Bien que j'aie lancé des productions, je suis surtout acteur et réalisateur. Les nombreux producteurs ici présents pourront vous parler de notre filière, en passe d'être détruite. Pour ma part, je parlerai plutôt de l'humain.
Depuis 1990, j'opère dans le domaine de la culture en France, avec plus ou moins de bonheur, car c'est un pays difficile pour les représentants de la diversité. Depuis 1991, j'ai plaidé pour une modification de la loi relative à l'audiovisuel public, notamment en ce qui concerne le rôle du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) en outre-mer. Modifiée en 1993, la loi n'est appliquée que depuis 2014.
Quant au spectacle vivant, j'essaie depuis 1994 d'aider mes compatriotes d'outre-mer à participer en métropole à la grande fête du théâtre, au festival d'Avignon où j'ai monté un théâtre. Or le ministère de la Culture ne veut toujours pas en entendre parler. J'ai présidé l'association de préfiguration de l'agence pour la promotion et la diffusion des cultures des outre-mer, mais ce projet n'a pas pu prospérer, étant saboté par le ministère de la culture. Or, les financements sont nécessaires pour que les compatriotes des territoires éloignés puissent exercer leur art dans leur capitale.
Je donnerai lecture du texte que j'ai préparé avec Marie-Pierre Bousquet, d'Axe Sud Production, et Véronique Polomat qui travaille à France Ô, que nous avons intitulé : « Disparition de France Ô : une mauvaise décision prise sur de mauvais fondements ».
Concernant les outre-mer, la situation qui prévaut depuis très longtemps se résume ainsi : la quasi-absence des artistes et des imaginaires de l'outre-mer français dans tous les domaines culturels de la Nation. Cette absence de visibilité pousse les Français de l'hexagone à avoir de l'outre-mer et des populations qui en sont issues une vision simpliste marquée par de nombreux clichés, témoins d'une extraordinaire ignorance de leurs réalités.
Constat inquiétant dans la mesure où cette ignorance contrarie et freine le développement économique et social des originaires de ces départements isolés de notre République et nourrit des préjugés sans fondement et des discriminations qui se ressentent aussi bien en outre-mer que dans l'hexagone.
Pourtant, les ultramarins sont présents sur l'ensemble du territoire national dans tous les secteurs d'activités, à tous les niveaux et appartiennent à tous les milieux sociaux de notre pays.
Pour nous professionnels de la culture, le déficit chronique d'images positives dont souffrent les ultramarins se vit au quotidien dans tous les domaines de la culture, que ce soit à travers la télévision (notamment de service public), le spectacle vivant (théâtre et danse), la littérature, le cinéma, la radio et la musique.
Nous savons tous que la télévision est LA principale façon de valoriser la culture et les imaginaires de la diversité, ce qui permettrait de les inclure dans l'exception culturelle française et de faire savoir à tous que l'originalité et les identités spécifiques de l'outre-mer sont véritablement des éléments constitutifs de la richesse culturelle de la France.
Incapables de se reconnaître dans une télévision qui ne leur renvoie aucune image constructive d'eux-mêmes, plus de 5 millions d'ultramarins sont dans l'attente de programmes qui permettraient une meilleure compréhension des réalités qui sont les leurs et l'émergence d'une véritable égalité entre tous les Français avec un réel sentiment d'appartenance nationale.
Pour corriger le déficit d'image de l'outre-mer et des ultramarins dans les médias, cette exclusion silencieuse vient d'être confirmée par une étude du CSA, le législateur a mis en place France Ô, chaîne issue de RFO Sat qui avait néanmoins en germe deux entraves majeures : son manque de moyens et un lien mal défini avec les structures de RFO, ne lui permettant pas une grande ambition éditoriale et interdisant tout développement dans le cadre d'une vraie stratégie d'antenne clairement identifiée.
