Intervention de Muriel Pénicaud

Commission des affaires sociales — Réunion du 9 juillet 2019 à 18h00
Réforme de l'assurance chômage — Audition de Mme Muriel Pénicaud ministre du travail

Muriel Pénicaud, ministre :

Nous ne changeons pas les principes de la gouvernance de l'assurance chômage qui existent depuis 1958. Ce sont en première instance les partenaires sociaux qui définissent les règles d'indemnisation de l'assurance chômage, sauf lorsqu'ils n'y arrivent pas. Cette situation de blocage n'est pas inédite dans l'histoire de l'Unédic. L'État a été amené à définir les règles de l'assurance chômage au début des années 1980 et au début des années 2000. Il le fait à nouveau aujourd'hui. Tout comme vous, je regrette vivement que la négociation n'ait pas pu aboutir : il est toujours préférable que ce soient les partenaires sociaux qui définissent les règles. Mais il me semble important, en cas de constat d'échec, que le Gouvernement prenne ses responsabilités. Les difficultés de notre système sont nombreuses : elles sont d'ordre financier, les demandeurs d'emploi sont confrontés à des règles inéquitables, et les entreprises éprouvent des difficultés pour trouver les compétences dont elles ont besoin. Je pense qu'il aurait été irresponsable de ne pas prendre nos responsabilités et de ne pas procéder à cette réforme.

Je tiens également à rappeler que l'encadrement de la négociation est prévu par la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel. En outre, ce système assurantiel n'est pas totalement indépendant. Je ne connais aucun autre système assurantiel qui ait 33 milliards d'euros de dette, garantis par l'État. Par ce biais, l'État est donc depuis longtemps déjà partie prenante de ce sujet. En outre, aux yeux de nos concitoyens, le Gouvernement doit répondre du taux de chômage.

En 2009, notre système a permis d'amortir le choc de la crise, en comparaison à d'autres pays. 470 000 emplois nets ont été créés depuis deux ans, dont 93 000 au premier trimestre, et pourtant une entreprise sur deux ne trouve pas les compétences dont elle a besoin. Il y a une vraie dynamique en termes de créations d'emplois. Aussi, il est normal au moment où le régime va mieux de commencer à se désendetter. Dans le cas contraire, nous ne pourrons pas faire face à une nouvelle crise dans 10 ou 15 ans. La Nation n'aura pas la capacité de réinjecter 10 milliards d'euros supplémentaires. Par ailleurs, nous avons renforcé le pouvoir d'achat des salariés, en supprimant les cotisations salariales à l'assurance chômage. C'est la CSG et donc les contribuables qui payent la part de cotisation des salariés.

Dans les débats budgétaires de fin d'année, l'affectation de la CSG à l'assurance chômage est prévue de façon à compenser intégralement les cotisations salariales supprimées. Mes services travaillent actuellement avec l'Unédic pour ajuster au mieux cette part de CSG affectée. Je tiens également à rappeler qu'il n'est pas envisagé de supprimer les cotisations employeurs.

La question que vous posez sur la gouvernance est réelle. Cette dernière, si elle est claire d'un point de vue juridique, est beaucoup plus hybride dans les faits avec l'État qui est forcément présent : il intervient par l'impôt et la dette. Peut-être est-ce prématuré de discuter aujourd'hui de la gouvernance, mais nous sommes conscients avec les partenaires sociaux qu'il faudra l'évoquer.

La France a le régime le plus favorable pour les personnes les plus qualifiées. Aujourd'hui, on peut toucher jusqu'à 6 600 euros net d'indemnisation par mois pendant deux ans, pour des personnes qui gagnaient 8 000 voire 10 000 euros par mois. Certes, ces cas sont rares, mais il faut savoir que nous sommes largement au-dessus des plafonds des autres pays, dont le montant maximal de l'indemnité avoisine 2 300 euros. Cela ne signifie pas que dans ces pays les cadres gagnent moins, mais on estime que le système assurantiel doit servir d'abord à ceux qui gagnent le moins et en ont le plus besoin. Avec un taux de chômage de 3,8 % chez les cadres, nous sommes pour ainsi dire dans un chômage frictionnel entre deux emplois. Aussi, il est logique que notre système assurantiel et de solidarité s'adresse en priorité à ceux qui en ont le plus besoin. Pour les revenus les plus élevés - ceux qui ont le plus de facilité pour retrouver un emploi -, on arrive à des aberrations, puisque l'indemnisation moyenne est de 575 jours, alors qu'elle est en moyenne de 300 à 350 jours pour l'ensemble des demandeurs d'emploi. Les règles induisent donc des comportements non adaptés. Je tiens également à souligner que les périodes de carence ne sont pas prises en compte dans les sept mois. En pratique, la dégressivité commencera donc plutôt à partir de 9 ou 10 mois.

Pour les salariés de plus de 56 ans, plusieurs éléments doivent être pris en compte. Comme vous l'avez souligné, la qualité de l'accompagnement doit progresser. La mise en place du compte personnel de formation monétisé sera opérationnel à partir de novembre. Les salariés vont donc découvrir les montants disponibles sur ce compte pour se former. En outre, ils auront accès à de l'information dont ils ne disposent pas généralement aujourd'hui. C'est d'ailleurs l'une des difficultés pour la reconversion. Nous constatons également qu'au bout d'un moment, les entreprises diminuent leurs efforts de formation. Or, aujourd'hui, à 55 ou 57 ans, lorsqu'on n'a pas de problème de santé, on est encore jeune. Une concertation va être menée avec Jean-Paul Delevoye et les partenaires sociaux sur l'emploi des seniors. Les entreprises ne peuvent pas à la fois dire ne pas trouver les compétences et en même temps fermer la porte aux jeunes en raison de leur manque d'expérience et aux seniors parce qu'ils en ont trop ou parce qu'ils seraient dépassés par la nouveauté.

