Intervention de Jocelyne Guidez

Délégation sénatoriale aux outre-mer — Réunion du 9 avril 2019 : 1ère réunion
Représentation et visibilité des outre-mer dans l'audiovisuel public — Présentation du rapport d'information

Photo de Jocelyne GuidezJocelyne Guidez, rapporteure :

En effet, le constat que nous dressons là est sans appel : une « invisibilité » totale.

Pourtant, cette situation ne devrait pas être telle que nous la connaissons.

En effet, depuis 1975, les cahiers des charges des sociétés nationales de programme, depuis France Régions 3 à ceux de France 2, France 3 et France Télévisions aujourd'hui, comme ceux de RFO en complément, prévoyaient des exigences.

Nous avons scrupuleusement répertorié dans ce rapport les exigences formulées cahier des charges après cahier des charges, contrats d'objectifs et de moyens après contrats d'objectifs et de moyens et, parfois même, dans la loi.

Depuis la loi égalité et citoyenneté, il est ainsi écrit dans la loi de 1986 sur l'audiovisuel que les sociétés de l'audiovisuel public « s'attachent (...) à assurer une meilleure représentation de la diversité de la société française, notamment d'outre-mer ».

Dans les cahiers des charges de France Télévisions, il est écrit actuellement que la société veille à réaliser une « continuité territoriale (...) de la métropole vers l'outre-mer et de l'outre-mer vers la métropole ». Aussi, elle s'appuie sur la diffusion de contenus du réseau des stations La 1ère pour, « à des heures d'écoute favorable », « rendre compte de la vie économique, sociale et culturelle en outre-mer ». France Télévisions est aussi chargée de « contribuer à la visibilité des populations et cultures ultramarines sur l'ensemble de ses services notamment par la présence de programmes de fictions et de documentaires relatifs à l'outre-mer (...) ».

Les exigences sont là, écrites dans la loi et le décret. Je vous épargne la lecture des COM, détaillée dans le rapport : elle n'est qu'une déclinaison supplémentaire.

Tout est écrit, répété. Tout est écrit, mais rien n'est fait.

Combien de programmes dédiés aux réalités de nos territoires sur les antennes de France 2 et France 3 ? On pourrait les répertorier intégralement, tellement la liste est courte.

Si l'on s'intéresse aux premières parties de soirées, c'est encore pire : en 2018, les premières parties de soirée représentant les outre-mer étaient une demi-douzaine pour l'ensemble des soirées de France 2, France 3 et France 5. Les deux seules existantes sur France 2 étaient consacrées à l'ouragan Irma.

Ce constat ne relève pas du ressenti mais est bien étayé par des données concrètes.

Pourtant, encore, le bilan est bien le même dans l'information où les apparitions des outre-mer sont limitées aux visions de « carte postale » ou aux crises sociales ou catastrophes naturelles que peuvent vivre nos territoires, et ce de l'aveu même des dirigeants du service public.

Les données de l'INA montrent que, dans les journaux télévisés de France 2 en 2017, les mentions des outre-mer concernent quasi exclusivement quatre grandes occasions :

- les déplacements de candidats à l'élection présidentielle dans des territoires ultramarins ;

- la crise sociale en Guyane au printemps ;

- le passage de l'ouragan Irma à la fin de l'été ;

- l'enterrement du chanteur Johnny Hallyday sur l'île de Saint-Barthélemy.

Mémona Hintermann-Afféjee, membre du CSA, évoquait même le journal de France 2 la veille de l'ouragan Irma en septembre 2017 : 9 secondes sur la naissance de deux pandas au zoo de Beauval, 11 secondes sur un ouragan majeur menaçant les Antilles en off à la fin du JT. Voilà la réalité.

Je le disais, parfois les exigences sont précises, et cela a été le cas avec l'information. Le cahier des charges de France Télévisions prévoit ainsi qu'un bulletin d'information quotidien sur les outre-mer est diffusé sur France 3. Je vous laisse chercher ce journal dans la grille actuelle de cette chaîne : il a été supprimé en 2014. Était-ce sans conséquence ? Loin de là : cette disparition a brutalement fait passer le nombre d'occurrences d'apparition des outre-mer référencées sur la chaîne dans les bases de l'INA de 2 065 en moyenne sur la période 2007-2013 à 328 en 2014.

