Intervention de Daniel Laurent

Délégation aux entreprises — Réunion du 5 juin 2019 à 12h30
Compte-rendu par m. daniel laurent du déplacement de la délégation en charente-maritime et charente les 23 et 24 mai 2019

Photo de Daniel LaurentDaniel Laurent :

Madame la Présidente, mes chers collègues, je suis très heureux que la Délégation aux entreprises ait accepté mon invitation à venir en Charente-Maritime pour découvrir la variété et le dynamisme des entreprises de ce département. Je remercie particulièrement notre présidente, Élisabeth LAMURE, ainsi que nos collègues qui nous ont accompagnés : Gilbert BOUCHET, Michel CANEVET, Catherine FOURNIER, Xavier IACOVELLI, Sébastien MEURANT, Jackie PIERRE. J'y associe et remercie pour leur participation les autres sénateurs du département : Corinne IMBERT et Bernard LALANDE. Notre collègue Nicole BONNEFOY nous a rejoint le jeudi soir à Cognac, pour effectuer la transition vers la Charente. Nous avions décidé de nous centrer sur deux thèmes différents pour chacun des départements, ce qui était, je pense, très enrichissant.

Nous avions un programme ambitieux pour ce déplacement en Charente-Maritime : trois visites d'entreprises - le chantier naval Fountaine Pajot, la Tonnellerie Baron et la Distillerie de la Tour -, une table ronde à Rochefort et un diner-débat à Cognac.

La première étape s'est déroulée au chantier naval Fountaine Pajot, entreprise familiale de construction de catamarans de tourisme, située à Aigrefeuille-d'Aunis.

Nous y avons été accueillis par Mme Claire Fountaine, présidente de la société. Cette entreprise a été créée par deux anciens champions de voile après les jeux olympiques de 1976, dont Jean-François Fountaine, aujourd'hui maire de La Rochelle. Elle s'est d'abord spécialisée dans la construction de bateaux de course et elle a été auréolée de nombreux prix. L'entreprise commence à produire des catamarans de tourisme dans les années 80 et elle est aujourd'hui le deuxième constructeur mondial de catamarans de tourisme, avec une production mensuelle de 26 à 28 bateaux, principalement à voile : l'entreprise réalise l'essentiel de son chiffre d'affaires dans cette gamme (108 sur 128 millions d'euros), la gamme moteur ayant toutefois doublé son activité.

La construction navale est un secteur extrêmement dynamique, Fountaine Pajot a ainsi vu son chiffre d'affaires croître de 34 % en 2018, faisant de cette année sa huitième année consécutive de croissance. L'entreprise emploie 800 personnes réparties sur deux sites, à Aigrefeuille-d'Aunis et La Rochelle, avec de forts besoins de recrutement : entre 100 et 150 personnes par an. Ce dynamisme touchant tous les chantiers navals, il se répercute également sur les fournisseurs et les sous-traitants qui doivent s'adapter. Je voudrais souligner qu'un tel dynamisme n'a pas toujours été la norme. Ce secteur bénéficie aujourd'hui de l'évolution du tourisme dans le monde.

Le secteur particulier qu'est la construction nautique demande des profils très spécifiques ; si l'entreprise passe par Pôle emploi et les agences d'intérim -- notamment pour certains métiers en tension car également communs au secteur de la construction -- elle forme par ailleurs, en interne, les profils les plus singuliers.

Le groupe a une production 100 % française, presque exclusivement tournée vers l'export (entre 10 et 15 % pour la France, 30 % en Europe et 60 % pour le reste du monde). 215 bateaux sont sortis des deux sites en 2018 et ce nombre sera sûrement porté à 256 en 2019. Il faut en effet 40 jours pour terminer un bateau, sachant qu'un bateau terminé sort du chantier tous les jour et demi.

Pour répondre à la croissance de son activité, le groupe va d'ailleurs inaugurer un nouvel atelier de 6 200 m2 dans la commune voisine. Ce nouvel espace laissera plus de place à l'innovation et permettra au groupe Fountaine Pajot d'être plus autonome de ses sous-traitants pour la découpe du bois, du tissu et des mousses, avec le développement de logiciels de découpe numérique.

Pour la visite des 21 000 m2 de l'atelier d'Aigrefeuille-d'Aunis, notre Délégation était accompagnée du directeur de production, M. Xavier COLLOCH, qui a pu nous apporter des explications éclairantes sur le processus industriel, et nous montrer 5 catamarans en différentes phases de construction sur le site. Il a notamment insisté sur les techniques innovantes développées par Fontaine Pajot pour rendre le processus d'étanchéisation des bateaux moins polluant et plus efficace. Après des essais en piscine sur site, les bateaux terminés partent en remorque pour être livrés et mis en service à la Rochelle. Le site de construction de La Rochelle permet par ailleurs de mettre directement à la mer les plus gros bâtiments, sans avoir à les transporter sur route.

