Intervention de André Reichardt

Réunion du 10 juillet 2019 à 14h30
Simplification du code de commerce — Adoption définitive en deuxième lecture d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de André ReichardtAndré Reichardt :

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, enfin !

Enfin, le Sénat est appelé à examiner en deuxième lecture et à adopter, je l’espère définitivement, la proposition de loi de simplification, de clarification et d’actualisation du droit des sociétés déposée par Thani Mohamed Soilihi le 4 août 2014, il y a bientôt cinq ans…

Il est regrettable qu’il ait fallu attendre si longtemps pour voir ce texte aboutir, car dès l’origine tout le monde s’accordait à reconnaître la pertinence et l’urgence des mesures proposées par notre collègue, dans le prolongement des travaux qu’il avait conduits en tant que rapporteur de la commission des lois du Sénat sur la loi du 2 janvier 2014.

C’est tellement vrai qu’un grand nombre de ces dispositions ont été reprises, souvent à l’identique, dans plusieurs véhicules législatifs intervenus depuis : citons, dans l’ordre, la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, dite loi Macron, du 6 août 2015, la loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite loi Sapin II, du 9 décembre 2016, les ordonnances prises pour l’application de ces textes, la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi Pacte, du 22 mai 2019, ou encore les lois de finances annuelles.

Cette proposition de loi a donc connu des évolutions très sensibles depuis son dépôt il y a près de cinq ans, car il a fallu en retirer les dispositions reprises dans différents textes, en actualiser d’autres, mais aussi introduire de nouvelles mesures visant à répondre aux besoins les plus récents exprimés par les professionnels, ou même à corriger les malfaçons introduites par d’autres textes.

Cette proposition de loi répond à un objectif consensuel, à savoir simplifier l’environnement juridique de nos entreprises pour renforcer leur compétitivité, mais sans mettre à mal le principe de sécurité juridique.

C’est ce qui explique que les deux assemblées aient fait preuve jusqu’à présent d’une très large convergence de vues. En première lecture, nos collègues députés n’ont apporté au texte que des modifications légères et, pour la plupart, tout à fait bienvenues. Il subsiste quelques points de désaccord, sur lesquels je vais revenir dans un instant.

Je vous épargne, évidemment, mes chers collègues, la description complète des dispositions contenues dans ce texte qui figure dans le rapport écrit.

Je vous rappellerai seulement que ces mesures se répartissent en trois catégories : premièrement, la simplification de règles de fond ou de forme applicables aux actes des sociétés civiles et commerciales et des autres commerçants ; deuxièmement, l’allégement des sanctions civiles encourues lorsqu’un acte a été pris en méconnaissance des règles qui lui sont applicables ; troisièmement, la clarification de certaines dispositions légales.

Je vous propose d’examiner chacune de ces trois catégories, en commençant par la simplification des règles de fond ou de forme.

Tous les actes des entreprises, en particulier ceux des entreprises qui sont exploitées sous la forme sociétaire, sont naturellement soumis à des règles de fond et de forme visant à garantir les droits des associés, des salariés, des créanciers, des parties aux autres contrats passés par la société ou l’entrepreneur, ou encore des tiers. C’est bien sûr légitime et nécessaire.

Encore faut-il conserver à l’esprit que ces règles, singulièrement lorsqu’elles imposent l’accomplissement de longues formalités pour des actes courants, ont un coût pour nos entreprises, et qu’elles sont susceptibles de faire fuir les investisseurs si elles sont plus contraignantes que celles des pays voisins. Ces règles doivent donc être strictement proportionnées à l’objectif poursuivi.

Prenons un exemple. Depuis 1935 – je dis bien : depuis 1935 –, l’acte de cession d’un fonds de commerce doit obligatoirement comporter un certain nombre de mentions : le nom du précédent vendeur du fonds, ainsi que la date et le prix de la précédente cession, l’état des privilèges et nantissements grevant le fonds, le chiffre d’affaires et le résultat d’exploitation des trois exercices précédents, mais aussi, le cas échéant, les caractéristiques du bail commercial. Ouf !

