Je vous remercie de votre invitation et suis heureux de pouvoir vous éclairer sur la place des outre-mer et des députés ultramarins sur notre antenne.
Vous avez fait un parallèle avec Public Sénat et je pense qu'il est important de rappeler la singularité de LCP AN. Les deux chaînes ont pour mission de rendre visible l'actualité parlementaire. Néanmoins, des stratégies différentes ont été retenues au fil du temps, qui reflètent l'histoire et les singularités des deux chambres. Il se trouve qu'à la création des chaînes et lors du partage des canaux à l'époque des présidents Ivan Levaï et Jean-Pierre Elkabbach, la totalité des soirées a été confiée à LCP AN. Or, quand vous êtes soumis à la concurrence rude que connaît ce créneau, vous ne pouvez pas construire la grille de la même manière qu'une chaîne qui n'a pas cette contrainte. J'ai toujours appelé de mes voeux un rééquilibrage à cet égard, mais celui-ci n'est pas à l'ordre du jour.
J'ai donc deux impératifs : réinternaliser la production en vue d'un media global et upgrader l'offre pour ne pas être submergé par la concurrence de plus en plus forte sur ces créneaux de prime time. Cela m'a amené à abandonner la matinale. Nous avions en effet une matinale succédant à celle de Public Sénat, qui coûtait 300 000 euros par an pour 2 000 à 2 500 téléspectateurs. J'ai choisi de mettre cet argent sur le prime time, créneau où nous atteignons 200 à 250 000 téléspectateurs. Or, une matinale en moins c'est aussi une fenêtre d'exposition en moins pour l'ensemble des députés. La contrainte budgétaire est là et je précise que le budget de LCP AN est inférieur de 1,2 million d'euros à celui de Public Sénat pour un temps d'antenne strictement identique.
Je précise que les chaînes parlementaires assument deux missions : rendre visible le travail parlementaire, mais aussi faire vivre le lien social, à savoir - et ce second point n'est pas anodin avec la crise de la démocratie représentative que nous vivons - relégitimer les politiques. J'ai ainsi développé deux programmes à l'antenne produits en interne. Le premier, « Circo », permet de suivre le travail d'un parlementaire au quotidien sous forme de feuilleton sur l'année. La seconde, « Émois et moi », concerne l'engagement politique et les parlementaires viennent témoigner de leur parcours. J'ai voulu les produire en interne pour qu'elles soient accessibles durant toute la durée de la législature. Une coproduction extérieure aurait généré d'une année sur l'autre des droits de diffusion sur internet trop onéreux : en interne, nous pouvons les conserver et les utiliser sur les cinq ans. Dans ces émissions, nous intégrons les parlementaires ultramarins. Sur « Circo », nous nous sommes rapprochés de France Ô avec la directrice de la rédaction, Delphine Gouedard, pour que des équipes de France Ô assurent la production et la réalisation de deux premiers numéros à La Réunion. Nous aurons une présence ainsi de députés ultramarins dans leur circonscription. Nous avons en outre déjà reçu un député martiniquais dans l'émission « Émois et moi » et nous nous sommes engagés à recevoir l'ensemble des parlementaires sur ce créneau.
Il y a ensuite un élément historique à prendre en compte. LCP AN a eu pendant longtemps un travail plus affiné et abouti avec France Ô. Cela tenait, comment souvent dans la vie, au profil de l'ancien directeur de la rédaction de LCP AN qui était un ancien de la rédaction de France Ô. Je dois dire que cela posait un certain nombre de problèmes au sein de la rédaction, qui considérait que le prisme ultramarin était parfois plus que proportionnel eu égard au panel de sujets à traiter. Il y avait certes une actualité forte - avec les récents cataclysmes - mais on notait un tropisme inhérent à la carrière de ce journaliste. Ayant moi-même été désigné en juillet, j'ai repris une rédaction dans une situation difficile, avec une chaîne apparaissant souvent à la rubrique faits divers...-. Le paramètre ultramarin n'y était pour rien mais je devais reconstruire un collectif et j'ai choisi quelqu'un en interne.
Il y a une volonté de notre part d'appréhender France Ô comme une agence ; « Circo » en est l'illustration. Nous avons produit un important travail à l'automne autour du référendum en Nouvelle-Calédonie, avec trois programmes dont une soirée complète que nous avons coproduite, non pas sur les accords de Matignon mais sur le combat kanak et l'avenir de la coexistence des communautés caldoche et kanak. Nous avons aussi reçu l'ensemble des parlementaires de Nouvelle-Calédonie dans l'émission « Ça vous regarde (CVR) », l'équivalent de « Sénat 360 ».
Nous avons deux canaux de diffusion : la chaîne 13 de la TNT en partage avec Public Sénat et le canal « 100% » sur l'ADSL et boxes, où nous valorisons les travaux des commissions, ce que ne fait parfois même pas le site de l'Assemblée nationale. Nous avons ainsi retransmis deux réunions importantes sur l'après-catastrophe. Nous accompagnons ces retransmissions via une éditorialisation augmentée, ce qui est rendu possible par la suppression de la matinale.
