Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, en première lecture, le Sénat avait déploré la précipitation avec laquelle le projet de loi avait été élaboré et regretté qu’il s’apparente, à plusieurs égards, à une loi d’exception.
Le travail minutieux que nous avions alors réalisé avait permis de modifier le texte, afin de garantir l’exemplarité du chantier de Notre-Dame, compte tenu de son caractère emblématique, et de sécuriser le cadre légal offert aux donateurs, de manière à leur apporter des garanties suffisantes pour permettre à l’élan de générosité de se poursuivre.
Malheureusement, l’inflexibilité dont vous avez fait preuve en première lecture, monsieur le ministre, comme l’intransigeance de la majorité présidentielle au moment de la commission mixte paritaire, ne nous a pas permis d’aboutir à l’élaboration d’un texte commun. Notre volonté de supprimer l’article 9, pourtant justifiée par les risques que ce dernier faisait courir sur la crédibilité de notre législation et le précédent qu’il risquait de constituer à l’avenir, n’a pas fait l’objet d’un consensus parmi les députés.
Que penser du texte résultant des travaux de l’Assemblée nationale ? La réponse n’est pas évidente, car les discussions en nouvelle lecture ont connu un véritable tournant en séance publique.
Sans surprise, la commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale a, dans un premier temps, rétabli l’essentiel du texte qu’elle avait adopté en première lecture, balayant les dispositions introduites par le Sénat tendant à enrichir, à préciser et à sécuriser juridiquement les articles du projet de loi.
Tout au plus a-t-elle adopté sans modification l’article 8 ter, que nous avions introduit en séance publique sur l’initiative de notre collègue Jean-Pierre Leleux, pour garantir l’information et la consultation de la Commission nationale du patrimoine et de l’architecture sur l’avancement des études et des travaux du chantier de Notre-Dame. C’est une bonne chose, puisque cet article, qui n’a pas davantage été amendé en séance publique, est désormais conforme et fera partie de la loi promulguée.
En revanche, si je me fie à mes collègues bien plus expérimentés que moi dans l’univers parlementaire, l’inflexion qu’a connue le texte en séance publique est absolument inédite, après le refus de compromis auquel nous nous étions heurtés lors des précédentes phases de la procédure législative. Contre toute attente, en effet, le Gouvernement a effectivement déposé deux amendements visant à complètement remanier la rédaction des articles 8 et 9 du projet de loi.
Quel revirement inattendu sur deux articles qui figuraient parmi les plus sensibles ! Même si nous ne pouvons que regretter l’intervention de ces modifications à un stade aussi avancé de la procédure législative, il nous faut reconnaître qu’elles rejoignent plusieurs des préoccupations exprimées par le Sénat.
La nouvelle rédaction de l’article 8 met fin à l’ambiguïté que nous avions dénoncée en première lecture, puisque celui-ci confie définitivement à un nouvel établissement public, à caractère administratif et placé sous la tutelle du ministère de la culture, comme nous le demandions, le soin d’assurer la maîtrise d’ouvrage des travaux de restauration de Notre-Dame.
Comme vous venez de le rappeler, monsieur le ministre, le périmètre d’intervention de l’établissement est étendu à la réalisation des travaux d’aménagement de l’environnement immédiat de la cathédrale, un sujet dont nous avions longuement débattu, ainsi qu’à l’identification des besoins de formation professionnelle pour les travaux de restauration de l’édifice et à la médiation et valorisation du chantier, ce que le Sénat avait soutenu en première lecture.
Il est enfin demandé à l’établissement public de prendre en compte la situation des commerçants et des riverains, comme y avaient appelé les élus parisiens.
La nouvelle rédaction de l’article 9 restreint considérablement le champ de l’habilitation à déroger aux règles de droit commun par ordonnances pour faciliter l’exécution du chantier de Notre-Dame.
Comme nous l’espérions, les dérogations au code du patrimoine, au code général de la propriété des personnes publiques et aux règles de publicité prévues par le code de l’environnement sont désormais listées à l’article 9 et ne font plus l’objet d’une habilitation.
En revanche, une habilitation demeure pour permettre au Gouvernement de déroger par ordonnances aux règles en matière de voirie, d’environnement et d’urbanisme, et d’adapter les règles applicables aux travaux et aux opérations connexes pour faciliter la construction de bâtiments nécessaires au chantier, ainsi que son approvisionnement et l’accueil du public.
Que penser de ces évolutions ? Je crois que nous pouvons légitimement y voir la preuve du bien-fondé des propositions que nous avions formulées en première lecture et peut-être, aussi, un aveu d’une certaine précipitation dans l’élaboration du texte.
Doit-on s’en satisfaire ? Je ne vous surprendrai pas, monsieur le ministre, en vous disant que la réponse à cette question est en demi-teinte. Oui, ces évolutions améliorent le texte par rapport à la version qui nous avait été soumise en première lecture. Mais elles restent, à nos yeux, nettement insuffisantes.