À défaut, le cessionnaire peut demander au juge l’annulation de la cession, ce qui nourrit un abondant contentieux. Or, en pratique, l’acquéreur d’un fonds de commerce est un professionnel – on peut l’espérer –, qui s’entoure des services d’autres professionnels – on peut l’espérer également – pour réaliser la cession, afin d’obtenir l’ensemble des informations dont il a besoin pour former son jugement. En outre, les mentions légales obligatoires ne comportent pas l’ensemble des informations nécessaires pour apprécier la valeur du fonds. Dès lors, cette formalité est à la fois lacunaire et superflue ; c’est pourquoi l’article 1er de la proposition de loi vise à la supprimer.

Autre exemple : l’obligation de soumettre tous les trois ans à l’assemblée générale des actionnaires d’une société anonyme un projet d’augmentation du capital réservée aux salariés.

Le renforcement de l’actionnariat salarié est naturellement un objectif louable et largement partagé. Toutefois, cette obligation triennale s’est révélée parfaitement inefficace pour atteindre cet objectif. Les sociétés qui souhaitent développer l’actionnariat salarié n’attendent évidemment pas ces rendez-vous obligatoires qui, ailleurs, se révèlent purement formels. Je suis donc particulièrement satisfait que l’Assemblée nationale ait adopté conforme l’article 27 de la proposition de loi, qui vise à supprimer cette formalité.

Examinons maintenant la question de l’allégement des sanctions civiles.

Les actes pris en méconnaissance des règles légales s’exposent à de telles sanctions. La sanction la plus lourde est la nullité de l’acte, qui peut être obligatoire ou facultative, c’est-à-dire laissée à l’appréciation du juge, absolue ou relative, autrement dit susceptible d’être invoquée par la seule partie protégée.

Dans certains cas, cette sanction peut être avantageusement remplacée, à mon avis, par une injonction de faire : plutôt que d’annuler l’acte entaché d’irrégularité, le juge enjoindra à la société ou à l’entrepreneur de remplir ses obligations, ce qui couvrira l’irrégularité.

Là encore, il est indispensable que la sanction civile soit proportionnée à l’objectif poursuivi, car le risque d’annulation est un facteur d’insécurité juridique pour toutes les parties.

Je me félicite donc que les députés aient adopté conforme l’article 26, qui remplace la nullité obligatoire des délibérations adoptées par l’assemblée générale d’une société anonyme sans avoir été inscrites à l’ordre du jour par une nullité facultative, qui laisse au juge un pouvoir d’appréciation. Cela répond à une demande ancienne de la Cour de cassation, qui déplore d’ailleurs sur ce point la rigueur excessive de la loi.

À l’inverse, permettez-moi, madame la secrétaire d’État, de regretter que l’Assemblée nationale ait supprimé, à la demande du Gouvernement, l’article 29, qui visait à remplacer par une injonction de faire la sanction de nullité obligatoire frappant les décisions d’augmentation de capital prises en méconnaissance de l’obligation légale de soumettre simultanément à l’assemblée générale un projet d’augmentation de capital réservée aux salariés. Une injonction de faire serait pourtant une sanction beaucoup plus adaptée.

Je note d’ailleurs que la jurisprudence la plus récente de la Cour de cassation nous donne raison, puisqu’elle admet désormais qu’une augmentation de capital irrégulière puisse être régularisée par le vote ultérieur, même négatif, sur un projet de résolution réservant une augmentation de capital aux salariés.

Madame la secrétaire d’État, puis-je vous demander encore un effort pour simplifier la vie de nos entreprises à cet égard ? Ce sera peut-être pour la prochaine fois…

Enfin, la proposition de loi comprend un grand nombre de dispositions visant à clarifier des règles de droit commercial en vigueur.

Ces mesures de clarification sont, pour certaines d’entre elles, attendues depuis des années, voire des décennies – n’est-ce pas, cher Thani Mohamed Soilihi ? –, comme celle qui concerne les droits respectifs du nu-propriétaire et de l’usufruitier en cas de démembrement de parts sociales, à l’article 6. J’en suis particulièrement heureux, puisque ma thèse de droit, à l’époque – c’était hier ! –, portait précisément sur les actions de sociétés et leur éventuel démembrement. Cela doit faire très plaisir à mon directeur de thèse, qui m’avait assigné ce superbe sujet !

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