Le constat que nous dressons là est sans appel.

Pourtant, cette situation ne devrait pas non plus être celle que nous connaissons pour une raison simple : les outre-mer ne sont pas des pays étrangers. Pas plus qu'ils ne sont des « confettis » d'un empire lointain. Les outre-mer sont partie intégrante de notre République et, pour reprendre les mots du poète Aimé Césaire, les ultramarins sont des Français « à part entière » et non « entièrement à part ». Lorsque la délégation avait auditionné Wallès Kotra le 5 juillet 2018, celui-ci avait interrogé : « Peut-il y avoir une citoyenneté sans visibilité ? ». La question est bien celle-ci : le service public représente-t-il l'ensemble des territoires de notre République et les populations qui y vivent ?

Mais, si ces exigences n'ont pas été respectées, elles n'ont pas non plus été contrôlées.

Pas contrôlées par le Conseil supérieur de l'audiovisuel, faute de moyens juridiques notamment. Pas contrôlées, non plus, par la tutelle, à savoir le Gouvernement, qui n'a rien trouvé à redire au non-respect de ces exigences.

Mais, il faut bien que nous l'admettions, nous, parlementaires, n'avons pas non plus suffisamment alerté sur la question lorsque les COM nous étaient soumis. Il faudra à l'avenir que ce contrôle soit l'affaire de tous.

J'en viens désormais au bilan de France Ô. Cette chaîne est critiquée et le Gouvernement, ne la jugeant pas à la hauteur, engage sa suppression. Mais qu'en est-il réellement de cette chaîne ?

France Ô est l'héritière de RFO Sat, créée pour offrir aux ultramarins de l'hexagone la possibilité de garder un lien avec leurs territoires, notamment par la retransmission de bulletins d'information.

Si cette chaîne n'a pas atteint son objectif d'incarner réellement « la chaîne des outre-mer », c'est bien faute de moyens.

Moyens éditoriaux d'une part, avec une feuille de route erratique dont la priorité ultramarine n'a été réaffirmée que très récemment.

Moyens financiers d'autre part, avec un budget de 25,2 millions d'euros en 2018 : 1 % de la grille des programmes du groupe France Télévisions.

Comment reprocher aujourd'hui à une chaîne de n'avoir pas su faire ce qu'on ne lui permettait pas de réaliser ?

Les critiques se concentrent sur son coût au regard de ses audiences. Celles-ci ne sont cependant qu'un indicateur d'évaluation biaisé. Considérons ces audiences au regard des moyens : France Ô apparaît une des chaînes les plus productives du PAF !

Surtout, évaluer cette chaîne sous le seul prisme de l'audience, comme cela est toujours fait, c'est nier sa place dans le service public.

C'est nier le lien qu'elle incarne - et que les répondants à la consultation en ligne ont massivement souligné - entre les territoires et l'hexagone, un lien qui participe de la cohésion de la communauté nationale.

C'est nier, aussi, le rôle que la chaîne a pu jouer pour offrir aux téléspectateurs hexagonaux des programmes d'information nombreux et des documentaires de qualité.

C'est nier la visibilité qu'elle offre à la richesse des cultures.

Quelle autre chaîne a donné sa juste place aux commémorations du 170e anniversaire de l'abolition de l'esclavage ? Quelle autre chaîne retransmet des compétitions de va'a ? Quelle autre chaîne parle des sargasses, du chlordécone, et autres maux profonds de nos territoires ?

C'est oublier, surtout, qu'aujourd'hui, sans France Ô, il n'y aurait pas d'outre-mer à la télévision : 0,3 %, nous dit le CSA. Entendons ce chiffre : France Ô est aujourd'hui la seule visibilité des outre-mer dans l'hexagone.

C'est oublier, enfin, l'appui que peut constituer France Ô pour l'ensemble du réseau des chaînes La 1ère et le levier important qu'il constitue comme soutien à la production d'oeuvres dédiées aux outre-mer.

Enfin, si France Ô est considérée par certains comme un « alibi » ayant permis aux autres chaînes de s'exonérer de leurs obligations, ce n'est pas France Ô qui doit s'excuser, mais bien ceux qui ont ignoré les devoirs du service public.

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