Intervention de Hélène Conway-Mouret

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 3 juillet 2019 à 9h45
Défense européenne — Examen du rapport d'information

Photo de Hélène Conway-MouretHélène Conway-Mouret, rapporteure :

Le troisième élément qui a poussé à un élan nouveau de la défense européenne, c'est la contrainte née du Brexit. Le Royaume-Uni joue en effet un rôle si important dans la défense du continent que son départ programmé de l'Union européenne a fait prendre conscience à beaucoup d'autres pays de la nécessité de faire plus en matière de défense et surtout de faire plus ensemble.

Mais le Brexit a entraîné paradoxalement un regain d'intérêt du Royaume-Uni pour les coopérations européennes. La géographie est implacable... Nous avons besoin du Royaume-Uni pour défendre l'Europe. C'est pourquoi nous plaidons pour une association étroite de celui-ci à la défense européenne, quitte à sortir des cadres habituels.

Il faudra un traité de sécurité et de défense entre l'Union européenne et le Royaume-Uni pour l'impliquer autant que possible et lui permettre de participer aux dispositifs européens, notamment le fonds européen de défense, la coopération structurée permanente et Galileo.

Nous devrons également veiller à ce que les positions de la France sur le Brexit ne soient pas préjudiciables à notre coopération bilatérale dans le domaine de la défense. Nous avons entendu plusieurs fois, à Londres, le mot « ressentiment ». Il est essentiel que la sortie du Royaume-Uni le 31 octobre prochain - si elle a bien lieu à cette date - se déroule dans de bonnes conditions pour pouvoir donner une impulsion nouvelle à nos relations bilatérales, alors que nous célébrerons l'an prochain les dix ans des accords de Lancaster House.

J'en viens maintenant à la seconde partie de notre rapport. J'indique à cette occasion que, plutôt que de nous reposer sur les nombreux rapports qui ont été publiés jusqu'alors, nous avons voulu aller au contact de nos partenaires, qui ont été très heureux de nous recevoir, peu habitués qu'ils sont à ce que nous les écoutions.

La défense européenne est multiforme : elle passe par l'OTAN, mais aussi, de plus en plus, par l'Union européenne et par une multiplicité de coopérations opérationnelles et capacitaires, dont nous donnons de nombreux exemples dans notre rapport.

L'Union européenne est devenue un acteur majeur de la défense européenne. C'est un tournant historique. Le traité de Lisbonne a rendu cette évolution possible, mais c'est le « réveil stratégique » de l'Europe, après 2014, qui l'a véritablement déclenchée.

Il y a eu, tout d'abord, en 2015, l'activation par la France de la clause d'assistance mutuelle de l'article 42, paragraphe 7, du traité sur l'Union européenne.

En réponse, nos partenaires européens ont apporté de multiples contributions aux opérations françaises ou à des missions de l'Union européenne et de l'ONU sur plusieurs théâtres d'opération, notamment au Levant et en Afrique, mais aussi au Liban, avec l'engagement d'une compagnie finlandaise au sein de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (Finul) pour permettre aux militaires français de rentrer en France.

C'est une affirmation sans précédent de la solidarité européenne.

L'activation de cette clause n'avait jamais été réellement envisagée, avant 2015, par les institutions européennes. Il serait utile, aujourd'hui, de préciser les hypothèses d'activation et les modalités d'application de l'article 42, paragraphe 7, sur la base du retour d'expérience français.

L'Union s'est dotée d'une Stratégie globale en 2016. Celle-ci porte explicitement l'ambition d'autonomie stratégique, qui n'est donc pas qu'une élucubration française, mais bien un objectif partagé avec nos partenaires.

Paradoxalement, seules trois missions et opérations de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC) ont été lancées depuis 2015, avec néanmoins des résultats tangibles, notamment dans le cas de l'opération Sophia. La suspension partielle de cette opération est regrettable et n'a pas de sens, puisqu'elle est l'illustration même du continuum sécurité-défense et de l'« Europe qui protège ». Je ne reviendrai pas sur les divisions politiques qui ont entraîné la suspension des navires, privant ainsi la mission de moyens d'information et d'action et l'empêchant de mettre en oeuvre l'embargo sur les armes à l'encontre de la Libye.

L'élaboration de cette Stratégie globale a été suivie du lancement de la coopération structurée permanente (CSP) en mars 2018 par vingt-cinq États membres autour de trente-quatre projets.

Cette CSP inclusive ne correspond pas à ce que la France souhaitait ni aux dispositions du traité de Lisbonne, qui la réservait aux « États membres qui remplissent des critères plus élevés de capacités militaires ».

