Intervention de Jean-Marie Vanlerenberghe

Commission des affaires sociales — Réunion du 10 juillet 2019 à 9h30
Application de la lfss pour 2018 et situation et perspectives des comptes sociaux — Examen du rapport d'information

Photo de Jean-Marie VanlerenbergheJean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général :

Comme chaque année depuis 2015, la Mecss m'a chargé de faire un bilan sur l'application de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS). Il s'agit d'une tradition heureuse car, comme nos collègues députés l'ont eux aussi perçu en lançant à leur tour un « printemps de l'évaluation », quand une LFSS est votée, rien n'est bouclé et tout commence en quelque sorte : les recettes sont évaluatives, tout comme les dépenses, nos objectifs n'ayant pas le caractère normatif des crédits des lois de finances.

Or, une fois l'automne venu, reconnaissons que nous ne focalisons pas l'essentiel de nos débats sur l'approbation des comptes de l'année écoulée, objet de la première partie de chaque PLFSS...

C'est pourquoi il me semble important de faire le point avec vous sur l'état des comptes sociaux, les perspectives financières de la sécurité sociale et l'état de l'application des principales mesures de la LFSS pour 2018, à la suite des auditions sur ces sujets menées par la Mecss ou par la commission ces dernières semaines.

Les comptes sociaux tout d'abord.

Ils se sont une nouvelle fois améliorés en 2018. Le déficit du régime général de la sécurité sociale et du Fonds de solidarité vieillesse (FSV) a été de « seulement » 1,2 milliard d'euros, contre 5,1 milliards en 2017 et, rappelons-nous, 10,8 milliards en 2015. Ce résultat, quoique déficitaire une nouvelle fois, est donc meilleur que celui des années précédentes. Il est également meilleur que le solde que nous avons voté lors de l'examen du PLFSS pour 2018 puisque c'est un déficit de 2,2 milliards d'euros qui était alors prévu.

En élargissant notre vision à l'ensemble des régimes obligatoires de base de sécurité sociale et au FSV, le déficit est un peu aggravé, à 1,5 milliard d'euros, essentiellement du fait du résultat dégradé de la CNRACL.

Néanmoins, le constat demeure : les comptes de la sécurité sociale ont poursuivi leur rétablissement, mieux encore que nous ne l'avions prévu en votant le PLFSS, et le retour à l'équilibre paraissait à portée de main.

Comment expliquer ce retour à meilleure fortune ?

Avant tout par l'évolution des recettes de la sécurité sociale, qui ont augmenté de 3,4 % pour ce qui concerne le régime général pour atteindre 394,5 milliards d'euros.

Plusieurs facteurs ont joué dans le sens de cette hausse.

Le dynamisme de la masse salariale tout d'abord. Celle-ci a augmenté de 3,5 % en 2018, comme en 2017, ce qui a fait croître dans les mêmes proportions ou presque l'assiette de la plupart des recettes sociales.

Les prélèvements sur les revenus patrimoniaux ont également augmenté davantage que prévu, le prélèvement forfaitaire unique ayant joué un rôle d'accélérateur -par exemple pour la réalisation de plus-values.

Enfin, comme nous l'avons évoqué avec la Cour des comptes, les droits tabac aussi ont affiché un rendement supérieur à la prévision, la hausse des prix n'ayant pas fait baisser la consommation autant qu'initialement escompté.

Face à ces recettes, les dépenses (soit 395,7 milliards d'euros pour le régime général et le FSV) ont également augmenté, à un rythme moindre que les recettes certes (+ 2,4 %), mais, là aussi, plus que ce que nous avions voté. Et, une nouvelle fois, plus que la croissance du PIB (+ 1,7 %) : la part des dépenses de la sécurité sociale dans la richesse nationale a donc continué de croître.

Dans le détail, les dépenses de la branche famille sont restées stables par rapport à 2017.

L'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) a une nouvelle fois été respecté, les dépenses relevant de son périmètre ayant progressé de 2,2 %. Comme l'année dernière, un versement de 300 millions d'euros a même pu être effectué en toute fin de gestion en faveur des établissements publics de santé.