Nous avions également un partenariat de coproductions historiques avec France Ô, notamment une émission, « Flash Talk », qui s'est arrêtée en janvier. Un producteur était en effet venu nous proposer cette émission citoyenne qui, bien que diffusée sur France Ô, n'était pas destinée uniquement aux élus ultramarins. Or, pour des raisons d'économie, France Ô a décidé, sans nous tenir informés, de modifier le format et la périodicité de l'émission. J'étais le plus petit financeur et France Ô a été d'une grande désinvolture de conclure cela avec le producteur directement, sans consulter le deuxième diffuseur qu'est LCP AN. Je regrette cette situation qui a conduit au retrait de l'émission de notre grille. Le format passait en effet de 52 minutes hebdomadaires à 90 minutes en format bimensuel. Or, je ne disposais pas de créneau de diffusion de cette durée.
Concernant les contrats d'objectifs et de moyens (COM), je sais que le nouveau COM de Public Sénat a été conclu récemment pour trois ans mais le nôtre n'a pas encore abouti ; l'élaboration de notre COM 2020-2023 a pris un peu de retard mais est en cours de discussion. Il ne vise pas les outre-mer même si les députés ultramarins sont couverts par le programme « Circo » mais il y a une volonté de sortir du périmètre géographique métropolitain par un partenariat avec France Ô. Il est prévu en effet dans le COM d'inscrire des partenariats avec d'autres chaînes du service public et particulièrement du groupe France Télévisions.
Vous évoquez la prise en compte des outre-mer dans les journaux d'information. Je n'ai pas décidé, au contraire de Public Sénat, de faire de LCP AN une chaîne d'information. C'est un point parfois de friction avec mon homologue de Public Sénat. Son émission « On va plus loin » suit cet axe informatif avec un prisme parlementaire, récemment par exemple avec une émission sur l'antisémitisme. Je n'ai pas retenu cette orientation, considérant que nous sommes une chaîne parlementaire exclusivement et non une chaîne d'information. Nous avons ainsi, ce même soir, consacré une émission spéciale à un travail parlementaire relatif au surendettement des ménages. L'actualité ultramarine n'est abordée que lorsqu'elle fait l'objet d'un travail parlementaire. De la même façon, je ne souhaite pas réaliser de soirée électorale sur les élections européennes : je suis la chaîne du Parlement français. Une telle orientation nous amènerait à nous retrouver sur le terrain de LCI ou BFMTV quand mon budget correspond à quatre jours de programmation sur BFMTV et que les invités de renom ne viendraient pas. Je considère qu'il faut se situer sur un registre de contre-programmation et je suis en rupture à ce sujet avec ce qui se fait sur Public Sénat, y compris sur le traitement des sujets ultramarins.
Nous avons fait beaucoup sur la Nouvelle-Calédonie au moment du référendum. Demain, dans le cadre de la réforme sur l'audiovisuel, avec la disparition annoncée de France Ô, il sera possible de parler des outre-mer à l'occasion de l'examen du projet de loi. Il nous arrive de faire des soirées spéciales, qui fonctionnent très bien et approchent le million de téléspectateurs : l'une « La plume dans la plaie » était consacrée à l'islam en Seine-Saint-Denis autour du livre de Gérard Davet et de Fabrice Lhomme, l'autre sera consacrée prochainement aux territoires qui n'ont pas voté pour Emmanuel Macron mais majoritairement pour Marine Le Pen comme l'Aisne. Cette programmation a été conçue avant l'émergence du phénomène des gilets jaunes et a pris de ce fait un relief particulier. Au moment de l'examen de la réforme de l'audiovisuel, il est prévu de réaliser une soirée sur le thème de « la télévision publique à quoi ça sert ? » : dans ce cadre, il devrait y avoir un parlementaire ultramarin pour réagir à la disparition de France Ô.
La production de « Circo » en outre-mer n'a pas été aussi rapide qu'en France métropolitaine, essentiellement pour des raisons budgétaires. Le partenariat avec France Ô permet cependant de suppléer. En outre, à nos lenteurs se sont ajoutées celles de France Télévisions, en pleine réforme. Ainsi, le premier « Circo » outre-mer ne sortira pas avant juin, soit un an après mon arrivée.
Pour répondre aux éléments de la trame : nous n'avons pas de programme spécifique dédié aux outre-mer. Il y avait ce programme produit avec France Ô, qui s'est arrêté et je vous ai expliqué pourquoi. Il n'y a pas non plus de relations avec les médias locaux ultramarins. Notre partenaire est France Ô et les stations territoriales du groupe France Télévisions en outre-mer. Sur le sujet de la Nouvelle-Calédonie, quand il s'est agi d'être en collaboration avec un média local, le choix a été laissé à France Ô qui avait le recul sur la question.