À l’article 8, compte tenu de la mission confiée à l’établissement public, à savoir « assurer la conduite, la coordination et la réalisation des études et des opérations concourant à la conservation et à la restauration de la cathédrale », des doutes importants subsistent sur la répartition des compétences entre maîtrise d’ouvrage et maîtrise d’œuvre. Le texte ne sera pas clair, à nos yeux, tant qu’il ne précisera pas que la maîtrise d’œuvre restera exercée sous l’autorité de l’architecte en chef des monuments historiques.
Il nous paraît également important d’encadrer la durée du fonctionnement de l’établissement public. Rien ne justifie qu’il perdure une fois les travaux liés au sinistre et à l’aménagement des abords immédiats de la cathédrale achevés.
À l’article 9, nous jugeons dangereux de dispenser le préfet de région de consulter la CRPA avant de rendre sa décision concernant un recours formé par l’autorité compétente pour les autorisations de travaux contre l’avis d’un architecte des bâtiments de France.
Outre le signal négatif que cette dérogation constituerait en matière de protection du patrimoine, il y a en l’espèce un vrai risque de faire perdre tout son sens à la procédure de recours, en abandonnant la consultation de la CRPA, puisque la même autorité, à savoir le préfet, est à la fois chargée de délivrer les autorisations de travaux liés à la conservation et à la restauration de la cathédrale et de statuer dans le cadre du recours.
Compte tenu de l’opposition que nous avions manifestée en première lecture à la perspective d’une loi d’exception, le maintien d’une habilitation au Gouvernement à légiférer par ordonnances pour déroger aux règles de droit commun, quand bien même ce serait sur un champ plus réduit qu’en première lecture, nous paraît toujours inacceptable. Nous regrettons que vous n’ayez toujours pas clairement motivé ces dispositions, et j’espère que nos débats de ce jour pourront enfin nous apporter quelques éclairages.
Sur tous les autres articles du projet de loi, l’Assemblée nationale est revenue presque intégralement au texte qu’elle avait adopté en première lecture. C’est ce qui a justifié notre décision de rétablir en commission plusieurs des dispositions adoptées par nos soins en première lecture. Ces dispositions nous paraissent indispensables pour garantir l’équilibre et la sécurité juridique du projet de loi.
Permettez-moi, monsieur le ministre, de me concentrer sur trois points particuliers.
Le premier sujet, non des moindres, est la date de lancement de la souscription nationale. Pour quelles raisons juridiques vaut-il mieux que Bercy se montre tolérant pour appliquer le taux de réduction d’impôt majoré aux dons reçus dès le 15 avril, plutôt que d’inscrire expressément cette date dans la loi ?
Reconnaissez tout de même que cela simplifierait grandement les choses et permettrait que les pratiques que vous entendez mettre en œuvre soient conformes au droit que nous sommes en train d’élaborer. Nous voulons vraiment que vous vous exprimiez à ce sujet ; la discussion autour de l’article 1er nous en donnera sans doute l’occasion.
Le deuxième sujet est notre incompréhension face à votre refus obstiné de faire figurer dans le texte de loi une référence à la Convention pour la protection du patrimoine mondial culturel et naturel de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture, l’Unesco, ratifiée par la France en 1975 et qui, donc, s’impose dans notre ordre juridique interne. Jusqu’à présent, vous nous rétorquez que cette convention s’applique déjà. Mais quel mal à y faire clairement référence ?
Lorsque l’on constate que le bien « Paris, rives de la Seine » n’est toujours pas doté d’un plan de gestion, alors que cette obligation figure dans la loi depuis trois ans déjà et émane des mêmes recommandations de l’Unesco, on est enclin à penser qu’il n’est pas inutile d’insister sur cette question.
La restauration de Notre-Dame n’est pas un chantier anodin. Nous savons tous combien notre pays va être observé à cette occasion, sachant que les donateurs étrangers – vous l’avez rappelé, monsieur le ministre – se sont fortement mobilisés.
Nous sommes fiers que l’expertise de la France en matière de protection du patrimoine soit ainsi reconnue de par le monde. C’est pourquoi nous sommes convaincus que cette restauration doit être opérée dans le cadre des règles internationales et nationales en vigueur.
Le dernier sujet, qui ne vous surprendra pas et qui illustre, là aussi, notre méfiance à l’égard des propos rassurants que vous nous tenez depuis le début de la discussion législative autour de ce projet de loi, les collectivités territoriales. Vous nous avez dit à plusieurs reprises que leurs versements dans le cadre de la souscription seront considérés comme des subventions d’investissement.
Dès lors, comment interpréter le fait que vous demandiez une nouvelle fois la suppression de cette disposition que nous avons rétablie ? Cette attitude ne nous semble pas de bon aloi, si votre souhait est de sécuriser les dons des collectivités territoriales, qui, pour beaucoup, sont revenues ou reviennent sur leurs promesses.
Monsieur le ministre, j’espère que le présent débat nous permettra de rétablir un dialogue fécond sur ce texte et que la voix du Sénat, qui a enfin commencé à porter la semaine dernière à l’Assemblée nationale, continuera de vous convaincre, afin de conforter l’exemplarité du chantier de Notre-Dame et de notre régime juridique de protection du patrimoine. Ces derniers, me semble-t-il, auraient davantage mérité de faire l’objet d’un consensus depuis le début de nos discussions !