Mais on note une augmentation des dépenses de retraite plus importante que les années passées (+ 2,9 %). Ceci s'explique :

- d'une part, par l'effet en 2018 de la revalorisation de 0,8 % des pensions intervenue en octobre 2017 ;

- et d'autre part, par la fin des effets du recul progressif de l'âge de départ à la retraite. Ainsi, de nouveau, une génération entière part à la retraite une année donnée.

Si les choses se sont améliorées pour les régimes obligatoires de base de sécurité sociale et le FSV, qu'en est-il des administrations de sécurité sociale (ASSO), au sens du droit communautaire, prises dans leur ensemble ?

Encore mieux, pourrait-on dire puisque, après que les ASSO ont renoué avec l'équilibre l'année dernière, leur excédent s'est renforcé, passant de 0,2 à 0,5 point de PIB (+ 10,8 milliards d'euros).

Néanmoins, il est plus honnête de tempérer l'enthousiasme que pourrait susciter cette statistique brute. En effet, à elle seule, la Cades a dégagé un excédent de 15,4 milliards d'euros qui correspond au montant de la dette qu'elle a amortie l'année dernière ; soit un peu moins de 0,7 point de PIB...

Alors certes, « qui paie ses dettes s'enrichit ». Mais, hors Cades, il est plus juste de parler, comme nous l'avons fait pour la sécurité sociale, de déficits amoindris que de capacités d'autofinancement pleinement rétablies. C'est exactement le cas pour des organismes comme l'Unédic ou l'Agirc-Arrco dont nous avons entendu les dirigeants dans le cadre de la Mecss.

Dans ces conditions, nous pourrions croire que nous touchons enfin au but et que les comptes sociaux vont enfin repasser dans le vert dès cette année, comme le Gouvernement l'avait annoncé avec force publicité à l'automne dernier.

Hélas, les prévisions de la commission des comptes de la sécurité sociale, confirmées par la Cour des comptes lors de notre audition de la semaine dernière, annoncent une rechute dès 2019 pour les comptes de la sécurité sociale.

En premier lieu, parce que la croissance ralentit. La prévision du Gouvernement est désormais de + 1,4 % en 2019 comme en 2020. Dès lors, la croissance de la masse salariale devrait, elle aussi, être moins forte (3,1 % au lieu de 3,5 %, et même 2,9 % en enlevant l'effet « prime exceptionnelle » qui, par définition, n'apportera aucune recette). Dans le même temps, les dépenses poursuivront leur hausse, avec notamment un Ondam légèrement desserré. Ce seul « effet croissance » suffira à provoquer une légère rechute du « patient sécurité sociale » en 2019, avec un déficit du régime général et du FSV qui se creuserait à 1,7 milliard d'euros sans mesure nouvelle.

Cette rechute pourrait être beaucoup plus sérieuse en cas d'absence de compensation des mesures d'urgence économiques et sociales prises dans le cadre de la crise des gilets jaunes. Le déficit pourrait alors atteindre 4,4 milliards d'euros, effaçant presque les gains de 2018 et rendant plus complexe les perspectives de retour à l'équilibre à brève échéance.

Demain se tiendra au Sénat le débat d'orientation des finances publiques. Si les mots ont un sens, ce sera le moment pour le Gouvernement de dévoiler enfin clairement ses intentions sur cette question importante de la compensation des mesures d'urgence. Comptez sur moi pour la soulever.

De plus, comme l'a déjà souligné le président de la Mecss, Jean-Noël Cardoux, un déficit du régime général et du FSV compromettrait le transfert à la Cades de 15 milliards d'euros de dette actuellement portée par l'Acoss et, plus généralement, l'objectif de reboucher complètement le « trou de la sécurité sociale » d'ici à 2024.