Après cette première visite de terrain, nous avons pu échanger avec une quinzaine d'entrepreneurs charentais lors d'une table ronde à Rochefort dans les locaux de la CCI installée dans la magnifique Corderie Royale, bâtiment construit en 1666 et long de 374 mètres, soit plus que la Tour Eiffel. Il fut jusqu'au XXème siècle le plus long bâtiment industriel en Europe !

Premier des sujets évoqués, auquel on pouvait s'attendre s'agissant d'un département maritime : les difficultés posées par la loi Littoral pour le développement du tourisme (hôtellerie de plein air), de l'ostréiculture et de l'habitat dans le département -- mais également d'autres département bien sûr. A été notamment visée l'obligation d'extension de l'urbanisation en continuité des zones urbanisées, qui vient d'être assouplie par l'article 42 de la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique, dite loi « ELAN », qui autorise l'urbanisation des dents creuses.

D'autres sujets récurrents ont été abordés, et principalement les complexités administratives et l'instabilité normative (Règlement Général de Protection de Données Personnelles - RGPD), prélèvement à la source, nouvelle loi sur la liberté de choisir son avenir professionnel), le coût du travail, le financement de l'apprentissage, la question des seuils sociaux, les transmissions d'entreprises. Pour reprendre des propos tenus par un participant, les entreprises veulent de la simplicité, de la visibilité, de la compétitivité, et, selon les termes d'un autre, « qu'on les laisse tranquilles ». Les entrepreneurs nous ont déjà faits part de leurs inquiétudes à propos de ces sujets lors des précédents déplacements.

Vous l'aurez noté, nombre de ces thèmes ont été abordés par notre délégation au cours de ses travaux. À cet égard, nous avons eu à coeur de faire valoir les efforts du Sénat, et particulièrement de la Délégation aux entreprises, pour relayer ces préoccupations au cours du processus législatif. Nous avons rappelé notre position sur certains sujets, comme la taxation des contrats courts, la réforme de l'apprentissage ou la mise en place d'un guichet unique pour les démarches des entreprises.

En outre, la difficulté à recruter un personnel formé ou à former, et motivé, est déplorée de façon massive et unanime par les entrepreneurs de ce département. Pour faire écho à Fountaine-Pajot, on peut remarquer que ces entreprises créent des opportunités en termes de création d'emplois. Au vu de notre taux de chômage, nous ne pouvons que nous désoler des difficultés de recrutement de ces entreprises.

Après ces riches échanges, nous sommes partis vers Les Gonds, où nous avons été accueillis par Nicolas Tombu, président de la Tonnellerie Baron, autre entreprise familiale.

Fondée en 1875 et au départ spécialisée dans la réparation de fûts, la Tonnellerie Baron est aujourd'hui une entreprise de 60 salariés qui produit 13 000 barriques par an, pour un chiffre d'affaires de 13 millions d'euros. La Tonnellerie voit sa croissance bondir de 10 à 15 % tous les ans pour répondre au dynamisme de la demande mondiale de vin et de spiritueux, dont le cognac.

Pour que ce développement économique qui sous-tend une plus grande consommation de ressources naturelles, et notamment de bois, soit durable, l'entreprise s'est engagée depuis quelques années dans une stratégie de Responsabilité Sociale des Entreprises (RSE) particulièrement volontariste, et cela sans aucune aide publique. Ainsi, pour chaque barrique produite, un chêne est planté par l'entreprise, soit 13 000 chênes en 2018. Elle évolue également dans des bâtiments basse consommation munis de panneaux solaires ; la construction d'une centrale à hydrogène fait aussi partie des pistes d'amélioration possibles pour le futur.

Ce processus de transformation écologique imprègne toutes les étapes de fabrication des tonneaux : du traitement des matières premières, aux transformations intermédiaires, en passant par les relations avec les fournisseurs (diminution des emballages plastique, amélioration des circuits de recyclage) mais également l'environnement même de l'entreprise, par la mise en place de parcelles écologiques paysagères sur le site de production.

M. Tombu nous a ensuite expliqué les différentes étapes de fabrication des tonneaux, de l'entreposage des troncs au cerclage des barriques, en passant par la scierie et les tests d'étanchéité. La tonnellerie emploie 40 salariés, répartis entre la scierie, l'usine et le bureau d'étude. Les ingénieurs de ce dernier travaillent au développement de machines sur-mesure, comme des supports de barriques, des bras mécaniques et des scies, qui permettent de réaliser des gains de temps et de matériaux.

Cette entreprise innovante est donc prospère et durable, malgré les risques inhérents au temps de séchage de sa production, c'est-à-dire au nombre important d'années entre le temps de stockage des fûts et leur vente.

