L'enquête éclairante de la Cour des comptes s'inscrit dans une période de changements, avec la parution en mai 2018 de la nouvelle feuille de route TGIR de la Direction générale de la recherche et de l'innovation, et, en septembre 2018, de celle de l'Esfri - European Strategy Forum on Research Infrastructures.
Cette enquête commandée à la Cour des comptes est née du constat que la construction et la mise en oeuvre des TGIR nécessitent des moyens très importants, tant humains que financiers. Ces très lourds investissements, consentis pour plusieurs décennies, représentent un effort budgétaire considérable pour l'État et les organismes de recherche qui assurent leur financement. Les TGIR se voient en effet consacrer annuellement plus de 350 millions d'euros par l'État, une somme en augmentation de 7,6 % sur la période 2012-2017. L'État français finance ainsi 47 % des ressources des TGIR.
L'objet de ce contrôle était donc de s'assurer que les crédits consacrés par l'État aux TGIR étaient dépensés de façon efficace et efficiente, dans un contexte marqué par une compétition européenne et internationale particulièrement intense. Ce contrôle visait également à déterminer dans quelle mesure la stratégie et la gouvernance des TGIR mises en place par le ministère de la recherche permettaient la meilleure utilisation possible de ces instruments de recherche exceptionnels par les communautés scientifiques.
Le rapport que vous venez de nous présenter confirme l'impression que j'avais exprimée l'année dernière : le financement et le pilotage des TGIR demeurent très largement perfectibles.
Le rapport formule, en premier lieu, plusieurs observations relatives à la définition des TGIR, aujourd'hui encore incertaine. Je me tourne donc vers le Mesri : qu'est-ce qui différencie une TGIR d'une simple IR ? Quelles infrastructures ce label cherche-t-il à identifier, et quel est l'intérêt dudit label pour ces infrastructures ?
Je m'interroge également sur la pertinence du périmètre des TGIR, à la fois trop restreint et trop large pour parvenir à donner un aperçu des infrastructures essentielles pour la recherche française. En effet, comme le rappelle le rapport, par certains aspects, ce périmètre semble trop étroit, ne permettant pas de garantir une vision globale des grandes infrastructures de recherche française. Ainsi, une soixantaine d'installations importantes ne disposent pas du label IR ou TGIR, tandis que certains équipements comme le projet ITER, le réacteur Jules Horowitz ou les infrastructures en matière de défense et d'espace sont exclus de ce périmètre.
En parallèle, le périmètre des TGIR demeure relativement large puisqu'il en existait vingt-deux en 2018. Ces vingt-deux infrastructures sont-elles essentielles pour la recherche française, au point que, sans elles, elle ne pourrait être poursuivie sans perte de temps et de compétences ? Un effort de priorisation parmi ces infrastructures est absolument indispensable, au regard des investissements particulièrement lourds qu'elles supposent et des faibles marges de manoeuvre budgétaire dont nous disposons.
Je souhaiterais donc connaître la position du ministère à ce sujet : doit-on ouvrir le label TGIR, dans un souci de cohérence et de lisibilité, ou, au contraire, le recentrer sur les TGIR les plus significatives ? Quels sont, au demeurant, les moyens mis en oeuvre par le ministère pour pousser cette logique de définition et de priorisation ?
Je m'adresse ensuite aux opérateurs : étant donné la place de la recherche française dans la compétition mondiale, quelles sont les infrastructures qui doivent tenir une place à part dans les programmes de financement à moyen et long terme ?
Concernant la participation de la France aux appels à projets européens, sujet qui m'est cher, le rapport évoque un retour financier décevant pour les IR et TGIR, la France ayant obtenu 18 millions d'euros en provenance des fonds européens, contre 60 millions d'euros demandés, soit un taux de retour de 30 %. Nos principaux concurrents demandent des montants comparables, mais avec un taux de succès plus élevé : 38 % pour l'Allemagne, 37,5 % pour le Royaume-Uni et 40 % pour l'Italie.
Le rapport précise que les fonds européens représentent encore une part infime du financement des IR et TGIR. Considérant l'ampleur des besoins de financement identifiés, il semble donc crucial pour la France d'obtenir davantage d'aides de l'Union européenne. Comment le ministère explique-t-il ces résultats peu satisfaisants ? Avez-vous d'ores et déjà identifié des axes d'amélioration, et, si oui, lesquels ? De manière plus générale, comment le ministère et les opérateurs entendent-ils renforcer leur stratégie d'influence auprès de l'Union européenne, notamment dans le but d'attirer en France des TGIR européennes ?
Au niveau national, en tant que rapporteur spécial du budget de la recherche, j'ai eu l'occasion de souligner à plusieurs reprises le manque de lisibilité des crédits budgétaires alloués aux TGIR, qui sont éclatés entre plusieurs actions. Le rapport ajoute que la diversité des sources de financement, la difficulté à réconcilier les données financières issues des différents acteurs et l'absence d'un système d'information unifié entre opérateurs rendent malaisée l'agrégation des données. Par conséquent, la représentation nationale ne connaît pas précisément le montant des crédits de l'État alloués aux TGIR, ce qui pose un réel problème de transparence.
Quelles sont les pistes étudiées par le ministère pour remédier à cette situation ? Comment seront fiabilisées les données contenues dans les documents budgétaires destinés aux parlementaires ? Des correctifs seront-ils apportés dès le projet de loi de finances pour 2020, avec par exemple la rationalisation de la présentation budgétaire du programme 172 ? Les opérateurs envisagent-ils de mettre en place un système d'information unifié, comme le préconise la Cour ?