Alors bien sûr, certains soulignent à quel point il est facile d'emprunter en ce moment pour les émetteurs publics français. C'est vrai : le directeur de l'Acoss nous a dit lui-même que l'agence, qui peut lever des fonds à taux négatif, allait une nouvelle fois être rémunérée pour emprunter ! Mais nous savons bien que céder à cette facilité ne serait pas de bonne politique et qu'il vaudrait mieux avoir traité la question de la dette le jour où les marchés se retourneront.

Dans ces conditions, est-il bien raisonnable de mettre en oeuvre, à partir de 2020, les réductions successives de la part de TVA dévolue à la sécurité sociale prévues par la loi de finances pour 2019 ? Là encore, le débat d'orientation des finances publiques est le bon moment pour que le Gouvernement prenne une position claire sur cette question.

En résumé, on pourrait dire que les comptes de la sécurité sociale ont connu une rémission en 2018. Hélas, une rechute est attendue pour cette année mais sa gravité reste à déterminer. Elle dépendra en partie des choix que nous ferons lors de l'examen des prochains textes financiers.

Par ailleurs, j'ai souhaité profiter de ce rapport sur l'application de la LFSS pour 2018 pour revenir sur deux mesures fortes votées au sein de ce texte : les mesures de pouvoir d'achat en faveur des actifs ; et l'intégration du Régime social des indépendants dans le régime général de la sécurité sociale.

Vous vous souvenez des mesures relatives au pouvoir des achats des actifs. Il s'était agi de :

- supprimer, à compter du 1er janvier 2018, les cotisations des salariés au titre de l'assurance maladie, dont le taux s'élevait alors à 0,75 % ;

- réduire de 1,45 point à compter du 1er janvier, puis supprimer complètement à partir du 1er octobre 2018, les contributions des salariés à l'assurance chômage, dont le taux était alors de 2,40 % sur les rémunérations en-deçà de quatre fois le plafond de la sécurité sociale ;

- réduire, dès le 1er janvier, le taux de cotisation à la branche famille des travailleurs indépendants de 2,15 points et renforcer à la même date l'exonération dégressive de cotisation à l'assurance maladie ;

- augmenter en revanche, dès le 1er janvier 2018, de 1,7 point le taux de la contribution sociale généralisée sur les revenus d'activité, les revenus du capital, et les pensions de retraite ou d'invalidité perçues par les personnes dont le revenu fiscal de référence (RFR) du foyer dépasse un certain plafond.

Le premier bilan de ces mesures est contrasté.

Le premier paradoxe réside dans le constat que ces mesures de « pouvoir d'achat » ont amélioré le solde des finances publiques de 5,6 milliards d'euros en 2018, en pratique essentiellement au bénéfice de l'État.

En effet, les revenus d'activité, cibles du dispositif, ont bien été « gagnants » mais de « seulement » 1,1 milliard d'euros car les baisses de cotisations se sont étalées entre janvier et octobre 2018 alors que la hausse de la CSG est intervenue, elle, dès le 1er janvier. Ce n'est donc qu'en 2019 que le gain de pouvoir d'achat des actifs sera complètement sensible.

À l'inverse, les titulaires de pensions, moins nombreux que les actifs, ont, eux, subi de plein fouet la hausse de la CSG, à hauteur de 4,3 milliards d'euros. À tel point que, dès l'automne dernier, nous avons corrigé par deux fois ce dispositif :

- dans le PLFSS, pour prévoir qu'il faudrait désormais dépasser deux années de suite le seuil de revenu à partir duquel on sort de la CSG à 3,8 % pour réellement se voir appliquer le taux supérieur ;

- puis, dans la loi MUES, en rétablissant une tranche de revenus au sein de laquelle les pensions de retraites ou d'invalidité subissent la CSG au taux de 6,6 % en gros, pour les retraités percevant entre 1 200 et 2 000 euros de revenus par mois.

S'agissant des bénéficiaires de revenus du capital pour lesquels l'augmentation de CSG a représenté 2,4 milliards d'euros, je ne dispose pas de leur répartition entre actifs, retraités, etc. En outre, l'effet global de cette augmentation combinée avec la mise en place du prélèvement forfaitaire unique serait difficile à réaliser. Mais cela a pu minorer encore le gain des actifs et majorer la perte des retraités.