Nous avons constaté que le plan d'investissement dans les compétences était très ciblé sur les jeunes et les demandeurs d'emploi de longue durée. Nous avons également fait très attention aux outre-mer et aux personnes en situation de handicap. Mais les seniors ne sont pas ciblés. Nous allons désormais faire des efforts dans ce sens avec une obligation de prendre en compte cette catégorie d'actifs. D'ailleurs, des entreprises qui se sont lancées dans l'embauche des seniors découvrent qu'il est très intéressant d'avoir dans un collectif de travail des personnes d'âges différents, avec des expériences variées. Pôle emploi doit changer son approche, afin que des offres soient clairement proposées à des personnes de 56, 57 ou 60 ans voulant travailler.

Pour le choix des secteurs concernés par le bonus-malus, nous avons ciblés ceux ayant un usage excessif des contrats très courts. Tous ces secteurs ont plus de 150 contrats courts pour un contrat stable. Une évaluation sera faite dans deux ans, pour vérifier si le système produit des effets. Rien n'empêchera de l'adapter ou de le généraliser. Si c'est une nouveauté en France, cette pratique existe depuis plus de vingt ans aux États-Unis - pays que l'on ne peut pas accuser de ne pas être libéral - avec beaucoup de succès. Je crois en la responsabilisation des employeurs. En fin d'année, ou en début d'année prochaine, nous proposerons un simulateur aux entreprises des branches concernées, afin qu'elles puissent connaître les taux de cotisation auxquelles elles seront soumises si elles ne changent pas de pratiques. Il y aura un taux pour chaque secteur. L'hôtellerie-restauration n'a en effet pas les mêmes contraintes que l'industrie du caoutchouc.

L'intérim sera bien pris en compte dans le bonus-malus : sont concernés tous les contrats courts et de manière plus générale toutes les inscriptions à Pôle emploi. Les quelques CDI retournant à Pôle emploi restent marginaux dans le nombre total. Il faut prendre en compte l'intérim, sinon nous allons constater un déport des CDD vers l'intérim. En revanche, je rappelle que pour le CDI intérimaire, c'est l'entreprise de travail temporaire qui embauche en CDI et qui place les intérimaires en fonction des besoins. Ces personnes ne s'inscrivent donc pas à Pôle emploi et ne seront pas comptabilisées dans le bonus-malus.

Une solution peut également être les groupements d'employeurs. Le secteur agricole a beaucoup recours à cette solution. Il en existe 3 000 actuellement. Nous souhaitons soutenir leur développement, car le groupement d'employeurs permet une certaine flexibilité pour l'employeur et une sécurité pour le salarié. Cela prend de l'ampleur dans le tourisme par exemple, pour des activités saisonnières : le groupement d'employeurs permet, sur un même territoire ou un territoire différent, d'avoir des activités complémentaires en fonction des saisons.

L'idée n'est pas de laisser les entreprises seules face à ce problème. Nous allons les aider à trouver des solutions pour un management plus raisonné de l'emploi précaire.

Des chercheurs indépendants procéderont à une évaluation économique et en termes d'emploi de cette réforme. Bien évidemment, un débat aura lieu avec les partenaires sociaux et, si vous le souhaitez, je serai ravie de revenir devant vous.

Officiellement, la loi a autorisé les CDD d'usage dans un nombre limité de secteurs. Or, on constate un dérapage complet. Certains secteurs l'utilisent alors qu'ils n'en ont pas le droit. Nous allons intervenir pour y remédier. La taxation de 10 euros sur les CDD d'usage sera la même que le contrat dure 3 ou 6 mois. Cela aura un effet sur ceux qui abusent des contrats extrêmement courts. Il faut savoir que neuf fois sur dix, c'est la même personne qui est embauchée sur le même poste et dans la même entreprise, sans bénéficier d'une prime de précarité. Il faut être raisonnable et avoir une gestion des ressources humaines plus équilibrée. Avec cette taxation des contrats très courts, au lieu d'embaucher une personne pour 3 heures un jour, pour 4 heures le lendemain, et pour 3 heures le surlendemain, l'entreprise se demandera s'il n'est pas mieux de faire un unique contrat de trois jours. D'ailleurs, cette mesure a été proposée par le patronat dans la concertation, et va permettre d'assainir les pratiques.

Pour les personnes handicapées, Pôle emploi et les acteurs spécialisés se sont rapprochés, mais à aucun moment il n'est question d'une fusion. D'ailleurs, on constate une coopération renforcée entre Pôle emploi et les acteurs du handicap qui fonctionne bien. Auparavant, les personnes handicapées souffraient en plus d'un handicap administratif, car elles devaient faire une double démarche et la navette entre les différents acteurs. Une équipe spécialisée sur le sujet du handicap a été constituée en partenariat avec Cap emploi. Cela donne des résultats intéressants. Il ne s'agit pas d'une révolution institutionnelle, mais d'un rapprochement pour mener un travail en commun.

Par ailleurs, l'Agefiph a des fonctions beaucoup plus larges que le retour et maintien dans l'emploi. Avec Sophie Cluzel, secrétaire d'État en charge du handicap, nous menons actuellement des travaux sur le sujet, en lien avec les partenaires sociaux. Tout le monde s'accorde pour dire que la situation actuelle n'est pas satisfaisante et doit être améliorée. Nous prenons le temps d'une concertation approfondie. Nous reviendrons vers vous à ce sujet.

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