Lorsque l'État investit dans des TGIR, il s'engage sur plusieurs années, voire plusieurs dizaines d'années. Une programmation pluriannuelle semble donc absolument incontournable pour prévenir tout risque de dérapage budgétaire. Or le rapport s'arrête longuement sur l'insuffisance des outils de programmation pluriannuelle du ministère. À titre d'exemple, j'ai noté que la direction des affaires financières du ministère ne disposait pas de la programmation annuelle à dix ans de chaque TGIR.
La Cour invite donc le ministère à se doter d'une programmation pluriannuelle qui intègre l'ensemble des déterminants de la dépense potentielle et fasse apparaître l'ensemble des dérapages de coûts d'ores et déjà anticipés. La future loi de programmation pluriannuelle de la recherche répondra-t-elle à cet objectif ? Vous semble-t-elle suffisamment ambitieuse de ce point de vue ? Comprendra-t-elle un volet spécifique dédié au financement des TGIR ? Plus globalement, de quels outils de programmation pluriannuelle le ministère entend-il se doter ?
Je m'interroge sur la soutenabilité budgétaire à moyen terme de la mission « Recherche ». En effet, le rapport identifie un certain nombre de risques financiers à moyen et long terme : jouvences, investissements de remplacement, surcoûts de construction, fin de financements non pérennes ou encore engagements financiers potentiels. Entre 2020 et 2035, ces besoins de financement pourraient se situer dans un intervalle compris entre plusieurs centaines de millions d'euros et plus du milliard d'euros.
La DGRI et les opérateurs ont-ils identifié ces besoins de financement ? Parviennent-ils à des chiffrages similaires ? Le cas échéant, quelles sont les pistes étudiées pour répondre à ce défi budgétaire sans compromettre le financement des autres programmes de la mission « Recherche » ?
Permettez-moi de soulever un point particulier, à savoir le financement du projet ESS - European Spallation Source -, dont les surcoûts atteignent 20 % : quelle part de ces surcoûts devra in fine être payée par la France ?
Je souhaiterais également que M. Houllier nous présente les besoins de financement liés au renouvellement d'une partie de la flotte océanographique française, que j'avais évalués à 500 millions d'euros à l'horizon de 2050 lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2019. Comment le ministère entend-il subvenir à ces besoins ?
Au vu de ces besoins de financement et de la faible marge de manoeuvre budgétaire, les opérateurs et le ministère doivent s'attacher à développer les ressources propres des TGIR, qui représentent actuellement moins de 5 % du total de leurs ressources. Quelles sont les pistes à l'étude ? Disposez-vous, à ce sujet, d'éléments de comparaison à l'échelle européenne ?
Concernant la prise de décisions sur les TGIR, s'il incombe à leur comité directeur et au Haut Comité des TGIR de se prononcer sur la participation de la France à de grands projets internationaux, le rapport souligne qu'une multitude d'autres éléments entrent en ligne de compte. Les opérateurs disposent, eux aussi, d'un accès direct aux décisionnaires et d'une capacité d'influence évidente, tandis que les grandes décisions d'investissement demeurent dictées par des considérations éminemment politiques. Le rapport prend l'exemple du projet DUNE - Développement d'universités numériques expérimentales - : le CEA et le CNRS sont favorables à un engagement de la France dans ce projet, tandis que le ministère se montre nettement plus réservé.
Ce sujet appelle tout naturellement celui de l'évaluation a priori des projets d'investissement, dont le rapport dit qu'elle est encore « en chantier » et largement perfectible. Comment envisagez-vous de rationaliser la prise de décision en matière de TGIR ? Quelles sont les pistes étudiées pour améliorer l'évaluation a priori du coût, de l'intérêt scientifique et des potentielles retombées économiques des nouveaux projets ? Comment faire en sorte que les choix d'investissement reflètent les ambitions et la stratégie de notre pays au regard de la compétition mondiale ?
Le rapport avance que les indicateurs permettant de suivre l'activité des TGIR ne sont pas harmonisés. Le ministère a indiqué à la Cour que la formalisation d'indicateurs de performance pouvait être envisagée. Ces indicateurs pourraient éclairer le Parlement lors du vote du budget, quant à l'efficacité des investissements qui sont consentis. Je m'adresse donc aux représentants du CEA, du CNRS et de l'Ifremer : vous semble-t-il envisageable de mettre en place des indicateurs harmonisés, permettant de comparer la performance des différentes TGIR, et donc leur efficacité ? Ces indicateurs pourraient-ils être utilisés pour décider, par exemple, de mettre fin au financement d'une TGIR ?
Enfin, une question d'ordre plus prospectif sur le numérique, porteur d'enjeux nationaux et européens majeurs, où la France bénéficie d'atouts scientifiques et industriels considérables. La question du calcul et du stockage des données détermine aujourd'hui les progrès dans tous les domaines de la recherche. L'enquête réalisée à l'occasion de la feuille de route de 2018 sur les infrastructures de recherche a montré que la quantité de données produites serait globalement multipliée par cinq en cinq ans.
Comment le ministère de la recherche anticipe-t-il les évolutions à venir dans ce secteur ? Quelle est la stratégie poursuivie pour augmenter les capacités de traitement et de stockage des données massives ? Quel est, dans ce cadre, le rôle dévolu aux opérateurs ?
Enfin, le rapport évoque des mutualisations d'infrastructures de recherche civiles et militaires dans le domaine du calcul : ces mutualisations sont-elles à l'étude, et dans le cas contraire, vous semblent-elles envisageables ?