Intervention de Nicole Duranton

Commission des affaires européennes — Réunion du 13 juin 2019 à 8h30
Politique étrangère — Élection présidentielle ukrainienne

Photo de Nicole DurantonNicole Duranton :

J'ai effectivement participé, avec nos collègues Jacques Le Nay et André Vallini, à la mission d'observation de l'élection présidentielle en Ukraine, qui s'est déroulée les 31 mars et 21 avril derniers, en ma qualité de membre de l'APCE. Pour ma part, je n'ai observé que le premier tour, alors que nos deux collègues ont également observé le second.

L'Ukraine entre dans le champ de la politique européenne de voisinage, dont le volet oriental est connu sous le nom de Partenariat oriental, institué il y a dix ans.

Au niveau bilatéral, l'Ukraine est le seul pays à bénéficier d'un sommet annuel avec l'Union européenne. Le 20e sommet s'est tenu le 9 juillet 2018, à Kiev, et a fait l'objet d'une déclaration conjointe, ce qui n'avait pas été le cas lors des deux précédentes éditions.

L'Ukraine et l'Union européenne ont signé un accord d'association, en marge des Conseils européens du 21 mars 2014, pour les chapitres politiques de l'accord, puis du 27 juin suivant, pour son volet commercial. Ce texte comprend un accord de libre-échange commercial et approfondi, qui prévoit une libéralisation couvrant la quasi-totalité des échanges et implique une reprise par l'Ukraine d'une partie significative de l'acquis de l'Union européenne.

Cet accord d'association est appliqué depuis le 1er septembre 2017, après que les Pays-Bas l'eurent finalement ratifié. En effet, un référendum d'initiative populaire consultatif, organisé en 2016, avait conduit les électeurs néerlandais à rejeter cet accord d'association. Pour que les Pays-Bas le ratifient, le Conseil européen a précisé que l'accord d'association n'ouvre pas de perspective d'adhésion à l'Union européenne, n'offre pas de garanties de sécurité collective ni d'aide ou d'assistance militaire à l'Ukraine, n'ouvre pas les marchés du travail des États membres aux ressortissants ukrainiens, n'oblige pas les États membres à fournir un soutien financier à l'Ukraine et fait de la lutte contre la corruption l'un de ses éléments essentiels.

Par ailleurs, la libéralisation du régime des visas entre l'Union européenne et l'Ukraine, entamée en 2010, est effective depuis le 11 juin 2017.

Le soutien financier de l'Union européenne à l'Ukraine s'établit à plus de 12 milliards d'euros entre 2014 et 2020, dont près de 8 milliards d'euros mobilisés par la Banque européenne d'investissement et la Banque européenne pour la reconstruction et le développement, 3,4 milliards d'euros au titre de l'assistance macro-financière et 1,4 milliard d'euros au titre de l'instrument européen de voisinage. Cette aide européenne reste conditionnée à la mise en oeuvre de réformes.

La France est favorable à cette conditionnalité et considère que la reconnaissance d'une perspective européenne à l'Ukraine n'est pas d'actualité. C'est aussi la position de l'Allemagne, de l'Italie, de l'Autriche ou du Danemark, alors que d'autres États membres, notamment au Nord et à l'Est, sont favorables à la prise en compte des aspirations européennes de l'Ukraine.

Le territoire de l'Ukraine demeure amputé de la Crimée depuis son annexion illégale par la Russie en 2014. L'élection présidentielle s'est déroulée dans un contexte très particulier, marqué par trois principaux éléments.

D'abord, la persistance du conflit dans le Donbass, qui s'assortit d'une crise humanitaire dans les régions de Donetsk et de Lougansk : le pays est entré dans la cinquième année d'une guerre qui a causé la mort de plus de 10 000 personnes, dont 3 000 civils. Le cessez-le-feu est très régulièrement violé. La population ukrainienne est lasse de la guerre et ne s'identifie plus à ce conflit. Si les accords de Minsk conclus en format dit « Normandie » demeurent le seul cadre de règlement du conflit agréé par l'ensemble des parties, leur mise en oeuvre paraît bloquée.

Ensuite, l'Ukraine connaît de graves difficultés économiques et sociales : beaucoup d'Ukrainiens restent confrontés à la pauvreté, à des salaires extrêmement bas et à un chômage de masse, alors que les prix s'envolent. Les conditions de vie restent difficiles et se sont dégradées avec la guerre. Pour autant, le bilan du Président Porochenko est loin d'être négligeable. Après Maïdan, les institutions ont été réformées, avec le soutien de l'Union européenne et des organisations internationales, et une société civile dynamique et vigilante a émergé. Des réformes économiques ont aussi été réalisées, par exemple dans les secteurs bancaire et énergétique ou en matière de décentralisation. Aussi certains observateurs considèrent-ils que l'Ukraine a connu plus de réformes depuis 2014 qu'au cours des vingt-trois années précédentes.

Enfin, les Ukrainiens éprouvent une profonde aspiration aux changements politiques : les réformes conduites, bien réelles, semblent avoir atteint leurs limites et se heurtent à un niveau de corruption très élevé, y compris de la justice, et à l'influence considérable des oligarques dans la vie publique. La moitié des Ukrainiens n'ont pas confiance dans leurs élites politiques, fréquemment impliquées dans des scandales, alors que Maïdan avait fait naître de grands espoirs. La population aspire à un profond renouvellement du personnel politique.

Ces trois éléments convergents ont largement contribué à la victoire de Vladimir Zelensky qui s'est rendu célèbre par son rôle de président dans la série télévisée Serviteur du peuple, celui d'un professeur d'histoire conduit au pouvoir par son discours sur la corruption. Vladimir Zelensky apparaît comme un responsable politique neuf, favorable à une démocratie plus participative. Il a appelé à l'arrêt des combats dans le Donbass et à des relations apaisées avec la Russie. Il a promis de profondes réformes économiques et sociales et, surtout, s'est érigé en candidat antisystème et anti-corruption, même si ses relations avec l'oligarque Igor Kolomoïsky ne sont pas claires.

Vladimir Zelensky a remporté l'élection présidentielle au second tour, avec une forte majorité de 73,2 % des suffrages, loin devant Petro Porochenko, à 24,5 %, alors que celui-ci avait été élu dès le premier tour en 2014, avec 54,7 %. L'ancienne Première ministre Ioulia Timochenko était arrivée en troisième position au premier tour, avec 13,4 %.

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