Dans la même filière, après la tonnellerie, notre délégation a visité la Distillerie de la Tour, située à Pons. Cette entreprise familiale se démarque par sa stratégie de diversification des cultures et des activités.

L'activité principale de la Distillerie est la vente en vrac de vin, de cognac et autres spiritueux ; son activité de production de bouteilles est plus récente (mais se traduit par des marges plus confortables).

La Distillerie de la tour est ainsi la seule entreprise régionale viticole multi-produits -- en vue de valoriser les productions du vignoble charentais -- mais aussi multi-activités. Elle possède en effet plus de 100 hectares de vignes, ce qui lui permet de sécuriser « l'amont » de sa production, des sites de vinification, de vieillissement et des sites de stockage. Viticulteur, distillateur et négociant, cette multitude de produits et de savoir-faire permet à cette entreprise de ne pas être dépendante du cognac. Ce choix n'entrave pas son développement puisqu'elle réalise 80 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2018, avec 30 % à l'export vers des pays comme les États-Unis, l'Allemagne, la Russie ou encore la Chine.

Cette croissance, adossée à une politique de qualité, permet à l'entreprise de recruter sur des métiers spécifiques comme celui de qualiticien, mais également d'investir autant dans son équipement (logiciels métiers, nouveau site de production) que dans la recherche viticole. Elle cherche ainsi à développer une activité viticole respectueuse de l'environnement et de cépages dits « résistants », en vue de limiter l'usage de produits phytosanitaires.

Enfin, nous avons participé à un diner-débat avec des professionnels de la filière cognac dans les beaux chais restaurés qui ont appartenu à la famille de Jean Monnet. La filière cognac est structurée par l'union des viticulteurs et des négociants à travers le Bureau national interprofessionnel du Cognac (BNIC). Il fédère les 4 400 viticulteurs et les 300 négociants de la filière, qui partagent la même vision ; ce paritarisme est une des clefs de leur succès. Cette filière est particulièrement dynamique depuis quelques années, poussée par la forte demande étrangère, venant en particulier des États-Unis : les 200 millions de bouteilles exportées chaque année, représentant 98 % de la production, apportent 3,7 milliards d'euros à notre balance commerciale, chiffre qui a doublé en dix ans (1,9 milliard en 2009).

Cette croissance exponentielle, si elle crée de la valeur et des emplois, est aussi à l'origine de l'envolée des prix des parcelles de cépages cognac : un hectare « plantable » se négocie deux fois plus cher qu'il y a 20 ans. Cette situation rend les transmissions de vignobles particulièrement difficiles : les viticulteurs ont déploré le coût de ces transmissions, trop élevé pour les jeunes générations, et qui fait peser le risque de la dissémination du vignoble cognaçais, à l'image du bordelais ou du champenois, avec l'arrivée massive de capitaux étrangers. Les facilités issues de la réforme sur la transmission d'entreprises portée par notre délégation et nos collègues Michel Vaspart et Claude Nougein, ont toutefois été saluées par le BNIC et l'Union générale des viticulteurs pour l'AOC Cognac (UGVC). Ils souhaiteraient néanmoins voir augmenter les seuils d'exonération en cas de reprise familiale. Ces transmissions d'entreprises ne peuvent se faire si les charges sont trop élevées, elles risquent d'être rachetées par des capitaux étrangers, synonymes de pertes pour nos territoires.

Dans ce secteur, comme dans d'autres, les professionnels ont insisté sur les problèmes d'emploi et de formation : manque de formations ciblées, création de précarité, nécessaire recours à une main d'oeuvre étrangère, sont autant d'importants sujets de préoccupation, avec l'espoir que des solutions seront trouvées...

Ils nous ont par ailleurs présenté des propositions qui seraient utiles au développement de la filière : le déplafonnement de la réserve d'exploitation à 75 % pour permettre de pérenniser les exploitations, l'ouverture de la réserve de précaution en cas d'aléas agricoles ou climatiques aux entreprises soumises à l'impôt sur les sociétés, l'exonération de la TVA sur le négoce du cognac, sujets pour lesquels j'ai posé deux questions écrites au Gouvernement.

Par ailleurs, ils ont attiré notre attention sur un cas « d'obligation utile » qui a récemment été supprimée : il s'agit de l'obligation de déclaration des récoltes, rendue facultative dans un effort de simplification, qui, dans ce cas, serait inopportun.

J'ai été très heureux de présenter ces belles réussites à mes collègues. J'espère qu'ils auront découvert avec intérêt la diversité et les richesses de mon département, illustrées par des entrepreneurs qui se battent pour créer de la valeur et de l'emploi, malgré les difficultés rencontrées. Je suis heureux de laisser la parole à notre collègue Nicole Bonnefoy qui pourra vous parler de la suite de ce déplacement, dans son département : la Charente.

Je vous remercie.

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