètes, qui parlent à tous nos concitoyens.

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