Intervention de Stéphanie Condon

Délégation sénatoriale aux outre-mer — Réunion du 4 juillet 2019 : 1ère réunion
Audition en commun avec la délégation sénatoriale aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes de mmes sandrine dauphin responsable scientifique et justine dupuis chargée d'études à l'ined sur les premiers résultats de l'enquête virage dom à la réunion

Stéphanie Condon, responsable scientifique de l'enquête Virage Dom :

Je vous prie de bien vouloir excuser l'absence de Sandrine Dauphin. Notre enquête s'insère dans une suite de travaux scientifiques consacrés à la compréhension des mécanismes de la violence interpersonnelle, particulièrement à l'encontre des femmes, et à la mesure de la prévalence de ces violences. Une coopération internationale a permis l'élaboration de concepts théoriques et d'outils fiables, avec des enquêtes similaires du point de vue des questions posées, des conditions de l'entretien et des règles déontologiques. En 2015, une enquête avait été réalisée en France métropolitaine. Nous avons adapté le questionnaire à La Réunion et aux Antilles, ce qui a impliqué le rajout de questions en lien avec le contexte d'emploi, les pratiques linguistiques et religieuses et le contexte familial.

Cette enquête vise à actualiser et à approfondir les résultats de l'Enquête nationale sur les violences envers les femmes Réunion (Enveff) de 2002 et de l'Enveff Martinique de 2008 grâce à un questionnaire très proche et un échantillon de répondants plus important, à savoir le double. En Guadeloupe, il s'agira de la première enquête de ce type.

L'enquête fournira des indicateurs de prévalence des violences dans des sphères précises de la vie quotidienne. Nous avons mesuré les violences, au cours des douze mois avant l'enquête, dans la relation de couple, dans le cadre du travail, dans les espaces publics et tout au long de la vie, afin d'analyser le contexte de survenue des violences et leurs conséquences sur les parcours des personnes, notamment les impacts sur la santé, la scolarité et les démarches de recours juridique.

Nous avons mis en place des comités de pilotage locaux composés d'acteurs institutionnels, associatifs, professionnels et scientifiques. Ils ont suivi l'ensemble du projet et nous accompagnent jusqu'aux restitutions publiques.

L'enquête a été réalisée par téléphone auprès de 3 000 personnes âgées de 20 à 69 ans à La Réunion, en Martinique et en Guadeloupe. Aux Antilles, l'échantillon était un peu moins important. Ce mode de collecte permet de recueillir des informations sur la vie intime dans un cadre d'écoute, de proximité et de confidentialité. Les enquêteurs sont spécifiquement formés puis accompagnés tout au long de l'enquête.

40 % des répondants ont été contactés sur une ligne fixe et 60 % sur leur mobile, à partir d'une liste établie de manière aléatoire. La passation de chaque questionnaire a duré 45 minutes en moyenne, avec de fortes variations suivant l'expérience des personnes.

J'en viens à la présentation des résultats à La Réunion, qui ont fait l'objet d'une restitution publique le 8 mars dernier à Saint-Denis.

À partir du recueil d'informations sur des faits précis, nous avons construit des indicateurs de prévalence des violences dans l'espace public (rue, transports, bar, chez le médecin, dans les hôpitaux, etc.), la sphère professionnelle et l'espace privé.

Nous avons distingué cinq catégories de violences : les insultes ou violences verbales, y compris à caractère sexiste ou raciste, les interpellations, le harcèlement et les atteintes sexuelles - le fait d'être suivie ou de recevoir des propositions sexuelles de manière insistante, le « pelotage » - les violences physiques et les violences sexuelles - les attouchements, les tentatives de rapports forcés et les viols.

Deux femmes sur cinq ont déclaré au moins un fait subi dans l'espace public au cours des douze derniers mois, contre un quart en France métropolitaine. La violence dans les espaces publics est principalement verbale et prend très rarement la forme de violences physiques ou sexuelles. 36 % des femmes déclarent avoir été sifflées ou interpellées sous un prétexte de drague, soit deux fois plus qu'en métropole. 3 % des femmes déclarent avoir fait l'objet de propositions sexuelles insistantes malgré leur refus (la moitié d'entre elles plusieurs fois), et 2 % des femmes ont subi des actes de pelotage.

Le plus souvent, ces faits sont subis dans des lieux fréquentés habituellement (77 %) et dans la journée (63 %). De fait, une grande majorité des femmes interrogées déclarent sortir rarement la nuit, pour 70 % d'entre elles, et très rarement seules.

Malgré la rareté des transports en commun à La Réunion par rapport aux grands centres urbains métropolitains, 11 % des actes cités par les répondantes ont eu lieu dans les transports.

Si les proches restent aujourd'hui les principales personnes auprès desquelles les femmes se confient, le taux de femmes ayant déclaré des faits de violences physiques ou d'insultes aux forces de l'ordre est passé de 14 % en 2002 à 23 % en 2018. Les actions menées auprès des forces de l'ordre, notamment de formation, ont donc été utiles.

Les auteurs de violences physiques dans l'espace public sont presque exclusivement des hommes, généralement seuls mais parfois en groupe, dans 10 % des cas. Il s'agit principalement d'hommes inconnus des victimes. La proportion d'hommes connus des victimes est toutefois beaucoup plus importante qu'en métropole.

Nous avons mis en évidence un certain nombre de facteurs de risque liés à l'âge ou aux différences de socialisation. Plus de la moitié des femmes âgées de 20 à 29 ans déclarent avoir subi des sifflements ou des interpellations au cours de l'année. Du fait de leurs usages différents des espaces publics, elles sont ainsi plus exposées et constituent des cibles plus vulnérables.

Par ailleurs, près d'une femme sur deux déclarant des violences est en emploi ou au chômage contre un tiers des femmes inactives.

Enfin, les femmes nées en France métropolitaines ou originaires d'autres territoires d'outre-mer subissent plus d'actes de violences que les natives de La Réunion, du fait certainement d'une socialisation différente et donc d'un usage différent des espaces publics.

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