Ce n'est donc pas l'avant-garde initialement imaginée, mais tous nos interlocuteurs en Europe nous ont indiqué en avoir une appréciation positive, ce qui est déjà une réussite en soi.

La CSP manque simplement d'une directive politique d'ensemble, qui en ferait une démarche ordonnée de comblement des lacunes capacitaires de l'Union. Elle doit s'inscrire dans le cadre d'une planification et ne pas répondre exclusivement à une logique de retour industriel aux États membres.

Par ailleurs, nous préconisons une réaffirmation claire du caractère obligatoire des engagements que les États prennent dans le cadre de la CSP. Les pays participants se sont en effet accordés sur vingt engagements, aux termes desquels ils promettent notamment d'augmenter leurs dépenses d'investissement et de recherche, de développer l'interopérabilité de leurs forces, mais aussi, de renforcer l'autonomie stratégique de l'Europe et sa base industrielle et technologique de défense.

Je voudrais maintenant aborder un point qui a beaucoup retenu notre attention dans nos travaux et dont beaucoup de personnes auditionnées ont souligné le caractère révolutionnaire : l'initiative de la commission européenne de créer un fonds européen de la défense (FEDef). Cette initiative lancée en 2016 et formalisée en 2018 a été approuvée par le Conseil au mois de février et par le Parlement au mois d'avril. Il s'agit de prévoir un fonds de soutien à la recherche en matière de défense d'un montant proposé de 13 milliards d'euros sur la période 2021-2027. Ces montants, qui devront encore être confirmés par le nouveau Parlement européen, se décomposent en 4,1 milliards d'euros pour la partie de recherche pure, et 8,9 milliards d'euros pour la partie R&D.

Pour cette partie R&D, le financement communautaire serait de l'ordre de 20 %. Il y aurait donc un effet de levier puisque les États membres apporteraient les 80 % restants.

Ce schéma reprend, d'une part, l'action préparatoire pour la recherche de défense, et, d'autre part, le plan européen de développement de l'industrie de défense (Pedid), ces deux outils provisoires ayant joué le rôle de prototypes du FEDef.

Il y a deux particularités fondamentales dans ces dispositifs : c'est la première fois que de l'argent communautaire finance une politique de défense, tournant majeur qui ramène l'Union européenne à sa vocation première, celle d'être une organisation destinée à protéger les peuples européens de la guerre ; en outre, pour être éligible, un projet doit être présenté par des entreprises d'au moins trois pays différents, ce qui veut dire que l'argent communautaire va servir à faire émerger une véritable BITDE. De plus, les projets seront en concurrence pour les crédits évalués selon ces critères, parmi lesquels leur apport en termes d'innovation de rupture ou leur contribution à l'autonomie stratégique européenne.

Comme le faisait remarquer un analyste, du fait de l'effet de levier, les montants sont tout à fait considérables. Pour la partie R&D, le financement des États membres représenterait 35,6 milliards d'euros, soit un total de 44,5 milliards d'euros de financement de R&D de défense sur la période, le tout dans cette perspective de coopération entre pays européens.

Il s'agit d'un dispositif remarquable. Il faudra néanmoins conserver quelques points de vigilance : tout d'abord, il faudra que le nouveau Parlement européen valide bien ces crédits ; ensuite, les projets retenus devront l'être pour leur efficacité, et non pas seulement dans une logique de cohésion ; enfin, les parlementaires nationaux devront être vigilants pour que cet apport nouveau d'argent pour la R&D de défense ne soit pas une justification pour les ministères du budget de réduire à due concurrence les crédits purement nationaux.

Enfin, il restera la question particulièrement sensible du statut des États tiers, c'est-à-dire les pays non membres de l'Union. Cela concerne en particulier deux pays, pour des raisons différentes : les États-Unis et le Royaume-Uni.

Pour ce qui est des États-Unis, la situation est simple : ils sont naturellement extrêmement hostiles à ce dispositif, car ils n'y ont pas accès. C'est pourtant parfaitement logique : on ne on ne voit pas pourquoi le contribuable européen devrait financer la R&D des entreprises américaines ! L'explication de cette hostilité tient plutôt à la crainte que suscite chez les Américains l'émergence d'une véritable BITDE, structurée autour de champions européens qui auront plus de facilité à l'avenir à séduire les clients européens dans la mesure où ils associeront nécessairement plusieurs pays de l'Union voire, pour les plus grands projets, une majorité d'entre eux. Nos amis américains savent que la concurrence sera plus rude ! Sur ce dossier, la partie n'est pas encore gagnée, mais il s'agit d'une avancée sans précédent pour la défense européenne.

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