Intervention de André Gattolin

Commission des affaires européennes — Réunion du 4 juillet 2019 à 8h30
Recherche — Politique spatiale : rapport d'information proposition de résolution et avis politique de mm. andré gattolin et jean-françois rapin

Photo de André GattolinAndré Gattolin, rapporteur :

Jean-François Rapin est un meilleur connaisseur que moi des questions spatiales même si, lorsque j'étais enfant, je rêvais d'être astronaute... Je travaille d'habitude sur les questions relatives au numérique, mais le lien est étroit entre le numérique, l'espace, les enjeux de souveraineté. Face aux États-Unis et à la Chine, l'Europe doit impérativement trouver sa place.

Le 12 avril dernier, Space X, la compagnie de l'américain Elon Musk, a effectué le premier lancement commercial de sa fusée lourde, Falcon Heavy. Plus que le lancement lui-même, ce qui importe le plus, c'est que les trois moteurs de la fusée ont été récupérés. Ils pourront être réutilisés, au moins partiellement, pour un prochain lancement. C'est une révolution, qui marque l'avènement de la fusée réutilisable, technologie qui n'existait pas jusqu'à présent. L'usage des fusées réutilisables abaisse le coût des lancements et favorise des projets de constellations censées s'étendre tout autour du globe pour toujours plus de connexions et aussi une privatisation des communications.

Cette évolution s'intègre dans un mouvement plus large qu'on appelle le New Space, c'est-à-dire une ouverture de l'espace à de nouveaux acteurs et une extension du champ d'application des technologies spatiales. Ces acteurs ont des visées commerciales au coeur de l'économie numérique : l'exploitation des données et des technologies spatiales, un secteur au fort potentiel de croissance.

Cependant, il ne faudrait pas croire que Space X s'est imposée seule sur le marché. Si elle a pu le faire, c'est qu'elle bénéficie d'un soutien important du gouvernement américain. Celui-ci passe des commandes de lancement de satellites, payées plus cher que ce que Space X facture à ses clients privés. Et cela permet à l'entreprise d'être très compétitive sur les prix. Elle bénéficie aussi d'un transfert de technologie de la NASA.

Parallèlement, le grand rival des États-Unis, la Chine, bien que très en retard sur le spatial, est devenue la première puissance en nombre de lancements, et en nombre de tonnes envoyées dans l'espace - 60 000 tonnes déjà ! Si elle dispose de moyens inférieurs aux États-Unis, la Chine soutient elle aussi son lanceur avec un niveau de commande publique supérieur à 90 %.

Et si les deux superpuissances soutiennent autant leurs lanceurs, c'est que la technologie spatiale occupe une place grandissante dans le monde numérisé. Elle est plus que jamais un élément de souveraineté des États. N'oublions pas que les technologies spatiales sont des technologies duales, qui sont autant employées au plan civil qu'au plan militaire. C'est la raison pour laquelle nous prônons, d'une part, un accès autonome à l'espace pour l'Union européenne, afin qu'elle ne soit pas dépendante des autres puissances et, d'autre part, une préférence européenne dans le choix des lanceurs et des technologies spatiales pour soutenir notre industrie. Enfin, l'Europe de la défense, en construction, devra elle aussi intégrer un volet spatial. Ce n'est pas un choix empreint de chauvinisme. Le niveau de la technologie spatiale européenne la place parmi les toutes premières au monde, comme en attestent les grands programmes de l'Union : le programme Galileo pour la géolocalisation et la navigation, système le plus précis au monde (vingt fois plus que le GPS américain), accompagné d'EGNOS, qui améliore encore la précision et les performances des systèmes de géolocalisation ; le programme Copernicus, programme d'observation de la Terre unique au monde, qui permet de mieux comprendre comment fonctionne notre planète et de faciliter les secours en cas de crise comme un ouragan ou un tsunami ; ou encore le programme de surveillance de l'espace, qui permet de surveiller les débris et les objets en orbite, notamment sur l'orbite géostationnaire, préoccupation grandissante sur laquelle nous nous étions prononcés en 2013 et dont vous entendrez certainement parler dans les années qui viennent.

L'avènement de ces programmes qui constituent la colonne vertébrale actuelle de la politique spatiale européenne s'appuie toutefois sur une multiplicité d'acteurs. Cela n'est pas sans poser des difficultés de gouvernance.

En premier lieu, la politique spatiale a d'abord été développée par les États, en particulier à l'Ouest de l'Europe. Notre pays est en pointe avec le Centre national d'études spatial (CNES), aux côtés de l'Allemagne, de l'Italie et du Royaume-Uni, un partenaire important sur le segment défense et sécurité. Il y a aussi une montée en puissance, ces dernières années, de l'Espagne. Mais, comme vous l'aurez noté, il n'y a pas d'acteur à l'Est du continent.

Autre acteur majeur, l'Agence spatiale européenne, l'ESA. C'est une agence de recherche et développement à vocation scientifique et dont l'approche est purement civile. C'est en son sein qu'ont été développées les technologies européennes actuelles. Elle a été créée il y a plus de quarante ans, en 1975. Son périmètre est plus large que celui de l'Union européenne. Elle a permis la mise en commun des moyens financiers sur un principe cher aux États, celui du retour géographique : un euro investi par un État dans un programme de l'ESA ouvre droit à un retour équivalent par le biais d'une commande à un prestataire de ce pays.

Ce n'est que depuis le traité de Lisbonne, entré en vigueur en 2009, que l'Union européenne dispose d'une compétence partagée avec les États membres sur la politique spatiale. S'il y a une volonté réelle que l'Union monte en puissance sur le spatial, il lui faut trouver sa place. Nous sommes persuadés que nous n'avons plus le choix et que la réponse doit aujourd'hui être à la mutualisation de nos moyens au bénéfice des Européens.

Toutefois et pour terminer, il est un point sur lequel je voudrais attirer votre attention. L'Australie et la Nouvelle-Zélande, à l'autre bout du monde, viennent de demander à profiter des services de Copernicus. Galileo équipe déjà les dernières versions des smartphones. De l'agriculture aux transports, nous profitons tous des technologies spatiales. Souvenons-nous que le GPS est avant tout un programme militaire américain, tandis que Galileo est un programme civil, au service de tous. Et pourtant, qui le sait ? Qui, en Europe, pense encore à l'espace comme une aventure et qui sait qu'elle fait désormais partie du projet européen ? Les programmes européens n'ont pas la même visibilité que la NASA américaine. Il est difficile d'impulser une politique européenne sans visibilité. Nos auditions ont montré que, malgré les efforts déployés, nous sommes en train de perdre la bataille de la communication politique autour du projet spatial. Face à un Donald Trump, qui promet d'aller sur la Lune et de bâtir un corps d'armée pour l'espace, et à l'Inde qui fédère son peuple en détruisant par missile un de ses propres satellites, où est le récit européen ? Alors que les billets de notre monnaie européenne sont désincarnés, pourquoi ne pas les illustrer avec les portraits de personnages emblématiques comme Galilée ou Copernic ? En effet, l'aventure spatiale revêt une dimension symbolique, donc politique, que nous ne pouvons négliger. C'est une question importante et nous appelons le Conseil européen à se saisir de la question spatiale. Elle peut être un élément fédérateur autour duquel bâtir un projet commun et le sentiment d'appartenance à une Europe souveraine.

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