Il ne s'agit, encore une fois, que des effets de la première année du dispositif. Dès 2019, le gain des actifs sera renforcé et la perte des retraités atténuée par les mesures de l'automne dernier. Peut-être aurons-nous l'occasion d'y revenir.

Au-delà de ce seul effet « pouvoir d'achat », ce nouveau système pourrait avoir à terme des conséquences en termes de droits pour les assurés sociaux, tout particulièrement sur l'assurance chômage. Nous l'avons d'ailleurs dit en adoptant un amendement rétablissant, en droit tout au moins, les contributions salariales chômage dans le dernier PLFSS. Pour prendre un exemple récent, les allocations des cadres subiraient-elles une dégressivité de 30 % dès le septième mois si elles étaient perçues par des cadres ayant personnellement cotisé sur la base de quatre fois le plafond de la sécurité sociale ? Ce n'est pas certain...

Enfin, comme nous l'avons vu lors de plusieurs auditions de ce printemps, l'Acoss a subi un déficit de 103 millions d'euros dans le système de compensation des contributions manquantes à l'Unédic qu'il lui revenait d'assurer. Ce montant peut sembler faible en le comparant aux 9,6 milliards d'euros qu'il a fallu financer. Mais il n'est pas négligeable au regard du solde du régime général. La répartition des pertes a été la suivante :

- 42,2 millions d'euros pour la branche accidents du travail et maladies professionnelles ;

- 40,7 millions d'euros pour la branche vieillesse ;

- et 20,1 millions d'euros pour la branche famille.

Je serai plus bref sur l'intégration du RSI dans le régime général car vous avez sans doute encore en mémoire nos tables rondes du 12 juin et parce que les choses se passent globalement bien.

Je vous renvoie donc au rapport écrit, en indiquant simplement les éléments suivants.

Comme l'avait souhaité notre commission, les travailleurs indépendants continuent de bénéficier d'un accueil dédié au sein des branches retraite et recouvrement du régime général. S'agissant de la retraite, cela représentera d'ailleurs une simplification, l'interlocuteur dédié étant compétent sur leur retraite de base et complémentaire en tant qu'indépendant mais aussi, le cas échéant, sur leur retraite de base de salarié. En outre, une expérimentation est en cours à Bordeaux en vue de tester la mise en place d'un nouveau point d'accueil dit « de premier niveau » afin de répondre aux préoccupations des indépendants dépassant les seuls motifs de sécurité sociale.

Pour ce qui concerne la gouvernance, des représentants des travailleurs indépendants restent impliqués, à partir de désignations sur une base représentative et non plus d'élections. C'est ainsi que depuis le 1er janvier ont été mises en place :

- au niveau national, l'assemblée générale du Conseil de la protection sociale des travailleurs indépendants (CPSTI) ;

- au niveau local, les quinze instances régionales de la protection sociale des travailleurs indépendants.

Néanmoins, comme nous avons pu le constater, des tensions subsistent entre organisations représentatives des indépendants.

S'agissant des ressources humaines, le transfert des personnels du RSI est en voie de finalisation. Après deux phases au cours desquelles des propositions ont été faites aux salariés du RSI, au 30 juin, seuls 1 à 3 % d'entre eux demeurent sans proposition qu'ils ont acceptée. De plus, comme le Gouvernement s'y était engagé, le salaire de chaque salarié du RSI est maintenu. Les caisses du régime général déploient désormais un programme de formation ambitieux pour accueillir les nouveaux salariés.

Pour l'informatique, nous avons vu que des précautions avaient été prises afin d'éviter un nouveau « big bang », comme au moment de la mise en place de l'interlocuteur social unique.

Les choses sont donc bien engagées sur ce dossier.

Reste évidemment le problème de la simplification des modalités de calcul des cotisations des indépendants mais cela dépasse le cadre de cette réforme. Nous serons, bien sûr, attentifs à ce que cette simplification se poursuive.

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