Plutôt que de répondre à cette belle idée de lien social et faire de France Ô une chaîne nationale créatrice de lien entre l'hexagone et les outre-mer, les dirigeants de France Télévisions se sont empressés depuis 2005 de déverser tous les programmes refusés par les autres chaînes du groupe sur France Ô, avec comme résultat évident de rendre la ligne éditoriale indistincte, et de tirailler la chaîne entre diversité, banlieues et outre-mer avec une grille des programmes hétéroclite mélangeant journaux de l'outre-mer, émissions de hip-hop, magazines de débat, télénovélas sud-américaines, diffusion et rediffusion de séries françaises vues et revues sur les autres chaînes du groupe. En quelques années, ils en ont fait une chaîne déversoir du service public marquée par l'errance éditoriale. Pour autant, supprimer France Ô est une mauvaise décision prise sur de mauvais fondements.
En effet, qu'est-ce que France Ô ? France Ô est la première chaîne multiculturelle française émettant 24 heures sur 24, sur le câble et le satellite, canal 19 de la TNT. France Ô, est à la fois la vitrine des régions ultramarines mais aussi le miroir de la France multiple et se positionne comme l'antenne de la diversité et des différences. Elle est donc aujourd'hui la seule chaîne à véritablement prendre en compte les problématiques et les enjeux de la France d'outre-mer.
Quant aux arguments avancés pour supprimer France Ô, des prétextes ont été avancés par le Gouvernement : le prétexte financier car France Ô ne coûte que 25 millions d'euros ; le prétexte de l'audience, qui atteint 0,6 à 0,8 %, à comparer avec la chaîne France Info, qui n'obtient que 0,3 % de part d'audience et coûte 50 à 75 millions d'euros.
La WebTV ne remplace pas le rôle fédérateur et social de la télévision qui touche tous les publics et réunit les outre-mer, les Français qui en sont issus et les Français de l'hexagone, autour de centres d'intérêt communs, de problématiques communes tout en valorisant leur authenticité. Linéaire et web sont donc différents mais complémentaires : l'un ne peut pas remplacer l'autre ! Et quand à la couverture 3G et 4G en outre-mer, elle est loin d'être assurée, pas plus que dans l'hexagone d'ailleurs.
Mais, le numérique est le support d'avenir nous dit-on. Alors pourquoi avoir fait passer France Info du web sur la TNT ?
On s'aperçoit bien là que ce sont de faux arguments, teintés d'ostracisme vis-à-vis de l'outre-mer et des ultramarins, et qui s'apparentent - n'ayons pas peur des mots - à un apartheid à la française.
En revanche, une transformation de France Ô est nécessaire : il faut clarifier, redéfinir et redynamiser la ligne éditoriale de la chaîne. Il faudrait aussi développer les programmes de France Ô en dotant la chaîne d'un véritable budget de production pour nourrir la diversité de ces antennes de programmes propres reflétant la diversité française, avec une large part à l'outre-mer et aux producteurs originaires de l'outre-mer.
Supprimer France Ô ou faire passer la chaîne sur le web serait une grave erreur et une injustice car elle apporte une meilleure connaissance des Français entre eux et répond aux impératifs de la mission de service public. Elle est pour la Nation un vecteur de cohésion sociale.
Les enjeux pour les outre-mer sont de taille, mais l'enjeu stratégique qui est de faire société entre tous les Français est primordial pour notre pays. Plus grave encore, la disparition de France Ô n'est que le premier étage de la fusée libérale destinée à supprimer les chaînes régionales de La 1ère et donc le service public audiovisuel en outre-mer. En effet, les programmes des autres chaînes étant accessibles directement sur leurs chaînes d'origine dans le bouquet diffusé dans ces territoires, pourquoi dépenser de l'argent en proposant un service public de télévision ?
La stratégie employée serait donc la suivante : d'abord supprimer France Ô, en délinéarisant la chaîne puis dans quelques années, assécher financièrement les Premières qui laisseront le champ libre à une syndication de télés privées. Et quand on connaît la fracture numérique abyssale et la couverture plus que limitée de la 3G et la 4G en outre-mer (25 000 sites dans l'hexagone et 221 en outre-mer), on comprend l'intérêt et le lobbying féroce des opérateurs privés.
Le mieux serait évidemment de sortir France Ô du groupe France Télévisions, de la repenser à partir d'un projet éditorial stratégique pour les outre-mer et d'en faire une vraie chaîne de service public. Il serait inadmissible que France Ô disparaisse sans que soit envisagé un projet alternatif.