Intervention de Ladislas Poniatowski

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 3 juillet 2019 à 9h45
Situation en turquie — Examen du rapport d'information

Photo de Ladislas PoniatowskiLadislas Poniatowski, rapporteur :

La politique étrangère de la Turquie a récemment évolué : ainsi le pays s'est-il davantage tourné vers le Moyen-Orient et le monde musulman depuis quelques années puis, plus récemment, vers la Russie.

Le basculement de la Turquie vers le monde musulman s'est produit à partir de 2007. Le ministre des affaires étrangères puis Premier ministre, Ahmet Davutoglu, nous a expliqué que l'objectif était de revenir à la grandeur passée de la Turquie et de la faire sortir du giron occidental, afin qu'elle se projette de manière autonome dans un monde s'étendant du Maroc à l'Indonésie, aussi bien dans les domaines économique, culturel et spirituel.

La Turquie a noué des relations étroites avec la Syrie, l'Irak, le Kurdistan irakien, certains pays du Golfe, le Maghreb et les pays d'Asie centrale. Elle a aussi cherché à s'affirmer comme médiatrice dans certains conflits, comme celui entre la Russie et la Géorgie ou entre la Syrie et Israël, ou encore comme modèle au début des printemps arabes.

Cette politique de puissance et d'influence s'est traduite par un renforcement impressionnant du réseau diplomatique turc, devenu le cinquième du monde. Le pays a ouvert 45 ambassades en Afrique depuis l'arrivée de l'AKP au pouvoir et l'aide publique au développement augmente rapidement.

L'extension de la puissance turque a également pris appui sur la présidence des affaires religieuses (Diyanet), dont le budget est actuellement très supérieur à celui des affaires étrangères du pays : celle-ci est un instrument d'influence considérable, notamment en direction de la diaspora en Europe. Souvenons-nous de la présence du ministre turc des affaires étrangères sur le sol français lors de la dernière élection présidentielle turque...

Toutefois, ce modèle comporte de graves faiblesses.

La Turquie est une puissance émergente qui n'a pas tout à fait les moyens de ses ambitions. Elle a le taux de dépendance énergétique le plus élevé de tous les pays émergents. Son « islamisme conservateur d'État » inquiète les Occidentaux comme ses voisins, y compris musulmans, qui craignent un néo-ottomanisme. Elle est également restée au milieu du gué sur la question kurde. Malgré ses velléités d'indépendance, la Turquie apparaît aujourd'hui comme subordonnée aux grandes puissances : le lien avec les États-Unis reste ainsi très fort.

Toutes ces faiblesses expliquent que la crise syrienne ait en grande partie mis à bas les ambitions régionales de la Turquie.

La diplomatie turque a vite montré ses limites. Erdogan a dû tourner le dos à Bachar al-Assad et a soutenu l'ensemble de la rébellion, jusqu'à adopter une attitude plus qu'ambigüe vis-à-vis de Daech, ce qui a placé la Turquie dans une situation inconfortable. Aux yeux de ses voisins, la Turquie est vite apparue comme une puissance interventionniste prosunnite, alors qu'elle se voulait au-dessus de la mêlée. Ultime revers, la Russie est intervenue pour soutenir le régime syrien en septembre 2015. Les autorités turques l'ont mal pris à l'époque et ont intentionnellement fait abattre un avion russe au-dessus de la frontière.

La Turquie doit surtout affronter un afflux massif de réfugiés syriens, qui représentent près de 3,6 millions de personnes. Il faut rendre hommage à la manière dont la Turquie les a pris en charge. L'Union européenne a certes lancé deux programmes d'aides de 3 milliards d'euros chacun, mais ce soutien est à relativiser : les autorités nous ont en effet affirmé que l'accueil de ces réfugiés avait coûté 35 milliards de dollars. Aujourd'hui, ces réfugiés bénéficient d'un accès gratuit aux écoles et à la santé : 85 % des enfants sont ainsi scolarisés.

À partir de 2016, la Turquie est parvenue à redresser en partie la situation au prix d'un rapprochement avec la Russie. Cela s'est concrétisé par la participation turque au processus d'Astana en mai 2017, duquel il n'est pas sorti grand-chose, si ce n'est une implantation renforcée de la Russie au Proche-Orient. Malgré l'affirmation de sa puissance, la Turquie est aujourd'hui dans une situation très délicate.

En résumé, sous l'effet de la guerre en Syrie, la Turquie est passée en quelques années d'une posture de puissance moyenne cherchant à séduire par son soft power à une posture plus martiale, mais aussi plus inconfortable et largement subordonnée à la Russie.

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